Histoire de lichens épisode 13 Vivre au soleil et ne pas mourir (et Parmelina pastillifera)

Publié le 3 Mars 2018

Parmelina pastillifera                photo Gilles Weiskircher (Anab)

Parmelina pastillifera photo Gilles Weiskircher (Anab)

Nom scientifique : Parmelina pastillifera Parmelina pastillifera (Harm.) Hale, 1976

 

Date de l’observation: 10 janvier 2017 à Zetting


Division des Ascomycota, famille des parmeliaceae

 

Biotope : corticole, sur feuillus isolés ou dans les forêts claires

 

Nous avons vu dans les épisodes précédents que les lichens ont besoin d’eau mais aussi de lumière. Vivre au soleil n’est pas sans contraintes mais les lichens ont développé des astuces que nous allons détailler ici.

Parmelina pastillifera                photo Gilles Weiskircher (Anab)

Parmelina pastillifera photo Gilles Weiskircher (Anab)

Vivre au soleil et ne pas mourir


Au sein du thalle, les algues transmettent au mycélium une partie des molécules organiques produites par photosynthèse. Le fait d’être associé au mycélium dans le lichen permet également aux algues d’avoir une teneur en eau plus élevée, et d’avoir une intensité photosynthétique plus élevée. Le contenu en eau du thalle d’un lichen doit être (en général) supérieur à 20 % pour que l’algue soit capable d’effectuer la photosynthèse. Au-dessus de 60-70%, la photosynthèse commence à décliner. S’il y a trop d’eau dans le thalle, les échanges gazeux ne peuvent plus se faire de manière efficace. Les lichens possèdent jusqu’à 10 fois moins de chlorophylle que les plantes à poids égal, d’où une nécessité d’avoir des exigences en lumière plus importantes.

Si les espèces lichénisées avec des cyanobactéries semblent exiger de l’eau sous forme liquide, les espèces lichénisées avec des algues vertes dépendent de la disponibilité de l’eau en suspension dans l’air sous forme d’aérosol (brouillard). Être recouvert d’eau n’est pas ce qu’il y a de plus facile pour réaliser la photosynthèse. Mais les lichens ont trouvé des stratégies pour répondre à toutes ces problématiques.

 

Capter la lumière

 

Les algues vertes contiennent différents pigments sensibles à la lumière : les chlorophylles A, B et les caroténoïdes. Les chlorophylles sont des pigments qui absorbent principalement les longueurs d’ondes bleues ou rouges. Pour cette raison, les algues sont vertes.
Elles améliorent leur capacité de photosynthèse grâce à d’autres pigments qui ne sont pas capables de réaliser la photosynthèse mais captent la lumière à laquelle la chlorophylle n’est pas sensible pour lui en transmettre l'énergie.
Pour réaliser la photosynthèse, elles doivent être capables d’absorber les rayons lumineux qui pénètrent dans l’eau, d’où l’utilité de ces pigments accessoires. Certaines substances lichéniques du cortex supérieur, telles que l’atranorine, peuvent absorber des radiations lumineuses n’intervenant pas dans la photosynthèse. Elles rendent ces radiations utilisables par le photosymbiote. Ainsi le champignon peut modifier la longueur d’onde de la lumière pour la rendre exploitable par l’algue lors de la photosynthèse. 
Les substances lichéniques régulent aussi l’activité photosynthétique de l’algue mais selon des mécanismes encore mal connus.

 

Mais les rayons lumineux ne sont pas que bénéfiques. Restez un moment au soleil et vous constaterez les dégâts sur la peau. Les radiations lumineuses, surtout les UV, sont hautement énergétiques et peuvent dégrader la structure de l’ADN dans les noyaux cellulaires. Vivre au soleil nécessite donc se protéger.

Parmelina pastillifera               photo Gilles Weiskircher (Anab)
Parmelina pastillifera               photo Gilles Weiskircher (Anab)
Parmelina pastillifera               photo Gilles Weiskircher (Anab)

Parmelina pastillifera photo Gilles Weiskircher (Anab)

Bronzer en sécurité (et ne pas mourir)

 

Le thalle lichénique synthétise en quelque sorte sa propre crème solaire via plusieurs molécules du métabolisme secondaire. L’étude de ces métabolites a conduit à la découverte de plusieurs activités: filtre solaire, antioxydant et pro pigmentant.

Dans les études les plus récentes, il est démontré que la plupart de ces pigments s’accumulent dans la couche corticale après une forte radiation aux UV (Solhaug et al., 2010).

L’un des métabolites les plus étudiés est l’acide usnique. Il possède plusieurs activités: antimicrobiennes et filtres UV (Molnar et al., 2010) La teneur en acide usnique, le plus répandu des métabolites lichéniques, augmente chez les individus appartenant à une même population au fur et à mesure de l’augmentation de la radiation solaire. Des concentrations importantes de ce métabolite ont été mesurées dans les tissus jeunes, où l’activité photosynthétique est plus élevée.

Les phénols lichéniques peuvent également jouer le rôle d’écrans filtrant une fraction de la lumière qui arrive à la surface du thalle, rayons UV inclus, protégeant ainsi les cellules du photobionte très sensibles à la lumière. Des données expérimentales confirment cet effet d’écran.

 

D’autres métabolites comme les anthraquinones peuvent aussi agir comme pigments accessoires, permettant en condition de faible luminosité de capter l’énergie solaire ou à l’opposé, de protéger l’organisme contre les effets nocifs induits par les radiations solaires.

 

Les métabolites secondaires lichéniques peuvent aussi piéger les radicaux libres. Un radical libre est un atome ou une molécule qui a gagné ou perdu un électron. Une exposition prolongée au soleil peut entraîner la formation de radicaux libres dans la cellule. Lorsqu’elle se produit dans l’organisme, cette réaction en chaîne est communément appelée stress oxydant. Elle provoque de nombreux dégâts dans les tissus, les organes, et peut modifier certains gènes. La forte activité antioxydante des lichens a été reliée par de nombreuses études sur la teneur en composés chimiques notamment en polyphénols (Mitrovic et al., 2011) et d’autres comme l’acide lécanorique, l’acide salazinique, l’acide sistique ou l’acide usnique. (Manojlovic et al., 2012).

 

Dans l’espace, des lichens ont réussi à se développer face à la pleine puissance du soleil pendant 18 mois (Schuster et al., 2012), ce qui montre l’efficacité du système.


 

 

Adopter une stratégie flexible

 

Pendant la période de sécheresse, certains lichens changent de stratégie de reproduction, multipliant ainsi leurs propres descendants et leurs chances de survie. Certains lichens modifient ainsi leur stratégie reproductive en fonction de la météo comme Lobaria scorbiculata, un lichen associé avec des cyanobactéries. Les cyanobactéries ont besoin d’eau, énormément d’eau, sous forme liquide. En période de sécheresse, il privilégie la manière asexuée pour augmenter ses chances de se propager.

Cette façon de faire s’inscrit dans la théorie des histoires de vie, une branche de la biologie évolutive qui tente d’expliquer comment l’évolution forme les différents organismes pour qu’ils atteignent le succès reproducteur via la théorie des stratégies adaptatives.
La théorie des stratégies adaptatives repose en effet sur l’hypothèse que l’ensemble des traits démographiques, écologiques, éthologiques et physiologiques d’une population sont co-adaptés et modelés par la sélection naturelle.

La stratégie r est une stratégie de développement des populations d’êtres vivants adoptée par des animaux ou des végétaux dont l'habitat est variable ou perturbé, l'approvisionnement en ressources vitales imprévisible et les risques élevés: les espèces misent alors sur la reproduction avec un fort taux de croissance, pour compenser par le nombre. On les appelle des espèces colonisatrices, en expansion ou opportuniste. Elles ont  notamment une fécondité élevée et une croissance rapide.

La stratégie K est une stratégie de développement des populations d’êtres vivants adoptée par des animaux ou des végétaux dont les conditions de vie sont prévisibles, avec un approvisionnement constant en ressources et des risques faibles: les espèces investissent alors dans une fécondité faible, un cycle de vie long et une croissance lente. On parle d’espèces en équilibre stationnaire. Une des grandes force des lichens est qu’ils peuvent utiliser les deux stratégies.

Mais le mycobionte peut aussi changer de partenaire photobiontique, entraînant des modifications de leur morphologie. Comme les cyanolichens (lichen dont le photobionte est une cyanobactérie) préfèrent l’eau liquide tandis que les chlorolichens (lichen dont le photobionte est une algue) préfèrent l’eau en vapeur, le changement de partenaire permet ainsi de s’adapter à l’environnement.

Enfin, grâce à des voies de biosynthèse originales et modulables, les lichens ont su répondre aux contraintes de leur environnement. On constate que des lichens de la même espèce mais localisés dans des environnements différents, ne présenteront pas le même profil chimique. Des expériences in vitro montrent que la synthèse de ces métabolites intervient dans des conditions défavorables. La plasticité des lichens pour s’accommoder des contraintes biologiques est donc évidente.

 

Conclusions

 

Se protéger du soleil et lutter contre ses effets délétères sur les cellules, sont des problématiques résolues  par les lichens et qui nous sont familières, comme  en été sur la plage. Malheureusement il reste des limites à l’utilisation des lichens en cosmétique. Les molécules extraites des lichens peuvent présenter des effets allergisants comme pour l’extrait d’Evernia prunastri en parfumerie. Elles présentent aussi pour certaines une importante cytotoxicité rendant impossible leur utilisation en cosmétique. La croissance des lichens est lente. Elle limite la biomasse disponible pour une industrialisation (Boustie and Grube, 2005). Des recherches sont en cours.

 

Nous avons vu dans cet épisode que le champignon exploite pleinement le potentiel photosynthétique de l’algue tout en le contrôlant. Je voudrais faire ici une digression sur un animal surprenant, encore plus avancé dans cette évolution.
Elysia chlorotica, une limace de mer, peut survivre dix mois sans se nourrir. Les scientifiques savent désormais comment : ce mollusque marin fabrique sa propre nourriture grâce à la photosynthèse.
Pour être  une plante, le mollusque vole (kleptoplastie) et  incorpore dans ses cellules les chloroplastes et certains gènes d’une algue (
Vaucheria litorea).
Cette  évolution  confère au mollusque une capacité biochimique exceptionnelle : celle de fabriquer à loisir sans nutriments presque  par la seule  la photosynthèse, sa propre matière organique. Telle une plante, sur la seule base d’énergie lumineuse, il utilise du gaz carbonique, de l’eau et quelques sels minéraux. Et ainsi, de survivre dans un environnement pouvant être dépourvu de sa source habituelle de nourriture.
En suivant le lien ,vous verrez qu'elle ressemble presqu'à une plante. Cette limace est allée dans ce domaine plus loin que les lichens. Plus besoin de séquestrer les algues, il suffit de leur prendre leurs outils pour faire soi-même sa photosynthèse. Verra-t-on un jour un champignon dans un lichen incorporer un gène d’algue ? L’évolution est à l’œuvre depuis le début de la vie sur terre et le vivant n’a pas fini de nous surprendre.

 

 

 

 

 

 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )

 

 

 

 

Source: http://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_P/Text_P/Parmelina_pastillifera.htm

Pour en savoir davantage sur les lichens :

http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers16-12/38016.pdf

https://etudes.univ-rennes1.fr/digitalAssets/39/39589_P-Rossignol_VLcorrige.pdf

http://www.ecomusee-sainte-baume.asso.fr/association/journal/Articles_en_ligne/lichens_3me_partie.pdf

https://ori-nuxeo.univ-lille1.fr/nuxeo/site/esupversions/8f490368-7e8f-4c51-8224-49a650416fbe

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00809411/document

https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/175/files/2011/02/La-lumi%C3%A8re-et-les-algues.pdf

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/mollusque-limace-mer-approprie-gene-algue-photosynthetique-57048/

https://www.rts.ch/decouverte/sciences-et-environnement/animaux-et-plantes/4642800-les-lichens-sont-ils-exigeants-avec-l-eau-et-les-sels-mineraux-.html

http://www.conservation-nature.fr/article1.php?id=388

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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H
Publication très réussie, très compréhensible, Gilles.
Répondre
G
Merci Hans. Ce n'est guère facile de vulgariser ces organismes peu connus
C
Article passionnant.<br /> La nature ne finira jamais de nous surprendre et de nous émerveiller<br /> pour autant qu'on sache regarder ,mais avant tout la respecter
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R
Merci Gilles de ta passion et de ces beaux articles et photos partagées
G
Bonsoir Christian,<br /> L'observation est la première qualité du naturaliste, l'émerveillement la deuxième qualite qui pousse à toujours chercher à comprendre pour finalement, comme tu le soulignes justement, respecter ce qui nous échappe