Le terrassier des bois

Publié le 3 Avril 2015

Après avoir frôlé la disparition en Alsace, les populations de blaireaux se sont reconstituées, ont réintégré les terriers abandonnés, parfois au risque de déstabiliser des activités humaines.

Pascal Gérold suit l’activité des blaireaux dans trois terriers autour de Wissembourg. Photo : DNA – Laurent Réa

Pascal Gérold suit l’activité des blaireaux dans trois terriers autour de Wissembourg. Photo : DNA – Laurent Réa

Là dans la pente, sur les hauteurs de Weiler, annexe de Wissembourg, une bombe toute terreuse et cabossée de chloropicrine, ce gaz utilisé pour exterminer les renards dans le cadre de la lutte contre la rage. Le poison était pulvérisé dans les terriers sans que l’on se soucie de l’identité de leurs occupants. Le blaireau y a presque perdu toutes ses populations en Alsace et n’a dû son salut qu’à la généralisation de la vaccination des renards par voie orale à partir de 1986 et l’interdiction du produit trois ans plus tard.
Le terrassier des bois

«Animal nocturne, sa vue est très basse mais son odorat est plus de 700 fois supérieur au nôtre»

À côté du vestige empoisonné, une coulée, petit sentier tracé année après année par les blaireaux qui ne dévient jamais de ces itinéraires d’accès à leur terrier. « Ces coulées sont typiques de l’animal, confirme Pascal Gérold, animateur-responsable de projets à la maison de la nature de Munchhausen et observateur assidu du mustélidé dans les Vosges du Nord (lire ci-dessous). Animal nocturne, sa vue est très basse mais son odorat est plus de 700 fois supérieur au nôtre alors, pour retrouver son chemin la nuit, il le marque avec ses glandes odoriférantes qu’il a entre les doigts de ses pattes ».
Les terriers sont généralement creusés dans une pente parce qu’en bon ingénieur de terrassement, l’animal évacue ainsi plus facilement les déblais en contrebas. Les cônes de terre sillonnés par une « gouttière » à l’image d’un toboggan à l’aval des trous d’entrée sont un autre identifiant du blaireau tout comme l’absence de déjection à proximité immédiate ; le blaireau s’aménage des latrines, des trous dans le sol un peu à l’écart de son gîte. D’ailleurs l’odeur d’urine qui plane autour d’une des gueules du terrier et un excrément en forme de saucisse laissent à penser qu’une partie des galeries « est squattée par une famille de renards », note Pascal Gérold. Non seulement le blaireau ne peut s’empêcher d’aménager et d’agrandir constamment son logis, jusqu’à creuser des terriers secondaires pour changer de temps en temps d’horizon mais il est très tolérant.
Le terrassier des bois

HLM accueillant

Il accueille, en plus de sa famille composée généralement d’une demi-douzaine d’individus, des cousins mustélidés (martres, fouines, putois) ou/et des renards. « Ce sont de véritables HLM pour la petite faune » et la cohabitation se passe d’autant mieux que le terrier comporte de nombreuses galeries et « que les autres animaux se gardent bien d’aller embêter le blaireau dans celles qu’il occupe ». L’animal est puissant, sa mâchoire redoutable, ses griffes acérées.

Farouche et inoffensif

« Mais en plus de son caractère discret et farouche, il est totalement inoffensif », insiste le naturaliste. Il y a quelque temps, des habitants de Lembach s’inquiétaient d’en rencontrer parfois des traces dans les rues ou jardins mais le blaireau ne présente aucun danger direct pour l’homme. Ponctuellement, il peut provoquer quelques dégâts dans un champ de maïs mais dans des proportions infimes, sans commune mesure avec ceux que peut occasionner une harde de sangliers. Omnivore, il se délecte de vers de terre qu’il trouve en fouillant et creusant le sol qu’il aime meuble, de coléoptères, de limaces, de tubercules, de racines, de fruits, parfois de grenouilles. Après les longs mois d’hiver où elle limite ses activités sans pour autant hiberner, la famille blaireau va redoubler d’activité dans les prochains jours. Et Pascal Gérold se postera à nouveau devant les terriers pour espérer assister, au crépuscule, à la première sortie des blaireautins nouveau-nés.
DNA-Simone Wehrung 29/03/2015
Pascal Gérold, membre fondateur et ancien président de l'ANAB. Photos : DNA

Pascal Gérold, membre fondateur et ancien président de l'ANAB. Photos : DNA

La gestion du risque

Occasionnellement, le blaireau peut provoquer quelques dégâts par ses fouilles alimentaires dans un champ de maïs ou un terrain de football. Mais ce sont surtout ses travaux de terrassement qui posent problème quand ils rendent le sol instable.
La LPO Alsace et le GEPMA se sont investis dans la recherche de solutions.
En Alsace, sur la base d’un comptage des terriers dans des zones représentatives des milieux naturels, le GEPMA a estimé le nombre de blaireaux à environ 11 000. Photo : Pascal Gérold

En Alsace, sur la base d’un comptage des terriers dans des zones représentatives des milieux naturels, le GEPMA a estimé le nombre de blaireaux à environ 11 000. Photo : Pascal Gérold

Avec la reconstitution de ses populations, le blaireau s’est remis à creuser des galeries, de préférence dans les talus et les côtes. Tant et si bien que la SNCF a dû couler du béton dans les terriers creusés dans les remblais sous les voies pour éviter les affaissements, s’attirant les foudres des défenseurs des animaux. Elle ne le fait maintenant plus sans s’être assurée au préalable que les galeries sont inoccupées.
Dans le piémont vosgien dont la terre est appréciée des blaireaux, les terriers présentent un risque certain pour les viticulteurs dont les tracteurs peuvent basculer en cas d’effondrement des galeries. La tentation de tuer les blaireaux ou de boucher les trous est alors grande mais c’est au mieux inutile, au pire cruel.
« Il est illusoire de vouloir chasser les blaireaux de leur terrier, explique Christian Braun, directeur de la LPO Alsace qui a proposé sa médiation pour tenter de trouver une solution en lien avec le GEPMA (groupement d’étude et de protection des mammifères d’Alsace). Ils sont très attachés à leur territoire et si les galeries sont bouchées, ils creuseront facilement une nouvelle ouverture. L’élimination des animaux n’est pas plus efficace car cela revient à rendre les lieux disponibles pour d’autres individus qui viendront tôt ou tard ».

« On pense même à lui aménager des terriers artificiels »

Avec le soutien de la Fondation de France et l’aide d’une dizaine de viticulteurs, diverses solutions, répulsifs et habitats alternatifs, ont été testées jusqu’à définir la bonne attitude à adopter. Quand la cohabitation entre un terrier et une activité agricole est impossible, l’idée est de faire fuir durablement les individus du site en utilisant un répulsif olfactif à base de savon et de piment et d’obturer les galeries (faire couler progressivement la terre par un flux d’eau) une fois la désertion du site avéré. Des clapets anti-retour ou l’installation de clôtures électriques peuvent servir de compléments mais dans tous les cas, « l’utilisation de ces techniques, pour qu’elles soient efficaces, suppose une parfaite connaissance des moeurs de l’animal » prévient le service médiation Faune Sauvage de la LPO qui met son expertise à disposition ( ✆ 03 88 22 07 35 ).
Il faut également garder à l’esprit qu’une famille chassée d’un terrier ira s’en construire un autre à quelque distance de là : il est donc nécessaire de lui réserver un espace potentiellement favorable comme un bosquet ou un talus végétalisé et sans risque pour les humains. « On pense même à lui aménager des terriers artificiels, indique Christian Braun. Dans le Haut-Rhin, en quelques endroits des digues de l’Ill, les terriers peuvent représenter des vrais risques. L’idée est d’enterrer des buses en béton un peu plus loin, en espérant que les blaireaux chassés des digues viendront s’y installer ».
La chasse aux blaireaux est interdite dans le Bas-Rhin et réglementée dans le Haut-Rhin. Ce n’est pas un nuisible, il ne peut donc être piégé.
DNA-Simone Wehrung 29/03/2015
Photos : Pascal Gérold
Photos : Pascal Gérold
Photos : Pascal Gérold

Photos : Pascal Gérold

Plaidoyer pour un mustélidé 

Frappé par l’incompréhension, l’ignorance et parfois la peur qui accompagne la cohabitation entre l’homme et le blaireau, Pascal Gérold a écrit un livre pour raconter le quotidien d’un clan au fil des saisons et expliquer les moeurs de ce sympathique animal. Sous le titre Le crépuscule des blaireaux , allusion à la fois à la vie nocturne du « petit ours des bois » et aux menaces qui pèsent sur l’espèce, l’auteur communique avec poésie sa tendresse pour le mustélidé au minois blanc et noir. Son propos est enrichi de fiches scientifiques sur la base des travaux du spécialiste de la biologie du blaireau, Emmanuel Do Linh San, qui a d’ailleurs préfacé le livre.
L’ouvrage publié par I.D. l’Édition sera disponible en librairie à partir du 7 avril 2015 au prix de 10 €. On peut d’ores et déjà le commander auprès de l’éditeur (id.edition@wanadoo.fr ou ✆ 03 88 34 22 00).
Ensemble d'articles parus dans les DNA (29 mars 2015)

Rédigé par ANAB

Publié dans #Actu-conf-films-expo

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R
Bonjour Stephan,<br /> <br /> merci de tes commentaire sur notre blog.<br /> <br /> Voici quelques années j'avais proposé au Gepma de faire circuler sur les différents secteurs géographiques d'Alsace les listes des suiveurs de terriers. L'idée était de créer des petits groupes pour discuter sur ce sujet et de visiter d'autres terriers. Cela n'a jamais abouti.<br /> <br /> Ici dans notre région je connais en principe la totalité des suiveurs de terriers.<br /> Nous nous rencontrons au cours de sorties ou en organisons à l'occasion.<br /> <br /> Tu pourrais faire pareil dans ta région.<br /> Faire une sortie commune avec l’Anab serait difficile puisque nous sommes éloignés de 200km.<br /> Quoique ?<br /> <br /> Ma nièce fait du suivi dans le Sundgau et avait les mêmes demandes que toi.<br /> <br /> Peut être le Gepma pourrais t'aider en te donnant quelques noms de suiveurs ?<br /> <br /> Bonne chance, et merci d’autres remarques sur notre blog et informations de ta part.<br /> <br /> Roland
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S
Je ne connaissais pas l'ANAB et le travail de Pascal GEROLD. C'est passionnant ! Merci pour ce blog. Je suis des terriers près de Mulhouse pour le suivi du GEPMA. Je pense qu'il serait intéressant de discuter entre spécialistes et amateurs pour mettre nos expériences en commun.
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R
I was actually captured with the piece of resources you have got here. Big thumbs up for making such wonderful blog page and keep it up.
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F
Très bon article! Et bravo à Pascal Gerold!
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