Entre prairie et roselière - flore menacée
Publié le 23 Septembre 2016
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Comme son nom l’indique, la gesse des marais ( Lathyrus palustris ) se plaît en milieux humides. Les surfaces riediennes se raréfiant, la fleur suit malheureusement la même tendance, au point qu’elle n’est plus observée que dans le Bas-Rhin.
C’est une plante qui se mérite tant elle se plaît dans les milieux marécageux difficiles d’accès.
De la famille des F a baceae , elle arbore une belle couleur violette qui bleuit avec le temps. Ses fleurs sont réunies en grappe de 2 à 8 au bout d’une longue tige de 30 à 80 cm.
Sa floraison, de juin à août, est toutefois discrète pour pousser au milieu des herbes hautes et roseaux, typique des milieux de transition entre prairies humides et marais.
Sur la liste rouge des plantes menacées en Alsace, Lathyrus palustris mériterait de faire l’objet d’un plan de conservation, à l’image de celui qui protège l’œillet superbe.
Une 2x2 voies à travers les fleurs
« Cela dépendra du bilan stationnel en cours » souligne Nicolas Simler, du conservatoire botanique d’Alsace, en lien avec l’aménagement de la rocade sud de Strasbourg une deux fois deux voies qui reliera l’A 35 au pont Pflimlin sur le Rhin.
Une importante station de gesse des marais sur le tracé entre Geispolsheim et Fegersheim est amenée à disparaître sur le passage des bulldozers.
Les populations seront certes replantées sur une parcelle voisine présentant des caractères humides similaires mais « ce type de déplacement réussit rarement ».
Pour compléter cette mesure compensatoire à l’issue incertaine, l’État aménageur finance une étude afin de recenser toutes les stations de Lathyrus palustris dans la région.
Entre Sélestat et Strasbourg
Quarante sites étaient formellement identifiés dans la littérature botanique alsacienne et le bureau d’étude Biotope, chargé de la prospection, n’en a plus trouvé que vingt l’année dernière. La moitié des sites ont disparu au cours du XXe siècle dont dix dans les vingt dernières années…
De cet état des lieux peu glorieux sortira peut-être un programme de conservation de la fleur.
Ce bilan doit toutefois d’abord être confirmé par une nouvelle prospection cette année mais « on observe d’ores et déjà que l’espèce a totalement disparu du Haut-Rhin et ne semble plus se cantonner que dans le ried entre Sélestat et Strasbourg » regrette Nicolas Simler.
Justement, au sud de Sélestat, à l’ouest de la sablière Leonhard, en bordure du ried de l’Ill voisin de la réserve de l’Illwald, une parcelle fauchée irrégulièrement par son propriétaire recèle quelques beaux spécimens de gesse des marais.
Paraît-il… Car les pluies diluviennes du printemps ont fait affleurer la nappe phréatique bien au-delà de la normale et sauf à chausser des cuissardes en caoutchouc, la beauté de la fleur restera réservée aux amphibiens ou aux oiseaux palustres. Tout comme la véronica longue feuille ou la stellaire des marais, fleurs menacées elles aussi.
Espèce patrimoniale à enjeu
La disparition de ces plantes emblématiques des rieds alsaciens a des causes multifactorielles. La canalisation du Rhin a asséché les milieux palustres, les prairies humides ont été mises en culture quand elles n’étaient pas laissées à l’abandon. Saules et aulnes ont alors tôt fait de refermer les lieux.
Dans le plan de gestion de la réserve en cours de rédaction par la ville de Sélestat, gestionnaire de l’Illwald, « une attention spécifique sera portée à la gesse des marais, espèce patrimoniale à enjeu pour laquelle la réserve a une responsabilité toute particulière », confirme Marylène Cacaud, technicienne au service environnement.
Ce document cadre, rendu obligatoire par le classement de ce qui était autrefois une réserve naturelle volontaire agréée en réserve régionale, sera finalisé l’année prochaine.
Nicolas Simler dans une prairie humide non fauchée qui cache des gesses des marais. PHOTO DNA - Simone WEHRUNG
Gestion dédiée
Il ne fera cependant qu’affiner une volonté déjà exemplaire de préservation de la fonction alluviale du site et donc de l’habitat naturel de la gesse des marais. « Des actions lui seront dédiées comme à l’œnanthe fistuleuse, l’orge faux-seigle ou la véronique officinale », autres plantes rares à préserver.
La localisation des stations telle que réalisée dans l’étude en cours va évidemment permettre de recentrer les efforts et surtout de négocier avec les propriétaires des terrains concernés.
Garder les milieux ouverts
Si la ville de Sélestat est propriétaire de la majeure partie des 1 850 ha de la réserve (1 700 ha, pour l’essentiel de la forêt), quelques collectivités et surtout près de 80 particuliers se partagent le reste fait de prairies humides, de roselières, de saulaies,…
«Certains propriétaires ont déjà accepté le principe du futur plan de gestion » confie Marylène Cacaud. Les discussions, les négociations, les explications devront encore convaincre les hésitants à adopter des pratiques qui conviennent à la gesse. « Pour l’essentiel, il s’agit de garder les milieux ouverts ». L’humidité naturelle des lieux fera le reste grâce à la conjonction au sein de la réserve de l’affleurement de la nappe phréatique, la densité du réseau hydrographique ainsi que les débordements chargés d’alluvions de l’Ill.