Les paysans bio montent au créneau
Publié le 10 Novembre 2017
Exemple navrant du peu d'encouragement des politiques à l'agriculture bio, dans le Grand Est et partout en France.
L'agriculture intensive avec leur syndicat la FNSEA bénéficie à l'inverse, de leur soutien et des aides publiques de manière inégalitaire et presque sans aucune contrainte écologique.
article paru dans les DNA le 8/11/2017 - Odile Weiss
Les agriculteurs bio du Grand Est manifesteront aujourd’hui à Nancy. Confrontés au désengagement de l’État et inquiets pour le développement de leur mode de production, ils demandent au conseil régional de soutenir plus activement la filière. Les explications de Julien Scharsch, président de Bio en Grand Est.
Julien Scharsch, paysan bio à Saessolsheim, est président de l’Opaba (Organisation professionnelle de l’agriculture bio en Alsace) et de Bio en Grand Est.
Pourquoi avez-vous décidé de vous mobiliser ?
Julien Scharsch : Nous attendons une réelle ambition politique sur le développement de la bio. Auparavant, on avait en Alsace un plan bio initié par l’État avec la région, l’agence de l’eau, la Chambre d’agriculture et nous. Aujourd’hui, il n’existe plus, et on aimerait bien remettre un dispositif identique en place.
La région nous a dit qu’elle suivrait si on initiait cela, mais elle n’en est pas le moteur. Du côté de l’État et de la DRAAF, il n’y a plus rien qui avance. En fait, depuis la création de la grande région il y a bientôt deux ans, rien n’a bougé, et on n’a toujours rien de concret sur le développement de la bio.
La question centrale est celle du financement de la conversion à l’agriculture biologique. Quelle est la situation aujourd’hui ?
Les soldes des aides à la conversion et au maintien* pour les années 2015 et 2016 n’ont toujours pas été versés. Les agriculteurs ont juste eu des avances de trésorerie. Leurs dossiers sont en cours d’instruction.
Surtout, le ministère de l’Agriculture a annoncé qu’il supprimera en janvier 2018 les aides au maintien de l’agriculture bio. Nous trouvons ça regrettable. En plus, on est au milieu de la programmation. On se demande d’ailleurs si c’est bien légal d’interrompre une mesure de cette façon.
Emmanuel Macron, qui avait inscrit dans son programme des paiements pour les services environnementaux rendus par l’agriculture, a redit le mois dernier à Rungis qu’il mettrait 200 millions d’euros sur la table pour financer cette mesure. On attend de savoir concrètement ce que ça veut dire, mais on n’a aucune nouvelle pour l’instant.
Ces restrictions budgétaires ont-elles déjà des conséquences sur le terrain ?
Oui, il y a des incertitudes sur les conversions. La situation est différente selon les territoires, car dans la Grande Région, on a des historiques un peu différents. En Alsace, on devrait arriver à financer les conversions jusqu’en 2020, mais en Lorraine et en Champagne- Ardenne, ça ne passe déjà plus depuis 2017. Les enveloppes ne suffisent pas, car il y a eu ces dernières années une croissance exponentielle des conversions dans ces deux territoires qui étaient historiquement plus en retard. En Alsace, le développement de la bio est plus régulier et se fait depuis 20 ans.
En Lorraine et en Champagne- Ardenne, on voit déjà qu’il y a moins de conversions. Les jeunes qui s’installent ne savent pas ce qu’ils vont pouvoir indiquer dans leur plan de financement sur les aides qu’ils vont pouvoir toucher ou pas. C’est vraiment compliqué.
Pourtant, la demande pour les produits bios ne cesse de progresser…
L’an dernier, elle a augmenté de plus de 20 %. Aujourd’hui, nous avons la chance que 70 % des produits bios qui sont consommés en France viennent de France, mais si on ne s’engage pas véritablement dans le développement de la filière et qu’on continue à prendre du retard, ça ne durera pas.
En Allemagne et en Belgique, l’agriculture bio se développe beaucoup plus vite et est beaucoup mieux soutenue financièrement qu’en France où on veut arrêter les aides. Résultat : on va avoir des produits des pays limitrophes qui vont entrer sur le marché. C’est dommageable.
Le ministre de l’Agriculture a indiqué que les régions pourront continuer à financer des aides au maintien. Qu’attendez-vous de la Région Grand Est ?
Nous voulons un programme chiffré, avec des ambitions fortes en termes de surfaces. Le ministre annonce 8 % de la surface agricole en bio en 2022 alors qu’on est déjà à plus de 6 % -et plus de 7 % en Alsace-.
Nous attendons aussi qu’elle s’engage davantage. Les élus ont dit qu’ils allaient mettre 3 à 4 millions d’euros de plus dans les aides. On pourrait peut-être mettre une partie dans la conversion et aller voir l’agence de l’eau pour qu’elle augmente sa participation. Nous attendons en tout cas qu’ils clarifient leur position et qu’ils nous disent clairement vers où ils veulent aller.
Le président Jean Rottner a annoncé qu’il voulait lancer un Davos de l’agriculture. C’est bien, mais sur la transition agricole pour aller vers la bio, il ne se passe rien.
Vous avez interpellé aussi les services de l’État…
Il existait jusqu’en 2014 un outil qu’on appréciait beaucoup : la conférence régionale bio sous l’égide du préfet, qui permettait de faire le point une fois par an avec tous les organismes avec lesquels on travaille. Cela aussi, nous avons proposé à la DRAAF de le remettre en place, mais nous n’avons pas de réponse.
Quelle forme prendra votre mobilisation ?
Nous (à savoir l’Opaba, Bio en Lorraine, Bio de Meurthe-et-Moselle, Bio de Meuse, Bio des Vosges, Bio de Moselle, FRAB, GAB 52, Agrobio 51, GAB 10, Agrobio 08, NDLR) avons proposé aux consommateurs, aux transformateurs, aux commerçants et aux associations de se joindre à nous. Nous serons sur la place Charles III de 10h à 14h, avec un barbecue et des produits bios. Les Bretons feront la même chose à Rennes au même moment. Il y a d’autres régions où on sent que ça bouge, notamment celles qui ont consommé l’enveloppe dédiée au financement des conversions depuis 2015 et où la situation est catastrophique. Il y a donc des chances pour que pendant la période hivernale, il y ait d’autres actions.
* L’aide à la conversion accompagne la période de transition de 3 ans, pendant laquelle l’exploitant voit ses rendements chuter et est payé à un prix intermédiaire. L’aide au maintien prend le relais après la certification, pour consolider le modèle économique de la ferme.