Les herbes folles ne sont pas sales
Publié le 4 Août 2017
Enfin on s'y met. De l'autre côté en Allemagne à quelques kilomètres de chez nous, cela fait 20 ans que l'on ne disperse plus de d'herbicides sur les trottoirs et les rails de chemins de fer tous couverts de verdure.
Tout le monde trouve cela normal. Ici c'est extraordinaire...
Roland
Article paru dans les DNA Myriam Ait-Sidhoum (24/07/2017)
Non, les agents communaux ne sont pas soudain devenus flemmards. Une loi en vigueur depuis le 1er janvier 2017, anticipée par beaucoup, oblige les collectivités à gérer les espaces verts sans pesticides - et sans augmentation des effectifs. Il faut s’y habituer, la végétation dite « spontanée » a désormais droit de cité en milieu urbain.
« Ça ne peut pas être nickel chrome, on n’est pas au parc de l’Orangerie à Strasbourg. » Claude Schmitt est maire de Dimbsthal, commune de près de 300 habitants, du côté de Marmoutier, dans le nord du Bas-Rhin, qui a pris le chemin il y a maintenant deux ans du zéro pesticide sans pour autant adhérer à une charte, précise l’élu.
Il force un peu le trait en suggérant qu’une armée de jardiniers met en ordre l’Orangerie. À Strasbourg non plus, pionnière en la matière, les effectifs n’ont pas augmenté depuis 2008 et, s’il n’y paraît pas, les parcs de la ville sont bel et bien gérés autrement.
Claude Schmitt soulève néanmoins un point crucial : le « zéro phyto », c’est davantage de boulot. Les particuliers qui y sont déjà passés saisissent bien la différence. Et avec deux ouvriers communaux qui n’occupent pas un temps plein, le désherbage ne peut pas être « nickel chrome » à Dimbsthal. Ailleurs non plus.
Il y a les retours positifs et les récalcitrants
« En Allemagne, quand il y a quelques mauvaises herbes entre les pavés, ça ne choque pas trop. Ici, les avis sont partagés », observe encore Claude Schmitt. S’il n’est pas « écolo », il lui paraît nécessaire de « faire des efforts ».
À Riquewihr, sur la route des vins, les pesticides ne sont plus utilisés que dans le cimetière. Et deux libellules du label « Commune nature » couronnent depuis ce printemps les efforts en ce sens.
Là non plus, ça ne va pas sans discussions. « Il faut faire comprendre que les choses vont être différentes, qu’il va y avoir de l’herbe à certains endroits, de la mousse entre les pavés, note Alain Eltzer, responsable technique de la commune haut-rhinoise. Beaucoup de retours sont positifs. Et puis il y a les récalcitrants, ceux qui trouvent que c’est sale quand c’est vert. »
Le désherbage à la main, ça prend du temps. Soutenue par l’Agence de l’eau et le Conseil régional, Riquewihr s’est équipée de machines pour aller plus vite. Un soin particulier est apporté à la grand-rue, vitrine de ce charmant village de carte postale. Accompagné de la Fredon - lire ci-dessous-, le service technique va mettre en œuvre ce qu’on appelle la « gestion différenciée », c’est-à-dire une organisation différente.
Des techniques alternatives ont fleuri
À Wittisheim, dans le Grand Ried bas-rhinois, ce sont carrément trois libellules qui sont venues se poser en entrée de bourgade, dès la première année. Le maire Christophe Knobloch a amorcé le mouvement à son élection en 2014.
L’impulsion des élus est un préalable indispensable. « Le conseil était favorable. Après, il faut travailler pour que le village ressemble à quelque chose, le balayage avec les brosses mécaniques, le désherbage thermique… On a été suivis par les employés communaux. »
Comme ailleurs, les massifs fleuris ont été repris, avec des plantes vivaces et des graminées plutôt que des annuelles ; des copeaux au sol, par endroits, permettent de limiter l’apparition des mauvaises herbes.
Préserver la santé de tous
Pour Christophe Knobloch, il y a au moins trois bonnes raisons d’en passer par là : préserver la ressource en eau, favoriser le développement durable et, plus important encore, préserver la santé, à commencer par celle des employés communaux en charge des espaces verts.
Du côté de la communauté de communes de Sauer-Pechelbronn, labellisée « territoire à énergie positive pour la croissance verte » par le ministère de la Transition écologique et solidaire, on montre qu’à plusieurs, on est plus fort.
Les six premières communes ont amorcé leur conversion entre 2012 et 2014, six autres entre 2015 et 2016, avec l’appui de la Fredon et d’un bureau d’étude, Urban & Sens.
Formations, visites de terrain ou encore réunions avec les habitants. Ces derniers ont eu droit à des ateliers pratiques sur le jardinage au naturel, occasion de présenter la nouvelle manière de faire de la commune, entre l’utilisation d’un nouveau matériel, la réalisation de nouveaux aménagements et plans de fleurissement. Ça a aussi été l’occasion de leur donner des trucs et astuces, détaille Frédérique Weber, de la communauté de communes. Des panneaux d’information sur site expliquent par ailleurs les actions en cours : « Ici, votre commune préserve la biodiversité en réalisant une fauche tardive ».
Certains n’hésitent pas à faire appel aux bonnes volontés. Dorlisheim, dans le Bas-Rhin, proposait ainsi, fin mai dernier, pour sa journée bénévole, le désherbage du cimetière. À Furdenheim, au nord de Strasbourg, même proposition aux habitants. La journée citoyenne comprenait aussi le désherbage du cimetière.
Quand des particuliers utilisent du désherbant sur la voirie
Pour les collectivités, la loi est entrée en vigueur ce 1er janvier, rappelle Sylvie Spoerry, directrice de la Fredon. Pour les particuliers, ce sera en 2019, l’interdiction d’acheter tout au moins.
Il arrive que des riverains sortent encore avec leurs désherbants chimiques, qu’ils utilisent sur le pas de leur porte, donc sur la voirie. « Ce n’est pas parce qu’une commune est vertueuse que les habitants le sont », note Sylvie Spoerry. Mais plutôt que sévir, même si ça doit prendre du temps, elle mise sur l’information, qui ne peut que convaincre, juge-t-elle.
Les bons conseils de la Fredon
Quand il est question de «zéro pesticide», la Fredon n’est jamais bien loin. Si cette révolution verte est chapeautée par l’agence de l’eau Rhin-Meuse (État), et par la région Grand Est, la fédération régionale est en effet l’interlocutrice technique des collectivités.
La Fredon (Fédération régionale contre les organismes nuisibles) conseille les collectivités depuis 2001 sur la question des produits phytosanitaires. La loi de transition énergétique pour la croissance verte, du 22 juillet 2015, pose entre autres l’interdiction des pesticides par l’État, les collectivités locales et les établissements publics. Cette interdiction est entrée en vigueur le 1er janvier 2017; pour les particuliers, ce sera 2019.
Le rapport d’activité 2016 de la Fredon indique que depuis 2001, 735 communes alsaciennes ont été sensibilisées, soit plus de 81 % du total. Toutes ces actions sont motivées par une urgence. La nappe phréatique rhénane, entre les Vosges et le Rhin, Bâle et Lauterbourg, compte près de 35 milliards de m3 , rappelle le rapport. Or « un tiers de la nappe est impropre à un usage en eau potable sans traitements préliminaires ». En cause, « les produits phytosanitaires, les nitrates et les chlorures ». Un guide technique sur le fleurissement durable et l’aménagement durable, réalisé par la Fredon Alsace et la Fredon Lorraine, est annoncé pour décembre 2017.
Aux entrées des villes qui le souhaitent, les libellules signalent la démarche. Photo : DNA-Julien Steinhauser
Plus de 700 Libellules en Alsace
Le symbole retenu est celui de la libellule, parce que signe d’une biodiversité préservée. La distinction « Commune nature » a été initiée en 2011 par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse ainsi que par la région Grand Est - au démarrage, seuls le Bas-Rhin et le Haut-Rhin étaient concernés. Au total, en 2016, 297 communes, soit 30 % de l’ensemble des localités alsaciennes, étaient labellisées. 21 ont une libellule, 125 en ont deux, 151 en ont trois. Le panneau, qui vient s’ajouter, en entrée d’agglomération, au nom de la commune et aux éventuelles fleurs, récompense les signataires de la charte régionale des espaces communaux « zéro pesticide ». Les libellules sont décernées après un audit réalisé par un organisme indépendant. À partir de 2017, le territoire concerné est le Grand Est.
Le fleurissement à l’avenant
Le jury du concours régional des villes et villages fleuris d’Alsace se déroule du lundi 24 au vendredi 28 juillet.Cette année, 32 communes ont candidaté pour obtenir leur 1re ,2e , 3e ou 4e fleur. Pour le fleurissement aussi, les critères ont évolué. Les jurys prennent désormais en compte la gestion écoresponsable des collectivités.