“Les rivières et les fleuves ne sont pas les variables d’ajustement de l’industrie”

Publié le 18 Septembre 2020

centrale à béton

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Paru sur Laviele 8/9/2020

Deux grands fleuves français, l’Aulne et la Seine, ont été pollués cet été par des rejets industriels. L’occasion pour l’association environnementale Eau et rivières de Bretagne et son directeur Arnaud Clugery de rappeler leur combat : la défense d’un bien commun menacé par des pratiques d’un autre âge.




Coup sur coup, deux graves pollutions de fleuves sont intervenues cet été. L’une, le 17 août, due au déversement dans l’Aulne du contenu d’un bac de digestat d’une usine de méthanisation à Châteaulin (Finistère) appartenant au groupe Engie et privant 180 000 personnes d’eau potable pendant plusieurs jours. L’autre, le 1er septembre, avec le déversement par le groupe Lafarge de plusieurs centaines de litres d’eaux usées contenant des particules de ciment et des tiges de fibre plastique directement dans la Seine, en plein cœur de Paris, ce qui a entraîné l’ouverture d’une information judiciaire. L’association environnementale Eau et Rivières de Bretagne, fondée il y a 50 ans à Carhaix (Finistère) pour lutter contre les pollutions des cours d’eau, s’en inquiète par la voix de son nouveau directeur, Arnaud Clugery.

Que vous inspirent ces faits, que l’on croirait tout droit sortis des années 1970, quand l’environnement n’était guère pris en compte ? 

Bien que la prise de conscience citoyenne de protéger les milieux naturels et les écosystèmes a progressé en 50 ans, le combat pour la qualité de l’eau ne s’arrête jamais. Ce que nous constatons dans ces deux cas de figure, c’est la défaillance de processus industriels qui sont pourtant censés avoir intégré la dimension environnementale. Comme s’il y avait une sorte de déconnexion entre le lieu de production et le réseau hydrographique. Pourtant, l’étude des dangers, qui doit prévaloir à toute mise en service d’une industrie potentiellement polluante, ne peut pas considérer qu’en cas d’accident la rivière s’en remettra. Au contraire, les rivières doivent être considérées comme des sanctuaires. Pour nous, c’est clair : les rivières et les fleuves ne peuvent pas être les variables d’ajustement de l’industrie.

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Ce ne sont pas de petites PME qui sont mises en cause, mais de grands groupes industriels : Lactalis a été condamné en 2019 à 100 000 € d’amende pour des pollutions qui avaient débuté en 1942. Or, ces sociétés affichent souvent un discours « vert », comme la méthanisation ? 

C’est une forme d’hypocrisie latente de certains grands groupes. Certes, ils ont bien compris la nécessité de se mettre à la page de l’écologie, mais tout en ne transformant pas en profondeur leurs modes de pensée et d’action. C’est particulièrement flagrant chez Lactalis, qui a fait le calcul de ne pas mettre en œuvre les investissements nécessaires à la protection de l’environnement. C’est une vision de court terme qui devrait être révolue et qui ne prend pas en compte l’eau comme un bien commun. Nous réclamons d’ailleurs un moratoire sur la méthanisation, un processus qui a sans doute bénéficié d’une image trompeuse, y compris chez nous. Le principe de la méthanisation, qui vise à produire du gaz – et non du biogaz – avec certains déchets agricoles, comme les résidus de céréales et les déjections animales, a bénéficié au début d’un a priori technologique favorable au nom de l’économie circulaire, mais son développement à une grande échelle industrielle nous pose question. Ce que nous avons compris, c’est que la méthanisation, telle qu’elle se pratique en Bretagne, vient au contraire renforcer un système agroalimentaire, notamment les élevages industriels, contre laquelle les petits paysans, les écologistes et nous-mêmes nous battons depuis des années : un modèle agricole qui n’a rien de durable.

Les rivières doivent être considérées comme des sanctuaires.

Votre association a été créée il y a 50 ans en Bretagne pour mettre fin à ces pollutions, notamment aux algues vertes. Quel bilan tirez-vous de ce demi-siècle de combat ?

Forcément un bilan en demi-teinte : si nous avions atteint tous nos objectifs, notre association ne serait plus là. Côté réussite, nous avons préservé et réintroduit des espèces animales particulièrement emblématiques dans nos rivières, comme le saumon et la loutre. Nous avons également réussi à imposer un débat public sur la protection et les usages de l’eau en Bretagne. Il est sans doute encore clivant, mais il est permanent. Peut-être faut-il que nous insistions davantage, comme nous l’a recommandé Jean-Claude Pierre, notre fondateur, sur la dimension culturelle et affective de nos cours d’eau bretons. En parlant de la rivière autrement que par sa température et son taux de nitrates, mais aussi de ses aspects spirituels et symboliques. Côté échec, les algues vertes sont sans doute un des points noirs les plus visibles – algues vertes que notre modèle industriel agricole a même réussi à exporter en Vendée et en Charente-Maritime, jusqu’aux îles de Ré et d’Oléron !

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Vous venez justement de porter plainte contre l’État français pour non-respect de la directive européenne sur les eaux de baignade, ce qui a provoqué la colère de la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) de Bretagne, qui vous accuse de dégrader l’image de la Bretagne.

Ce qui dégrade l’image de la Bretagne, ce ne sont pas les lanceurs d’alerte qui tiennent le thermomètre, mais les atteintes à l’environnement, comme les algues vertes et les interdictions de baignade. Être dans le déni et vouloir passer sous silence ces faits, c’est faire la politique de l’autruche. Vouloir réduire la question de la présence des bactéries dans les eaux de baignade à des problèmes d’assainissement et de stations d’épuration des villes, c’est oublier tout le volet des problèmes liés aux épandages agricoles.

Peut-être faut-il que nous insistions davantage sur la dimension culturelle et affective de nos cours d’eau bretons.

Où en est en France l’application de la directive européenne sur l’eau, qui prévoyait un bon état écologique des rivières pour 2015, un objectif repoussé aujourd’hui à 2027…

Très loin. En France, c’est un peu plus d’un tiers de nos rivières qui seraient en bon état écologique, en Bretagne c’est à peine 27 % et en Ille-et-Vilaine, le département le plus à l’est de la région, c’est seulement 3 % ! Certains se complaisent à dire que c’est l’Europe qui nous impose des mesures et des normes, mais c’est le fruit de décisions collectives pour préserver des biens communs et que nous n’appliquons pas.

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Les contrôles de l’État, chargé notamment de la biodiversité, sont-ils suffisants ?

Les coups de boutoir sans cesse répétés contre la fonction publique et le nombre de fonctionnaires, notamment à chaque élection, se traduisent par une baisse de la qualité de ce contrôle public. On l’a vu dans les installations classées pour la protection de l’environnement à Lubrizol à Rouen et nous le voyons dans les nombreux accidents dans les élevages industriels en Bretagne. Il y a 10 ans, le Premier ministre François Fillon s’était engagé à renforcer les contrôles dans les baies et les territoires à algues vertes, c’est le contraire qui s’est passé ! On s’en remet à l’autocontrôle, voire à de simples déclarations d’enregistrement et non plus à des autorisations. Il faut remettre les études d’impact et la notion de préjudice écologique au centre de notre droit de l’environnement.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Pollution-pesticides

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