Histoire de lichens épisode 16 1ère partie Des organismes à protéger même si difficiles à définir (+Physconia distorta )

Publié le 24 Mars 2018

Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)
Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Physconia distorta Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Nom scientifique : Physconia distorta (With.) Laundon

 

Date de l’observation: 10 janvier 2018 à Zetting


Division des Ascomycota, famille des physiaceae

 

Biotope : corticole sur arbres âgés isolés (Fraxinus, Populus, Tilia..), rarement sur chêne, en bordure de route, dans les pâtures, le long des cours d’eau, dans des conditions assez nitrophiles.

 

Nous arrivons au bout de notre voyage. C’est l’heure dans ce dernier épisode de faire une synthèse mais aussi d’entrevoir l’avenir.

Il y a bien longtemps

 

C’était il y a 680 millions d’années, au pré cambrien. Des champignons et des algues tentent tant bien que mal à survivre sur les roches qui bordent les océans. Des organismes que tout oppose mais qui pourtant vont poursuivre ensemble la grande histoire du vivant.

Une étude de Keller en 2005 a montré que l’installation de la vie sur un support vierge, dans un cours d’eau, s’effectue en 4 mois et que les premiers organismes sont des bactéries, des champignons aquatiques et des algues. Les premières colonisations lichéniques interviennent entre 3 et 5 ans. L’organisation lichénique ne s’est pas faite en un jour et l’évolution vers ces organismes a dû prendre du temps. Les lichens sont les pionniers de la formation des sols en libérant les minéraux de la roche-mère. Ils produisent et accumulent lentement des matières organiques, ajoutés aux produits de l’érosion. Cette accumulation progressive favorise le développement des lichens eux-mêmes, et l’installation d’autres êtres vivants: bactéries, champignons, etc. En présence d’eau, et en utilisant les matières organiques accumulées, les éléments minéraux de la roche-mère, la lumière du soleil, les gaz atmosphériques, tous ces êtres vivants interagissent pour conduire à la lente et complexe formation d’un sol. Dans les pays semi-arides, les lichens forment une couche sur le sol qui le protège de l’érosion et participe aussi à la rétention d’eau. Les lichens, et plus généralement les champignons, ont permis qu’il y a des millions d’années, le phosphore du substrat soit mis à disposition des plantes pour effectuer leur photosynthèse et donc enrichir l’atmosphère en oxygène. N’est-ce pas une cruelle ironie du destin que ces organismes, qui ont rendu indirectement notre atmosphère respirable, payent maintenant le prix de son empoisonnement ?

 

Mais qui sommes nous vraiment ?

 

Définir un lichen reste complexe. La définition la plus pratique est celle qui consiste à reconnaître un lichen comme une entité morphologique et physiologique autonome, composée d’au moins un champignon et d’au moins un partenaire photosynthétique. Si cette dualité est maintenant bien connue, on connaît des cas où un champignon est associé à deux photobiontes, mais aussi où un champignon croît sur d’autres lichens dont il détourne le photobionte pour se lichéniser avec lui, aux dépens du lichen initial. Cette situation d’un champignon colonisateur du thalle d’un lichen présente des variations, l’envahisseur pouvant être toléré par le lichen colonisé sans dommage mais aussi par une destruction du lichen colonisé. Mais un lichen peut aussi s’associer avec une algue à laquelle il n’est pas habituellement associé. Une cohorte de champignons épiphytiques (qui se trouvent sur le thalle) et endophytiques (qui se trouvent dans le thalle) accompagne également le lichen. 1500 espèces sont actuellement décrites. Mais c’est aussi de nombreuses bactéries, aussi bien sur le thalle que dans le thalle, à tel point qu’on parle de BACTERIOBIONTE. Le rôle de ces bactéries nous échappe encore mais des études indiquent qu’elles interviennent dans la défense du lichen via la synthèse d’antibiotiques, l’approvisionnement en azote, soufre et phosphore. Il se pourrait même que les bactéries jouent un rôle dans la structuration du thalle (Grube et Al ;, 2009) et favoriser le processus de photosynthèse en approvisionnant l’algue en vitamines (Grube et Al., 2015)

Enfin, on a découvert récemment que les lichens contiennent des champignons basidiomycètes unicellulaires de type levure. Ces levures sont noyées dans le cortex et leur abondance est corrélée à des variations phénotypiques inexpliquées auparavant. Leur fonction est inconnue.

En bref, le lichen, c’est beaucoup de monde en même temps. J’oserais dire une société avec un mode de vie ou une communauté écologique, avec ses règles, ses systèmes de régulation. Une communauté écologique aussi bien à la surface du thalle que dans le thalle.

Le thalle, structure, créée par ces interactions, héberge une communauté diversifiée de bactéries et de champignons dont les fonctions restent largement obscures. Je définirais donc un lichen comme une communauté écologique en homéostasie, un système où toutes les parties sont interconnectées et subordonnées au maintien de la dynamique de l’unité du tout, face aux variations de l’environnement interne et externe.

Le lichen n’est donc pas seulement une association entre une algue et un champignon, il est constitué par cette association et ne lui préexiste pas. La définition d’un lichen est donc d’abord pratique et n'a guère de sens en termes de biologie de l'évolution. En effet, Le processus de lichénisation s’est produit  à plusieurs reprises au cours de l’évolution des champignons (Gargas et al., 1995) et le mode de vie lichénisé s’est perdu à plusieurs reprises de telle sorte que plusieurs champignons non lichénisés dérivent d’ancêtres lichénisants (Lutzoni et al., 2001). On rejoint la définition indiquée dans le paragraphe précédent, une société, une communauté. Les lichens nous invitent à voir au-delà de la définition classique d’un organisme. Un océan d’interaction dirait Marc André Selosse dont l’ouvrage « Jamais seul » nous aura beaucoup accompagné dans cette série et dont je vous recommande fortement la lecture.

Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)
Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Physconia distorta Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Le choix du champignon

L’association lichénique ne peut prendre naissance que si le champignon recherche l’algue, c’est-à-dire se transporte là où l’algue vit déjà. Le champignon est donc l’attaquant et parmi les algues aériennes, il choisit précisément quelle algue il séquestre. Comment champignons et algues se reconnaissent et interagissent pour former des relations durables demeure une énigme. La communication extracellulaire sans contact cellulaire peut se produire entre les symbiotes de lichen. De nombreux gènes présentant une légère variation d’expression semblent diriger le développement de la symbiose lichénique. Le champignon marque ainsi sa spécificité. Des données récentes suggèrent que la lichénisation et le maintien de la symbiose des lichens pendant des millions d’années d’évolution pourrait avoir facilité des transferts entre les symbiotes d'introns, des portions d’ADN non codantes. Sur quels critères le champignon choisit son algue ? Nous proposerons une hypothèse ultérieurement.

Un mariage pour le meilleur et le pire

Cette union ne semble être qu’apparence. À chaque instant des cellules d’algues sont attaquées et détruites. L’équilibre harmonieux ne semble qu’illusoire. Les algues, dans le thalle, subissent des modifications plus ou moins importantes qui influent sur la reproduction mais aussi la morphologie. Quand deux êtres vivent en commun il n’est pas rare de voir l’un d’eux présenter dans sa forme et dans sa structure des modifications qu’on désigne sous le nom de biomorphoses. Les végétaux atteints par des champignons parasites, les galles causées par les insectes en sont des exemples bien connus. On peut sans hésiter considérer le lichen comme une biomorphose née des interactions de ses constituants. Le champignon est le maître d’œuvre mais il existe toujours des exceptions comme dans le genre Coenogonium où c’est l’algue qui définit la morphologie.

Un équilibre en apparence

Le lichen peut être aussi bien une symbiose mutualiste (les deux ne peuvent vivre isolément) qu’une symbiose antagoniste (un champignon, maître des algues esclaves exploitées ou un champignon qui tue les algues par asphyxie, ou une algue parasite qui se nourrit des matières organiques du substrat grâce au champignon). Le biologiste James Crombie décrit le champignon comme « un parasite qui est habitué à vivre du travail des autres ; ses esclaves sont les algues vertes qu’il a recherchées et auxquelles il s’est accroché pour les forcer à se mettre à son service » Quel que soit le cas, le thalle est le lieu d’une lutte sans trêve et un état d’équilibre doit s’installer dans lequel aucun des organismes ne doit supplanter l’autre. Les acides lichéniques et autres substances spécifiques fabriquées par le thalle jouent peut-être un rôle dans le maintien de cet équilibre. Se comportant à la fois comme un animal et un végétal, le lichen est un écosystème contenant une chaîne alimentaire. L’algue élabore des vitamines qui contrôlent la croissance du champignon, ce dernier élabore des substances qui contrôlent la croissance de l’algue. La survie du lichen est ainsi fondée sur cet état d’équilibre entre les deux partenaires.

Une association pour (sur)vivre

Cette association n’est pas intrinsèquement stable mais les conditions difficiles favorisent l’entraide. Peut-on parler de marché biologique en comparaison avec les marchés économiques humains ? Le champignon, qui a le choix entre plusieurs symbiotes, s’orientera davantage vers celui qui est coopératif et le en lui apportant des quantités de minéraux importants et vice versa. C’est le principe du troc. En tout cas le champignon construit une maison structurée pour l’algue, avec un toit pour le protéger du soleil, de l’eau stockée au rez-de-chaussée et des fondations fixatrices.

Marc André Selosse indique que le mutualisme est souvent une conséquence du milieu lui-même. Des conditions difficiles imposent la coopération. Algues et champignons sont en compétition dans ces milieux difficiles, pas tant pour les ressources mais pour leur développement et maintien. Manger et se protéger rassemblent comme il le dit si justement. Le milieu hostile reste un stabilisateur de l’interaction.

Partager les avantages et les inconvénients

Le champignon paie un double coût à cette association, celui de l’hébergement mais aussi d’avoir sa croissance limitée par l’algue. Il en est de même pour l’algue : le coût de la survie de sa population et le coût d’une croissance limitée par le champignon. Le champignon doit ainsi limiter ses capacités de croissance vis-à-vis de l’algue et réciproquement. Pour que l’un survive, il faut que l’autre survive et la croissance de l’un est limitée par la croissance de l’autre.  Mais à la clé de ces problématiques l’émergence d’une association, d’une nouvelle forme d’organisation, avec un changement d’échelle spatiale (les lichens ont conquis quasiment tous les milieux) mais aussi d’échelle temporelle (le lichen peut survivre des siècles).

Le lichen, un exemple de la théorie symbiotique de l’évolution

À tous les niveaux d'organisation du vivant, seules survivent, et se survivent, les associations à avantages et inconvénients réciproques et partagés. La symbiose émerge du fait que les partenaires ne s’ajoutent pas mais se combinent et s’interpénètrent, se métamorphosent simultanément et indissociablement et une nouvelle entité, unique et différente. Pour les algues et les champignons, malgré les inconvénients, les avantages ont été considérables : coloniser des terres vierges de toute vie et être peu dépendants des fluctuations du milieu extérieur.

La symbiose n’est donc pas une association à bénéfices réciproques mais une association à avantages et inconvénients partagés. Chez les lichens, ce n’est pas un mariage d’amour et d’eau fraîche mais plutôt une association où chaque partenaire ménage l’autre et dans laquelle on peut trouver des manifestations d’agressivité. Une symbiose qui a émergé il y a très longtemps dans un environnement hostile pour augmenter la capacité de survie, l’intégration dans un milieu par une métamorphose de l’organisation de chaque acteur.

Selon la biologiste Lynn Margulis, la symbiose est un facteur clé de l'évolution des espèces. Elle considère que la théorie darwinienne, axée sur la compétition, est incomplète, et affirme qu’au contraire, l’évolution est orientée par des phénomènes de coopération, d’interaction et de dépendance mutuelle entre organismes vivants.




Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )






 

Introduction à Histoire de lichens (épisode 1 /16) et Ramalina farinacea

Histoire de lichens épisode 2/16 :  des pionniers résistants  (et Punctelia subrudecta )

Histoire de lichens épisode 3 -association lichénique  (et Melanelixia glabratula )

Histoire de lichens épisode 4, organisation des lichens

Histoire de lichens épisode 5 : croissance et vie des lichens (et Parmelia sulcata )


Histoire de lichens 6 : ils sont là depuis longtemps et partout (et Lecanora chlarotera)

Histoire de lichens épisode 7 : Une reproduction sexuée à sens unique (et Xanthoria calcicola )

Histoire de lichens épisode 8: reproduction sexuée (et Phaeophyscia orbicularis )

Histoire de lichens épisode 9 : algue et champignon unis pour la vie!! (et Pleurosticta acetabulum )

Histoire de lichens épisode 10 : les lichens conquérants de l’extrême (et Physconia grisea)

 

Histoire de lichens épisode 11 et l’importance écologique des lichens (et Hypogymnia tubulosa )

Histoire de lichens épisode 12: des colosses aux pieds d’argile

Histoire de lichens épisode 13 Vivre au soleil et ne pas mourir (et Parmelina pastillifera)

Histoire de lichens épisode 14 Et si vous vous mettiez à la Lichénologie ? (et Lecanora muralis)

 Histoire de lichens épisode 15 Des lichens et des hommes (et Pertusaria albescens)

Histoire de lichens épisode 16 (et fin)   Des organismes à protéger même si difficiles à définir (+Physconia distorta )

Histoire de lichens épisode 16- 2ème partie Des organismes à protéger même si difficiles à définir

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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Commenter cet article
C
La dernière étape d'un voyage qui laisse profondément pensif devant la diversité et surtout la richesse des réponses apportée par la vie pour son maintien,son extension.<br /> Cette fin est aussi ,le désir comme un peu "celui" du lichen,j'anthropomorphise volontairement, d'aller plus loin dans la découverte des symbioses organiques dans la nature.<br /> Mais, aussi ,un voyage qui laisse bien pensif ,et surtout très humble.
Répondre
G
Bonsoir Christian,<br /> Si vous voulez approfondir la notion de symbiose, je ne peux que vous recommander la lecture de "Jamais seul" de Marc André Selosse, un livre d'une incroyable richesse sur ce sujet.<br /> L'étude des lichens m'a emmené très loin dans cette étude pour une conclusion surprenante qui sera développée dans la deuxième et dernière partie de ce dernier épisode