Les pétroleurs fous
Publié le 6 Mai 2016
L’éditorial de Didier Rose
La guerre du pétrole aura bien lieu. D’ailleurs, on y est. Pas de chars, ni de bombes. À la place, des derricks qui inondent la planète d’hydrocarbures.
Difficile à croire pour ceux qui ont subi le choc de 1974 et la peur d’une pénurie massive. La crise cette fois naît d’une ouverture en grand des robinets, clash suicidaire entre émirs s’arrachant des parts du marché.
Dans le rôle du goinfre, l’Arabie saoudite. En faisant cracher ses forages, elle a réussi à rendre les gisements américains trop coûteux. Les États-Unis se croyaient inattaquables grâce aux pétroles de schistes. Ils assistent à la descente aux enfers de leurs firmes débordées.
Arrive un autre gêneur. L’Iran réhabilité s’est mis en tête de rattraper des années d’embargo sur ses puits. Qu’à cela ne tienne : Ryad noie son rival au Moyen-Orient sous ses barils d’or noir. Dans ce monde de brut, les cours ne peuvent que nettement sombrer.
Ce trop-plein est une mauvaise nouvelle pour la planète. Les pays les plus dépendants de la production sont à genoux : les risques d’agitation sociale, de faillites nationales et au final de marasme mondial croissent. Ce que les uns perdent, d’autres devront le compenser…
C’est d’autant plus navrant que ce cycle délétère ne préserve pas les réserves fossiles. Au contraire, on accélère leur épuisement. Le pétrole pas cher anéantit l’intérêt financier des ressources renouvelables. Il retarde aussi les économies d’énergie, moins rentables.
Ce qui soulage l’automobiliste à la pompe ou le gros consommateur industriel n’est que l’alourdissement d’une dette : il faudra bien payer un jour la raréfaction d’un pétrole qu’on dilapide pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la raison. À brûler ainsi les espoirs de transition énergétique, les pétroleurs fous, dans leurs Ferrari et leurs palaces, prennent la responsabilité de réduire en cendres les solutions d’avenir pour la Terre.
DNA-19 avril 2016