L’école au jardin
Publié le 29 Janvier 2016
Tous les jours, deux classes de tout-petits de Hautepierre expérimentent la nature et la liberté d’apprendre par soi-même. La réalisatrice Mariette Feltin les a suivies un an. Un film inspiré, sur une pédagogie innovante, à voir s'il passe près de chez vous....
Tous les jours dehors, les enfants peuvent apprendre à leur rythme. Et ils s’en donnent à cœur joie ! Mariette Feltin - DR
Ce n’est pas un jardin pédagogique bien léché, avec ses petits parterres de fleurs aux bordures symétriques. C’est plutôt un espace libre, un carré de nature ensauvagée créé par deux enseignantes, derrière l’école maternelle Jacqueline, au milieu des immeubles de Hautepierre.
Tous les jours, leurs classes de tout-petits y expérimentent la pédagogie par la nature.
La cinéaste strasbourgeoise Mariette Feltin y a promené sa caméra toute l’année scolaire dernière pour créer "Les enfants du dehors" , un documentaire produit par Ana Films.
Tournées en immersion, à hauteur d’enfant, avec bienveillance et discrétion, les images montrent les petits de deux ans patauger dans les flaques, tomber dans la boue, tripatouiller la terre, grimper sur une petite butte, jouer avec un bout de bois, des cailloux. Et ce faisant, apprendre à parler, à compter, à développer sa motricité, à vivre à plusieurs.
« On laisse agir les enfants et à partir de ça on construit les apprentissages », expliquent Claude et Frédérique, les enseignantes dans le film. « On s’aperçoit qu’ils sont très doués. Mais il faut leur donner la capacité de développer tout ce qu’ils ont en eux. »
« Il n’y aurait pas eu cette concentration en classe »
De fait, en 53 minutes, on les voit grandir, progresser, et faire beaucoup d’efforts sans y être obligés. « Il n’y aurait pas eu cette concentration en classe », commentent-elles encore.
« Dans le jardin, on peut apprendre tout le temps à son rythme. L’école maternelle, ça devrait être ça », défendent les enseignantes, qui ont dû arrêter de tout vouloir programmer. « L’enfant peut se baser sur quelque chose qu’il a vu, et ça vaut tout l’or du monde. Comme on sort tous les jours, il y a une continuité. »
Évidemment, ça prend du temps. Sauf que les préparatifs font partie du projet. À l’écran, une fillette a enfilé sa botte le pied vers l’intérieur. Une autre aide un camarade à chausser les siennes. Le convoi s’ébranle vers l’escalier. Avec le cadrage sur les petites mains accrochant la rampe, on mesure combien c’est encore un exploit à cet âge de se déplacer. Sur une musique joyeusement contemporaine du Strasbourgeois Michel Lotz, on se laisse attendrir par des scènes d’une poésie folle.
Avec sa caméra, Mariette Feltin a passé de nombreuses heures courbée en deux à attendre une situation. Parfois pour qu’un petit passe dans le champ, parfois pour une séquence merveilleuse. « Quand Dounia chante, c’est magnifique ! Et Djabao, avec sa brouette, la ténacité qu’il a ! Ça devient des sortes de petits personnages de fiction », s’émeut celle qui s’était interdit de leur parler en tournage, pour se faire la plus invisible possible.
Ayant découvert en Allemagne un Waldkindergarten , jardin d’enfants en pleine forêt, Mariette Feltin, férue d’utopies concrètes, voulait faire connaître cette approche innovante en France. Mais elle n’a pas trouvé d’équivalent.
Elle finit par arriver à Hautepierre, où les familles la laissent filmer grâce à une efficace carte de visite : son film "Raconte-moi ta langue". Dans cette école, les enseignantes invitaient les parents à enseigner les mots de leur pays d’origine à toute la classe.
« Les choses bougent grâce à certaines personnes qui sont au sein de l’institution : en zep, dans une école publique, avec les moyens du bord », estime la réalisatrice, pour qui « les questions d’éducation sont des questions de politique ». Mais elle en est sûre : « à Strasbourg, ça va décoller. Il y a beaucoup d’intérêt pour cette pédagogie. »
DNA-Charlotte Dorn (21 janvier 2016)