La tulipe de vigne

Publié le 19 Juillet 2016

Les Dernières Nouvelles d'Alsace publient une série d’été consacrée à la flore menacée en Alsace. En sept volets, serons détaillées les fleurs les plus rares et les plus emblématiques de milieux propres à notre région, à commencer par la tulipe des vignes.

Au printemps, une parcelle du domaine Gilg sur le Zotzenberg se couvre d’or. Photo Gilg

Au printemps, une parcelle du domaine Gilg sur le Zotzenberg se couvre d’or. Photo Gilg

« Dans ma jeunesse, chaque printemps, mon père m’ordonnait d’aller retourner la terre quand fleurissaient les tulipes, à cause de tous ces gens qui venaient les cueillir sans se soucier de ne pas casser les bourgeons de nos vignes » se souvient Jean-Pierre Gilg, viticulteur à la retraite à Mittelbergheim.
Aujourd’hui, à l’inverse, les tulipes sauvages sont soignées aux petits oignons dans les parcelles du domaine, tant ces fleurs autrefois communes se sont faites rares dans le vignoble alsacien, victimes de l’épandage massif de désherbant pratiqué dans les années 70-80.
« Il n’y a plus guère que deux endroits où on en trouve en Alsace, poursuit notre interlocuteur. À Mittelbergheim sur le Zotzenberg essentiellement et à Westhalten sur des sols argilo-calcaires ».
Quand les sangliers ne s’en mêlent pas (lire ci-dessous) , le domaine Gilg recèle ce qui est sans doute la plus belle parcelle à tulipe subsistant en Alsace. Une douzaine d’ares, replantée en 2010 de ceps de gewurztraminer.
« Quand la parcelle a été renouvelée, nous l’avons très profondément labourée. Est-ce pour ça ? Ou parce que de tout temps, on ne mettait du désherbant que sous les pieds de vignes et maintenant plus du tout ? ». L’acquisition d’une nouvelle machine permettant un labourage jusque sous les ceps a-t-elle été l’élément déclencheur de la renaissance des tulipes ?
Le travail du sol fait toute la différence
Toujours est-il que depuis le défonçage de la parcelle sise sur le Zotzenberg, « il y a a un peu plus de tulipes chaque année. Au point que je ne sais pas s’il est possible que leur nombre augmente encore ». L’expérience confirme que la tulipe aime les sols remués et ne goûte guère la concurrence. Un rang sur deux de la parcelle reste enherbé pour permettre le passage des machines et ce sont bien les rangs labourés qui jaunissent au printemps.
« C’est le travail du sol qui fait la différence, renchérit sa fille Nelly qui s’est intéressée de plus près au cycle biologique de la tulipe des vignes. Le conservatoire botanique national de Brest mène actuellement un essai de réintroduction de la tulipe sauvage dans le vignoble nantais « et le rapport préconise bel et bien le travail de buttage, débuttage comme on le fait dans nos vignes. »
Surtout pas d’herbicides
De manière générale d’ailleurs, à partir du moment où des tulipes poussent naturellement dans une vigne, « on conseille au viticulteur de ne rien changer à sa façon de faire », précise Nicolas Simler, botaniste. « Et bien sûr, de ne surtout pas employer d’herbicides ».
Le phyto-sociologue du conservatoire botanique d’Alsace (CBA) anime souvent des sorties pour sensibiliser le public ou les agriculteurs à la préservation de la flore. En parfaite intelligence avec les viticulteurs désireux d’en savoir plus sur les plantes bio-indicatrices présentes sur leurs parcelles, le CBA donne de précieux conseils. « Les plantes ont quelque chose à dire sur notre sol », reconnaît Frédéric Tappe. Le responsable technique de la société de négoce Hauller a organisé ce printemps un atelier botanique dans le vignoble entre Dieffenthal et Scherwiller. « Être au fait de la flore dans nos parcelles permet de mieux connaître le substrat et dès lors, de travailler la vigne plus intelligemment ».
Une quinzaine de viticulteurs ont ainsi écouté Nicolas Simler décrire les propriétés du sol et les pratiques viticoles rien qu’à l’observation des plantes.
Le schéma le plus courant dans le vignoble se retrouve inscrit dans la flore : dans les rangs retournés, les plantes annuelles, dans les rangs fauchés, les vivaces.
Les bulbeuses comme la tulipe sauvage ou le poireau des vignes sont adaptées au labour qui favorise la dispersion des graines ou des bulbilles. « Les sols travaillés sont en général plus riches en espèces, explique Nicolas Simler. Mais il peut être intéressant pour la vigne d’alterner de temps en temps les pratiques dans les rangs. Les plantes vivaces pompent en effet beaucoup de nutriment dans le sol alors que ceux absorbés par les annuelles d’hiver retournent au sol au moment où le raisin en a besoin ».
Mais dans le cas des tulipes, selon les observations de Jean-Christophe Lehner en charge des travaux dans les vignes du domaine Gilg, « elles ne sont pas en concurrence avec la vigne ». Le tapis jaune au printemps, c’est que du bonheur en plus.
Les plantes qui poussent dans les rangs de vignes sont indicatrices de la qualité des sols et des pratiques viticoles. PHOTO DNA - Franck Delhomme

Les plantes qui poussent dans les rangs de vignes sont indicatrices de la qualité des sols et des pratiques viticoles. PHOTO DNA - Franck Delhomme

DNA-Simone Wehrung 14/07/2016
La tulipe de vigne
Seule tulipe indigène d’Europe centrale
Nom latin : Tulipa sylvestris
Nom français : Tulipe de vigne, tulipe des bois, tulipe sauvage ou encore Avant-Pâques du fait de sa floraison précoce, généralement située dans la première quinzaine d’avril
Nom allemand/alsacien : Weinbergtulpe
Étymologie : La tulipe nous vient de Perse et de Turquie. Son nom latin Tulipa vient du persan signifiant « turban » : la forme des fleurs rappelle en effet le couvre-chef des riches Ottomans.
Statut de protection/Liste Rouge : Tulipa sylvestris , qui était fréquente jusque dans les années 80, notamment dans les vignobles, a pratiquement disparu de nos paysages. En effet, l’urbanisation, la cueillette et surtout l’utilisation d’herbicides dans les vignes ont décimé les populations.
La tulipe sauvage est intégralement protégée au niveau national. Toutefois, les interdictions de destruction, de coupe, de mutilation et d’arrachage, ne sont pas applicables aux opérations d’exploitation courante des fonds ruraux sur les parcelles habituellement cultivées ».
La tulipe de vigne figure également sur la « liste rouge de la flore menacée d’Alsace », liste qui identifie objectivement des plantes rares et menacées.
Répartition géographique et milieu : Centre et Sud de l’Europe
La tulipe des vignes avec ses splendides fleurs jaunes en forme d’étoiles est sans doute une des plus belles fleurs du printemps. Il s’agit de la seule espèce de tulipe indigène d’Europe centrale. Aimant la chaleur et des sols calcaires et riches en argiles, elles étaient largement répandues dans les vignobles d’Alsace.
Les pratiques culturales traditionnelles, et notamment le cavaillonnage-décavaillonage, étaient particulièrement favorables à la dissémination de cette plante à bulbes. Cette pratique consistait à recouvrir le pied de vigne à l’automne en tirant un trait de charrue pour protéger le pied de vigne du froid. Le décavillonnage est l’étalement de cette terre au printemps. Ce faisant, cette pratique culturale traditionnelle des vignes contribuait à détacher du bulbe, les dizaines de petites bulbilles qui se disséminaient alors entre les rangs.
DNA-14/07/2016
La tulipe de vigne
Razzia sur les bulbes
Jusqu’à dénuder les pieds de vignes. PHOTO Gilg - DR

Jusqu’à dénuder les pieds de vignes. PHOTO Gilg - DR

Ce qui est un régal des yeux pour les botanistes, s’avère être un régal pour les estomacs des sangliers. La parcelle à tulipe des Gilg a malheureusement été dévastée en juin par des sangliers qui ont tout retourné. On ne saura que l’année prochaine s’ils ont laissé quelques bulbes…
DNA-14/07/2016

Rédigé par ANAB

Publié dans #Biodiversité de notre région, #Fleurs jaunes

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J
Les sangliers sont en surnombre...
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