Sur les traces de la cigogne noire

Publié le 14 Septembre 2015

Sébastien Morelle recherche des nids de cigognes noires dans le massif des Vosges du Nord depuis une décennie. Enfin, avec un groupe de passionnés, il a trouvé (DNA du 22 août). Cerise sur le gâteau, le dernier nid découvert est en Alsace.
Sur les traces de la cigogne noire
Cela fait une dizaine d’années que Sébastien Morelle, naturaliste au Parc naturel régional des Vosges du Nord, cherche des cigognes noires. Il en a toujours été convaincu, elles nichent ici. « Des mâles reproducteurs avaient été vus plusieurs fois en train de survoler des massifs forestiers favorables, à la période de reproduction. Il se passait forcément quelque chose ! »
Une aiguille dans une botte de foin
Pourtant, en Alsace, la dernière fois qu’un couple de cigognes noires a été repéré remonte au début du XIXe siècle. Alors, les collègues de Sébastien Morelle ont un peu de mal à le croire. Qu’à cela ne tienne, il poursuit ses recherches. Le Parc s’étend sur 135 000 hectares, et c’est aussi frustrant que de chercher une aiguille dans une botte de foin.
Il est possible de faire quelques vagues déductions en les observant en vol. Mais le domaine de vie de la cigogne noire s’étend sur 800 km². « Quand on l’aperçoit, elle peut être à 30 km de son nid. C’est exactement le négatif de sa cousine blanche, par la couleur et par le mode de vie aussi. La blanche s’éloigne peu de son nid, ne craint pas l’homme et niche sur des sites à découvert. »
Un matin, il y a dix ans, Sébastien Morelle se rappelle en avoir vu une près de chez lui, à Ratzwiller. « En deux virages entre les arbres, elle m’avait semé. » Il continue à chercher dans la zone, chaque hiver, afin de ne pas déranger les oiseaux. De plus, en l’absence de feuilles, il repère mieux les grands nids de près de deux mètres d’envergure et 40 centimètres de haut.
Puis un jour, le naturaliste est amené à travailler avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO), en vue du projet éolien de Dehlingen. L’association était missionnée pour étudier les risques pour le milan royal, autre grand oiseau en danger. Les deux volatiles ont beaucoup de points communs, notamment l’habitat, et la Ligue s’intéresse aux recherches de Sébastien Morelle.
Un groupe informel se constitue, avec des membres de l’office national des forêts (ONF), qui anime le réseau national « cigogne noire ». Le champ d’investigation est réduit à l’habitat traditionnel de l’oiseau : les forêts reculées, escarpées, où se trouvent les arbres charpentiers tels les chênes. « Les uns informaient les autres des zones prospectées en vain, pour éviter de perdre du temps. »
En hiver 2012 enfin, un forestier affirme qu’il a repéré un nid au nord du pays de Bitche, sur la réserve des tourbières et rochers. Au printemps suivant, des recherches simultanées sont organisées dans ce coin. La technique est rudimentaire : il faut se poster sur un point haut, rare dans les Vosges du Nord, armé de jumelles ou d’une longue-vue, et attendre.
« À notre connaissance, c’est le premier cas de nidification réussie en Alsace depuis très longtemps ! »
La période où les cigognes noires bougent est courte. « Courant mars, elles arrivent, puis elles pondent et couvent pendant un mois. Quand les petits naissent, au début seul un des adultes va chercher de la nourriture, puis au bout de 15 jours les deux. C’est donc fin mai, début juin la meilleure période pour les observer en vol, mais elles ne reviennent au nid que toutes les deux heures environ ! »
Les naturalistes attendent une heure, deux heures, parfois toute la journée. Enfin, miracle, le nid est trouvé. Malheureusement, à leur arrivée, ils découvrent les cigogneaux morts. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. L’information a fuité et les oiseaux ont peut-être été dérangés. C’est peut-être aussi un prédateur, une marte par exemple. En tout cas, il n’y a plus rien sur ce nid. »
L’année suivante, en juin 2014, les recherches sont reconduites, côté alsacien. « J’avais rendez-vous avec les autres à 10 h. Je suis arrivé plus tôt et j’ai eu de la chance. J’ai vu une cigogne noire piquer vers un massif à 4 ou 5 km de l’endroit où je me trouvais. On suspectait déjà cette zone, mais on avait conclu que c’était juste une zone de passage. »
Sébastien Morelle tente de déterminer la zone avec quelques points de repères, comme les arbres alentours. Il rejoint l’équipe et tous partent à la recherche du nid. À quelques centaines de mètres de l’endroit supputé, déjà en Moselle, quelque part entre le pays de Bitche et l’Alsace Bossue, le naturaliste le trouve.
Deux jeunes d’une cinquantaine de jours, bien vivants, attendent leurs parents. « L’endroit était improbable pour moi, beaucoup moins reculé que je ne me l’imaginais. Je n’aurais jamais cherché là. » Le groupe désigne l’un d’entre eux, qui sera le seul à se rendre sur place pour vérifier l’évolution des petits. Ce sera un agent de l’ONF basé à Volksberg.
Les agents de l’ONF craignent surtout les curieux
Le protocole de l’ONF est mis en place. Quand un nid est trouvé, il faut d’abord prévenir le propriétaire de la parcelle. Par chance, tous les nids du Parc sont pour l’instant situés en forêt domaniale, gérée par l’ONF. Les agents craignent surtout les curieux, ce pourquoi le secret est gardé sur l’emplacement des nids.
Il est interdit de couper les arbres autour du nid dans un rayon de deux fois sa hauteur. Toute forme d’activité humaine est à éviter en présence des oiseaux, de février à septembre : chasse, travaux forestiers ou routiers, randonnées… « C’est au gestionnaire d’y veiller, et ce n’est pas toujours simple ! »
Cette année, en juin, les investigations ont repris dans le massif vosgien, et en juillet un autre couple est repéré, en Alsace ! Des agents de l’ONF ont trouvé un nid avec trois jeunes. « À notre connaissance, c’est le premier cas de nidification réussie en Alsace depuis très longtemps ! » L’agent de Volksberg s’occupe désormais du suivi des deux nids.
Ainsi, cette année, deux couples d’adultes ont niché dans le parc et sept cigogneaux sont nés, quatre dans le premier nid, trois dans le second. « Nous les avons tous bagués. J’ai hésité, mais l’ONF bague des cigogneaux en France depuis dix ans, ils assurent que jamais cela n’a causé d’abandon de la part des parents, ils sont rapides, pro, ils savent quand baguer. Alors on l’a fait. »
« Je suis persuadé qu’il y a au moins deux autres couples dans le Parc»
Il serait peut-être plus révélateur de doter les adultes de balises, mais c’est fastidieux, et pas forcément efficace. « Il est tentant de bricoler en collant des émetteurs à chaque oiseau, mais il faut savoir ce qu’on cherche. Si on se rend compte qu’un problème survient pendant la migration en Afrique, à notre échelle on ne pourra rien faire. »
Au Parc, il n’y a pas de programme scientifique spécifique autour de la cigogne noire. Les recherches entrent dans les attributions globales des naturalistes. « Faut-il continuer les recherches au risque de les déranger ? La question se pose. Moi, je crois qu’il est important de quantifier pour pouvoir protéger. Et je suis persuadé qu’il y a au moins deux ou trois autres couples dans le Parc… »
Informations complètes sur les actions entreprises par le réseau « Cigogne noire », coordonné par la LPO et l’ONF au niveau national, sur le site www.cigogne-noire.fr  

DNA-Marie Gerhardy (05/09/2015)

Rédigé par ANAB

Publié dans #Protection animale

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