COP21 : le mot qui a failli faire capoter l’accord
Publié le 16 Décembre 2015
« Dans les documents juridiques internationaux, de petits mots peuvent avoir de grandes conséquences. Dans l’accord sur le climat, le mot le plus crucial est sans doute shall [doivent]. Car dans ce cadre, shall est juridiquement contraignant », écrivait dès le 5 décembre The New York Times sur les négociations de la COP21. Une semaine plus tard, alors que le texte vient d’être adopté par 195 pays, preuve en est que le quotidien américain avait raison.
Ces cinq lettres, apparues dans la version finale de l’accord, ont affolé l’administration Obama à quelques heures de la présentation du texte : le terme avait remplacé le moins contraignant should (devraient) dans le paragraphe 4 de l’article 4 de la version précédente. Il était alors écrit que « les pays développés doivent continuer à être en première ligne pour mener à bien des plans nationaux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ».
« Quand j’ai vu ça, j’ai dit : “On ne peut pas faire ça et on ne va pas faire ça.” Soit le terme était changé, soit le président et les Etats-Unis ne pourront pas être en mesure de soutenir ce texte », a raconté le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à Politico après la ratification de l’accord.
L’obstacle du Sénat américain
Car, la phrase en l’état aurait sans doute conduit le texte à passer devant le Sénat, ce que voulait à tout prix éviter l’administration Obama. Les républicains, dont nombre d’élus sont climatosceptiques, y sont majoritaires et n’auraient jamais validé l’accord.
Si le mot de la discorde a finalement été changé, le Conseil national de défense des ressources naturelles (Natural Ressources Defense Council) affirme sur son blog que le gouvernement fédéral n’aurait pas eu besoin de l’aval du Congrès. « L’article 4 ne crée pas une nouvelle obligation juridique internationale. Elle réitère celles déjà contenues dans l’article 4 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992. » Or, rappelle l’organisme, les Etats-Unis ont à l’époque ratifié cette dernière par un vote écrasant du Sénat.
Rôle-clé de la Chine
Reste que le remplacement du mot a été perçu par certains pays comme un changement significatif justifiant une réouverture des négociations rapporte ABC. Le Nicaragua, farouchement opposé au texte, aurait tenté de saisir cette opportunité pour obtenir des modifications substantielles. « Il a fallu des interventions au plus haut niveau, à la fois avec le président américain Barack Obama et le dirigeant cubain Raul Castro » pour amener Managua à faire marche arrière.
Autre personnage clé de ce psychodrame à l’épilogue heureux : la Chine. Selon ABC, Pékin a fait largement pression pour que les autres nations valident l’utilisation du « should » à la dernière minute. Comme le rappelle Politico, si les Etats-Unis n’étaient pas partie prenante de l’accord, la Chine ne l’aurait pas non plus signé.
Le Monde.fr (13 décembre 2015)