Partager un siège avec des insectes

Publié le 15 Août 2017

Paru dans DNA - Nicolas Blanchard (13/08/2017)

 



Utiliser le mobilier urbain pour soutenir une biodiversité largement mise à mal au sein de nos sociétés ? Avec leur concept de banc refuge, Julien Hoffmann et Philippe Riehling revendiquent le droit, pour la nature, de coexister avec l’homme jusqu’au pas de sa porte. Leur prototype a été installé récemment à Colmar.

Julien Hoffmann et Philippe Riehling (à droite) ont installé le banc eux-mêmes. Le prototype doit permettre d’évaluer la pertinence du concept. Photo : DNA - Nicolas BLANCHARD

Julien Hoffmann et Philippe Riehling (à droite) ont installé le banc eux-mêmes. Le prototype doit permettre d’évaluer la pertinence du concept. Photo : DNA - Nicolas BLANCHARD

La structure, faite de métal et d’acacia, ressemble de prime abord à une assise quelconque typique de l’espace urbain français. Plutôt élégant, le meuble présente pourtant quelques particularités dignes d’intérêt. À commencer, dans sa partie métallique, par la présence d’interstices de formes et tailles variées. « La forme et l’épaisseur de ces entrées varient en fonction des insectes appelés à y loger, explique Julien Hoffmann. Coccinelles, chrysopes, petites araignées, punaises prédatrices ou osmies (les si précieuses et inoffensives abeilles solitaires, que l’on soupçonne d’être à l’origine de 70 % de la pollinisation de la planète) : l’idée, c’est de leur permettre de recoloniser l’espace urbain en facilitant leur cohabitation avec l’homme. » Le partager, même, puisque tel est le postulat du banc refuge développé par ses soins avec l’aide de l’écodesigner et professeur en design à l’Université de Strasbourg, Philippe Riehling.

« Jouer le jeu du capitalisme et y trouver des idées qui contribuent à protéger l’environnement »

À mi-chemin entre le mobilier de confort et l’hôtel à insectes traditionnel, l’idée du banc refuge est partie d’un constat d’échec en matière de politique environnementale dans l’Hexagone. Naturaliste autodidacte originaire de Scherwiller, Julien Hoffmann a une longue expérience dans le domaine de la préservation du patrimoine naturel. Or, les années passées à œuvrer aux côtés des crocodiles, des requins et même sur la problématique du grand hamster d’Alsace, lui ont enseigné une triste vérité : « On parle beaucoup d’environnement, mais quand on y regarde de près, l’essentiel des fonds débloqués va à l’énergie. C’est ce qui m’a amené à penser que pour que l’on prenne en compte la biodiversité, il fallait jouer le jeu du capitalisme et trouver des idées qui contribuent à protéger l’environnement tout en faisant de ce dernier un secteur de l’économie à part entière. C’est le seul moyen de faire reconnaître notre combat. » Le banc refuge est né de cette envie toute simple de « juste changer le monde », comme se plaît à le dire le trentenaire. Comme une façon de se lancer dans la guerre en gagnant, une à une, les petites batailles qui comptent, le meuble se destine en priorité aux collectivités en revendiquant le budget dédié aux grilles d’arbres, que les deux concepteurs jugent mal exploité. « Ces grilles coûtent jusqu’à 1 800 euros pièce, alors que ça ne sert à rien. On pense que notre concept, qui vient s’installer autour de l’arbre, pourrait avantageusement remplacer ce type de mobilier. » D’autant que c’est dans l’air du temps : développé par les deux partenaires au sein du bureau d’études strasbourgeois « Défi écologique », créé en janvier 2014 dans le cadre des coopératives d’activité et d’emploi strasbourgeoises, le banc refuge colle parfaitement aux priorités définies par la législation. « Depuis janvier, on est appuyé par l’entrée en vigueur du « zéro phyto » voulu par la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Dans ce contexte de retour de la végétation spontanée en ville, permettre à l’entomofaune de prospérer en pied d’arbre nous semble adapté », appuie Philippe Riehling, qui a optimisé le concept pour l’insérer au mieux dans le paysage des cités… « Sans perdre de vue l’idée que c’est l’usage qui prime sur la beauté » [lire ci-dessous].

Partager un siège avec des insectes

Commercialisé dès le salon des maires, à l’automne ?

Produit avec le soutien de la société de Kogenheim Sineu-Graff, le banc reste pour l’heure un concept en devenir. Le prototype, installé récemment au square Malraux de la rue de Mulhouse à Colmar, doit permettre de valider aussi bien son design et sa solidité que sa justesse écologique, « sachant qu’on a fait en sorte de coller au plus près de ce qu’on sait des besoins des insectes que nous voulons attirer », détaille Julien Hoffmann. Primé en mars par le concours Tango et Scan de l’Eurométropole de Strasbourg, finaliste (mais, hélas, pas lauréat) du concours national de la Fabrique Aviva, le banc refuge doit ainsi faire l’objet d’un suivi scientifique pointu au fil de l’été. Il pourrait être officiellement lancé, dans la foulée, sur le marché à l’occasion du salon des maires, à l’automne. S’il séduit, il pourrait bien fleurir dans les espaces urbains dès le printemps prochain…

À l’intérieur du banc, une résidence quatre étoiles pour les insectes. Photo : DNA - Nicolas BLANCHARD

À l’intérieur du banc, une résidence quatre étoiles pour les insectes. Photo : DNA - Nicolas BLANCHARD

Cohabitation pacifique ?

Évidemment, la question que tout le monde se pose est de savoir si la cohabitation annoncée entre promeneurs et insectes ne risque pas d’être un peu « piquante » sur ce banc pas comme les autres…

 

La problématique s’est rapidement retrouvée au cœur des préoccupations de Julien Hoffmann et Philippe Riehling : les deux concepteurs du banc refuge ont dû s’y reprendre à plusieurs fois pour trouver la bonne formule permettant un voisinage serein entre les hommes et les insectes.

Leur réponse a pris plusieurs formes. « On s’est d’abord préoccupé de “choisir” les espèces que nous voulions voir coloniser le banc, raconte Julien Hoffmann. Cela nous a amenés, avec l’aide de spécialistes de l’INRA, du Museum d’histoire naturelle et de passionnés, à définir les formes, les couleurs et les matériaux utilisés. Par exemple, un lit de paille s’adresse plutôt aux chrysopes, un mélange paille et de terre attire les bourdons, tandis que les pommes de pin séduisent plutôt les coccinelles. » Un travail a également été réalisé sur les couleurs, choisies avec la complicité de l’universitaire strasbourgeois David Hicks, spécialiste de la vision animale. « C’est avec son aide qu’on a opté pour une couleur terre-de-Sienne ».

De son côté, Philippe Riehling a pensé le design du banc pour séparer au mieux les usages. Les accès des hommes et des insectes ont ainsi été différenciés, les uns occupant la zone extérieure du mobilier, les autres passant par l’intérieur. « On pense souvent, à tort, que le design se préoccupe de faire du beau, explique l’écodesigner. La réalité, c’est qu’il doit d’abord permettre de répondre aux attentes des usagers. » Et dans ce cas précis, de répondre à leurs questions, également. Manière de faire mieux connaître les petits occupants de ce mobilier pas comme les autres, ses concepteurs ont ainsi intégré un panneau pédagogique qui donnera quelques informations sur le concept du banc refuge et les secrets des insectes qui y ont élu domicile. De l’art de faire tomber les préjugés…

Rédigé par ANAB

Publié dans #préserver les ressources

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R
Bon succès à vous pour la réussite et la vente de ces bancs innovants et écologiques
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D
Bonjour à tous et merci pour le relayage !<br /> Nous avons développé l'intégralité de ce projet sur fond propre (l'entreprise Sineu Graff est un partenaire industriel, non un mécène) avec toutes les exigences de circuits courts et production raisonnée (choix des matériaux, etc.) en plus de la pertinence. <br /> Une sacré aventure que l'on est impatient de vois se concrétiser par la commercialisation du banc Refuge après plus de 2 ans de développement !
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R
Bonjour Ddelsass,<br /> <br /> oui bravo pour ces inventeurs, avec un peu d'imagination nous allons trouver plein d'idées pour reculer la journée du dépassement Mondial d'Empreinte Écologique<br /> et beaucoup de volonté des élus et responsables...
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D
Bonjour <br /> Très bonne initiative, bien pensé. ( à mon avis bien sûr)<br /> Toutes mes félicitations à ces deux naturalistes!<br /> Merci à l' entreprise de Kogenheim Sineu-Graff,qui les a soutenu !<br /> Cette action va dans le sens de la journée 2 Août , jour du dépassement Mondial d' Empreinte Ecologique. qui est très grave! <br /> Bon 15 Aout. DD
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