La France a perdu la mémoire des inondations

Publié le 23 Juin 2016

Article complet publié dans "le Journal de l'Environnement" (3 juin 2016)

Si la crue a surpris les autorités, elle n’a pourtant rien d’exceptionnel à l’échelle des 5 derniers siècles. Mais comme la France a perdu la mémoire des inondations, elle a oublié de s’y préparer, estime l’historien du climat et des risques Emmanuel Garnier (1), directeur de recherche CNRS au laboratoire LIENS l’université de La Rochelle.
La crue du Loing et de la Seine est-elle exceptionnelle?
Emmanuel Garnier est directeur de recherche au CNRS (Université de La Rochelle)

Emmanuel Garnier est directeur de recherche au CNRS (Université de La Rochelle)

On peut considérer qu’elle est exceptionnelle à l’échelle du XXe siècle mais pas du tout dans l’histoire. Si l’on remonte jusqu’à 500 ans, ce qu’il est tout à fait possible de faire en consultant les archives du bureau de la ville de Paris (1), on se rend compte que la région francilienne a connu 50 inondations majeures depuis 1450-1480.
L’une des pires crues de la Seine s’est produite en mars 1658. Elle a duré des semaines et a emporté avec elle le pont Marie. Il faut savoir qu’au XVIIe siècle, les Parisiens étaient toutefois mieux préparés. Des personnes étaient chargées d’observer le lit de l’Yonne et en cas de niveau irrégulier, elles se rendaient aussitôt à Paris pour donner l’alerte.
Les crues historiques de la Seine au XXe siècle
  • 28 janvier 1910: 8,62 m au pont d’Austerlitz
  • 23 janvier 1955: 7,1 m
  • 14 janvier 1982: 6,18 m
A l’heure d’internet, les riverains semblent peu préparés…
Le problème vient des concepteurs des modèles de prévention des inondations. Ils ont fondé leur système sur les crues du XXe siècle, alors qu’en intensité elles ne représentent que 9% des inondations produites au cours des 500 dernières années.
Par comparaison, 34% d’entre elles se sont déroulées au XVIe siècle. Ainsi, l’annonce faite par Vigicrues à 15h12 cet après-midi montre que ses relevés pouvaient être sous-estimés en raison de «dysfonctionnements des équipements de mesures».
Que nous apprennent les inondations plus anciennes ?
Qu’il peut y avoir des inondations en juin ! Si l’on se base sur le XXe siècle, les grandes crues parisiennes se sont exclusivement déroulées en janvier ou en février (en 1910, en 1955 et en 1982, ndlr).
Résultat : les politiques de prévention n’ont pas envisagé un tel phénomène en juin. Pourtant, l’histoire nous montre que près de 30% des crues observées au cours des 5 derniers siècles se sont produites entre avril et juin.
Comment cette mémoire se perd-elle ?
Les autorités françaises ont tendance à cacher le souvenir de la catastrophe. En théorie, l’Etat recommande plutôt d’accroître la prévention des risques mais dans les faits, les repères historiques des crues disparaissent des zones urbanisées. On n’en trouve plus qu’aux marges des villes, en pleine nature, où ils ne dérangent pas l’urbanisation.
L’autre problème provient de la formation des gestionnaires des inondations. Dans l’Hexagone, il s’agit essentiellement d’ingénieurs, issus des sciences dures, qui ont une foi incommensurable dans la technique, alors qu’ailleurs en Europe, les représentants des sciences humaines sont associés et apportent un éclairage plus social et donc plus adapté aux attentes des populations.
Que préconisez-vous ?
Il est essentiel de retrouver la mémoire des inondations et des submersions, car la tempête Xynthia a révélé le même problème. Les autorités l’ont considérée comme un phénomène exceptionnel, alors qu’une submersion similaire s’était produite dans les années 1950.
Seulement, les élus préfèrent l’oublier pour construire et justifier leur manque de réaction. Le jour où l’aléa va se reproduire, ils vont pouvoir dire à nouveau qu’il s’agit d’un phénomène exceptionnel, mais que dorénavant ils l’envisageront.
C’est typiquement français, et plus largement latin. Ils vont construire quelques digues, puis oublier de les entretenir… Au Royaume-Uni, au contraire, les repères des crues sont maintenus et entretenus régulièrement. Les écoliers se rendent sur les lieux. Et après chaque nouvelle catastrophe de nouveaux sont créés !
En Allemagne, des poteaux de 2 à 3 mètres sont érigés dans les zones inondées. Ils rappellent les dates et l’intensité des inondations. Cela stoppe toute velléité d’urbanisation.

(1) GARNIER, E., Les dérangements du temps, 500 ans de chaud et froids en Europe, Paris, Plon, 2010, 244p. Prix Gustave Chaix d’Est Ange de l’Académie des Sciences Morales et Politiques (Institut de France) et Risques 2010 La Tribune/BFM radio. Garnier, E. : A historic experience for a strenthened resilience. European societies in front of hydro-meteors 16th-20th centuries, in : Prevention of hydrometeorological extreme events-Interfacing sciences and policies, edited by : Quevauviller, P., Chichester, John Wiley & Sons, 2015, pp.3-26.

Stéphanie Senet/Le Journal de l'Environnement (3 juin 2016)

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique

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