L’histoire du monde vue d’un champignon
Publié le 1 Décembre 2015
Cet article m’a été, par certains aspects, inspiré par l‘émission de France Culture "Continent Sciences" dont le thème le 9 novembre 2015 était "La vie serait-elle possible sans les champignons ? ".
Les lichens seraient les premières "plantes" qui, il y a 600 millions d’années, ont conquis la Terre. Véhiculées dans des gouttelettes d’eau maritimes apportées par le vent, des micro algues se sont déposées sur les rochers. S’associant à un champignon, elles se sont fixées sur les parties humides et ensoleillées des roches, ayant besoin d’eau et de soleil pour vivre. Cette étonnante association entre un champignon et une algue signait le 1er acte de la conquête du milieu terrestre.
Des coopérations entre végétaux et mycètes (terme scientifique pour désigner le champignon) existaient donc déjà. Les scientifiques n’excluent pas l’hypothèse que les mycètes ont permis aux végétaux à cette époque de partir à la conquête du milieu terrestre en commençant à digérer le sol et ainsi préparer le terrain.
Cette coopération défie le temps puisque aujourd’hui, près de 90 % des plantes vivent en association avec des mycètes.
Leur rôle dans la biosphère est fondamental ! Par exemple, sans eux, les arbres forestiers étoufferaient littéralement sous leurs débris. Ils recyclent, avec d’autres organismes, les débris pour former l’humus.
Certains scientifiques n’hésitent pas à dire que sans eux, la vie s ‘effondrerait sur terre. Sans aller jusque-là, on vit toutefois aujourd’hui sur un monde de mycélium.
Le mycélium est la partie souterraine du mycète, constitué de filaments agglomérés : les hyphes. Le champignon que l’on peut cueillir, ne constitue que la partie aérienne du mycélium, appelé scientifiquement un sporophore, structure de fructification qui dissémine les spores et qui n’est présent qu’à certains moments de l’année, pour le plus grand bonheur des mycophages et mycologues.
Certaines peuplades préhistoriques avaient des chamans qui consommaient certains types de champignons pour entrer en transe. Le chercheur Robert G. Wasson n’hésite pas à poser la question quant aux rôles des champignons hallucinogènes dans la naissance du phénomène religieux chez l’homme, l’émergence du sentiment de divinité (caractère entheogène) via les effets des champignons hallucinogènes.
Vers environ –4500 av. JC, un chasseur cueilleur du néolithique trouva la mort non loin des dolomites. Enseveli sous la glace, son souvenir est parvenu jusqu’à nous sous le nom d’Ötzi. Les scientifiques ont découvert dans sa besace deux restes de champignons dont le polypore amadouvier (Fomes fomentarius). Notre chasseur s’en servait comme briquet portatif pour faire du feu. Le polypore amadouvier est une espèce qui a vraisemblablement contribué à la nomadisation de l’homme et son expansion territoriale en lui fournissant l’amadou, un combustible indispensable pour faire du feu sans avoir besoin de conserver et transporter des braises.
Après avoir permis aux plantes de conquérir la terre ferme, le champignon permettait ainsi à l’homme de conquérir de nouveaux territoires.
De nombreuses légendes populaires, presque toutes originaires d’Europe Centrale, sont consacrées aux champignons. La mythologie scandinave les voit naître de gouttes d’écume tombées de la bouche de Sleipnir, cheval d’Odin.
Le héros de la mythologie grecque Persée, s’abreuva un jour de l’eau contenue dans le chapeau d’un champignon et décida de fonder à cet endroit la ville de Mycènes (champignon en grec).
Plusieurs personnalités on fait les frais des champignons, morts par empoisonnement. On peut citer les empereurs romains Britannicus en 55 et Claude en 57, le pape Clément VII en 1534 et l’empereur germanique Charles VI en 1740.
Au Moyen Age, nombre de victimes ont succombé au feu de St Antoine, appelé le mal des ardents ou peste de feu. On sait depuis 1777 par l’abbé Teyssier que cette maladie est une mycotoxicose due à l’ergot de seigle (Claviceps purpurea). Peut-être que ces décès soudains et inexpliqués à l’époque ont dû alimenter nombre de superstitions et faire des dégâts collatéraux.
Le champignon est également un associé des plaisirs de la table. La levure, champignon unicellulaire, est un acteur clé dans le processus de fermentation qui nous fait apprécier le vin, la bière et le pain. D’autres champignons interviennent également dans la fabrication de nombreux fromages. Combien d’accords ont pu être conclu autour d’une bonne table grâce au discret travail des champignons ? C’est sans oublier également l’importance des mycéliums dans la capacité d’absorption des minéraux par les racines des plantes.
Sans les champignons, les rendements chuteraient.
En 1845 la moisissure Phytophthora infestans a décimé les pommes de terre en Irlande, causant le départ de nombreux rescapés vers l’Amérique du Nord. En 1847, 90 000 irlandais sont partis vers le Canada.
A partir de 1878, le mildiou de la vigne (Plasmopara viticola) a presque détruit l’industrie du vin en France. Pensons également à Alexander Fleming, découvreur de la pénicilline, substance anti microbienne fabriquée par un champignon. Tout un champ de recherche, la mycothérapie, s’intéresse à d’éventuelles propriétés thérapeutiques des champignons, par exemple dans le cas du cancer.
Alors que l’homme cherche à modifier le climat, certains champignons sont déjà capables à leur échelle de cette prouesse. En effet, les spores sont enduites d’un sucre, le mannitol, capable d’absorber l’eau. L’eau s’évapore ensuite en tractant les spores qui, une fois en l’air, continuent à absorber l’eau jusqu’à former des précipitations.
A l’heure d’Internet, les réseaux mycéliens et ses connexions mycorhiziennes inspirent à certains chercheurs des analogies avec le système immunitaire ou le réseau du Web. Des recherches appliquées s’intéressent aux trajets mycéliens avec des applications pour optimiser les réseaux autoroutiers. Peut-être qu’un jour la route sur laquelle vous circulerez aura été inspiré par un champignon...
Le 19 mai 2009, la fusée Minotaure 1 de la Nasa a décollé des Etats Unis. A son bord, un petit satellite rempli de levures pour diverses expériences. Après avoir aidé la vie à conquérir le milieu terrestre, influencé l’histoire de l’homme, voilà maintenant les champignons prêts à partir à la conquête de l’espace.
Témoin et acteur discret de l’histoire de la vie et de l’humanité, l’avenir de notre espèce passe certainement par les champignons. Avec 1.5 millions d’espèces estimées sur terre alors qu’on n’en a identifié que 120 000 (moins de 1 %), il reste beaucoup de choses à découvrir sur ces organismes ni animaux ni végétaux.
Quand vous croiserez un champignon dans la forêt, ce n’est pas seulement un organisme fondamental dans l’écosystème que vous rencontrerez, mais aussi un membre d’un règne biologique sans lequel toute l’histoire du monde ne serait peut-être pas la même !