Yves Coppens, paléontologue« J’ai confiance en l’homme » PORTRAIT

Publié le 16 Février 2018

Paru dans DNA le 9/2/2018

Après avoir fouillé les origines de l’homme, Yves Coppens publie ses mémoires. Remontant le fil d’une vie scientifique passionnée, il raconte ses découvertes dont Lucy, l’australopithèque, et évoque sa place de savant dans la cité.

Yves Coppens

Yves Coppens

Est-ce que les hommes que nous sommes évoluent encore significativement ?

Les hommes évoluent culturellement depuis 3 millions d’années. Le culturel a pris incontestablement le pas sur le naturel mais l’évolution naturelle ne s’en poursuit pas moins, même si c’est « à bas bruit ».

En Afrique, des populations ont ainsi développé une régulation naturelle contre le paludisme : ils sont devenus résistants à la maladie. L’homme a toujours évolué et il n’y a aucune raison qu’il n’évolue plus.

Diriez-vous que l’homme est de plus en plus culturel ?

Oui incontestablement. Nous sommes dans ce moment où l’homme par le culturel essaie d’agir sur le naturel. Et la nature, brusquée par la culture, réagit. Il se peut que la nature soit plus forte, et il n’est pas sûr d’avoir toujours la parade.

Notre civilisation de plus en plus technologique entrave-t- elle l’évolution de l’homme ?

C’est un présent et un avenir appelé à se développer : il ne faut pas en avoir peur. Bien des machines remplacent avantageusement l’homme, en qualité et précision. Les robots nous laissent le temps de faire autre chose mais il faut continuer à les avoir à l’œil.

A force de pianoter sur nos écrans, est-ce que nos doigts ou nos pouces poussent ?

Je ne sais pas. Mais quand il était petit, je racontais à mon fils que le petit lémurien de Madagascar, l’aye-aye, a un doigt trois fois plus long que les autres parce qu’il cherche les bêtes sous les écorces.

Par sélection naturelle, certains organes peuvent se développer. Un organe de plus en plus utilisé se fixe et permet aux individus qui ont cet organe développé de survivre.

Le dérèglement climatique rappelle à l’homme possesseur et maître de la nature qu’il ne peut pas faire n’importe quoi.

Oui, par la force des choses. L’homme se trouve face à des événements climatiques qui inquiètent, sont majorés et plus fréquents. Je n’appelle pas cela un dérèglement : nous vivons véritablement un changement climatique. Il y en a eu d‘autres mais celui-ci est dû à l’homme et il en a la responsabilité.

L’histoire de l’homme et de la vie a toujours eu partie liée à l’évolution du climat. Quand il change, l’espèce se trouve en déséquilibre. Ou bien elle disparaît, ou bien elle s’adapte pour survivre et évolue. Dans la mesure où l’on est non seulement témoin de ce changement mais aussi acteur, il faut agir.

La nature ne peut pas subvenir à tous nos besoins

Le changement de climat vous paraît-il une menace sérieuse pour l’humanité ?

Je travaille sur l’environnement depuis que Jacques Chirac m’avait confié, en 2001, la présidence de la commission de scientifiques chargée d’élaborer la Charte de l’environnement. Aujourd’hui, je m’occupe d’un certain nombre d’institutions qui étudient le changement climatique et le changement de milieu, et ce que peut devenir l’humanité. L’humanité a peu à craindre du changement climatique, bien plus des mouvements de population qui lui sont liés.

« Le développement ne peut plus être durable », écrivez-vous dans vos mémoires. Pourquoi ?

Le développement était durable à une époque où l’homme pour s’alimenter allait dans la nature pour cueillir des végétaux, chasser et avoir sa viande pour le soir. Aujourd’hui, la démographie croissante empêche le développement durable. La population mondiale a atteint 1 milliard d’humains en 1815, après trois milliards d’années d’histoire de l’humanité, puis nous sommes passés à plus de 7 milliards aujourd’hui, en deux siècles. Cela s’accélère. Or la Terre est limitée : c’est une petite planète, une petite boule, elle a des limites de portage, de ressources. Il faut une alimentation de masse, je suis surpris d’ailleurs qu’on n’ait pas encore inventé une alimentation de synthèse alors que la nature ne peut pas subvenir à tous nos besoins.

Peut-on espérer du génie de l’homme ? La science peut-elle être la garante d’un meilleur avenir ?

J’ai confiance en l’homme car étant conscient des problèmes, il va chercher des solutions. Aujourd’hui, nous sommes encore très fascinés par la nature, alors la possibilité d’une alimentation de synthèse nous paraît très effrayante, mais peut-être qu’un jour ce sera obligatoire, en quelque sorte, pour une production de masse pour une population en croissance.

Vous affirmez que l’on n’est pas dans l’anthropocène, cette nouvelle ère qui caractériserait l’époque de l’action majeure de l’homme sur la planète.

Je n’ai rien contre ce néologisme, un rien fantaisiste, mais en géologie cela ne se justifie pas de changer l’holocène, ère dans laquelle on se trouve toujours, pour l’anthropocène. Si on regarde le passé, l’anthropocène n’est qu’un petit moment qui remonte à environ 200 ans. Si on utilise ce terme d’anthropocène, alors plaçons-le sur l’échelle qui lui appartient. L’histoire de la Terre a 4,6 milliards d’années. Au début, elle est minérale, c’est le minéralocène, puis l’eau arrive par les comètes et les océans se mettent en place, et c’est l’océanocène, puis le biocène avec la vie qui se développe hors de l’eau.

J’ai 100 000 tonnes de granit sur les bras

Qu’avez-vous appris avec Lucy, l’australopithèque découverte en 1974 ?

Lucy est devenue un petit personnage connu dont on pouvait dessiner le visage. Elle est devenue proche des gens et sympathique. On a appris qu’elle avait une double locomotion, elle grimpait comme ceux d’avant, elle marchait comme ceux d’après. Quand on l’a décrite à la fin des années 70, cela surprenait, d’avoir un bestiau qui nous faisait la faveur d’être l’intermédiaire entre les singes qu’on disait être nos ancêtres et nos contemporains ou presque, qui étaient bipèdes exclusifs.

Lucy a longtemps été le plus ancien fossile d’homme préhistorique connu. Depuis, la famille s’est agrandie, avec des membres plus anciens dans la lignée humaine.

Au moment où l’on découvrait les 52 ossements de Lucy en Ethiopie, qui avait 3,2 millions d’années, on avait mis au jour une dent, au Kenya, qui avait 6 millions d’années. J’ai toujours été persuadé que c’était un hominidé qui avait le double d’âge de Lucy. Des fouilles ont ensuite permis la découverte d’Orrorin, 6 millions d’années. Depuis, il y a encore eu Toumaï, 7 millions d’années.

Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?

Je préside le conseil scientifique de la grotte de Lascaux et je m’occupe du projet de copie de la grotte Cosquer, à Marseille.

Je suis très impliqué aussi dans l’inscription à l’UNESCO des monuments mégalithiques du Morbihan, mon département de naissance. Je connais bien les menhirs et les dolmens, leur place est évidente au patrimoine mondial. Je préside un comité scientifique international que j’ai constitué, dans lequel j’ai mis tous les conservateurs de grands sites comparables, comme Stonehenge en Angleterre. C’est amusant, parce que les menhirs m’intéressaient beaucoup quand j’étais enfant, et j’ai bien l’intention d’aboutir. J’ai 100 000 tonnes de granit sur les bras, il faut m’ouvrir la porte.

DNA/Propos recueillis par Nathalie Chifflet 04/02/2018

En quelques dates

1934  : naît le 9 août à Vannes (Morbihan)

1956  : entre au Centre national de la recherche scientifique

1974  : codirecteur de l’équipe qui met au jour le fossile surnommé Lucy, avec l’Américain Daonal Johanson et le Français Maurice Taïeb

1980  : directeur au Muséum national d’histoire naturelle

1983  : élu à la chaire de Paléoanthropologie et préhistoire au collège de France

1985  : élu membre de l’Académie des sciences dans la section Sciences de l’univers

2010  : devient président du conseil scientifique chargé de la conservation de la grotte de Lascaux

2018  : publie Origines de l’homme, origine d’un homme , éditions Odile Jacob.

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Opinions

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C
Article intéressant,optimiste.,mais pessimiste par d'autres aspects..<br /> Quant à la paléontologie humaine le sujet est loin d'être consensuel ,trop politique,et la prudence s'impose de manière absolue.
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H
Tout à fait d'accord avec Christian et Roland, biensûr Y. Coppens a fait de bon travail, mais comme souvent(et je parle de ce que je peux regarder dans la TV allemand), quand les "stars" (les étoiles") n'ont plus l'attention du public, ils publient leurs mémoires. Après........le public se souvient....ou pas...et Beethoven et Fontaine , ont-ils eu besoin de "mémoiriser qc."pour nos enfants et enfants...non,..!!!!?
R
Merci Christian de ce point de vue.<br /> <br /> A vrai dire j'ai eu le même sentiment en lisant cet interview . Certains points positifs mais d'autres me mettent mal à l'aise comme celui de la démographie. <br /> <br /> Sur ce point, il est brutal et n'évoque pas le fait que certains gaspillent sans compter pendant que beaucoup d'autres n'ont rien. Là il fait même un peu peur et en plus parle d'une alimentation de synthèse pour remédier à la faim dans le monde!