La danse des(spores de) fougères
Publié le 28 Décembre 2017
Paru sur le site du Figaro
Les spores des prêles ont quatre «bras» qui s'ouvrent et se ferment en fonction des variations d'humidité, leur permettant ainsi de se déplacer.
Les spores de fougères sont très différentes des graines des plantes à fleurs, et pas seulement à cause de leur cycle de reproduction. Les spores de la prêle - une fougère commune en France dans les zones humides - sont mobiles. Elles se déplacent sur le sol comme des petites araignées et sautent en l'air comme des puces. Enfin pas tout à fait, car elles n'ont pas de pattes mais quatre bras enroulés autour de leur petit corps sphérique.
Une équipe du laboratoire interdisciplinaire de physique de Grenoble a filmé leurs mouvements avec une caméra ultrarapide (10 000 images par seconde) sur laquelle ils ont fixé un microscope (grossissement × 40). Leur étude est publiée en ligne dans les Proceedings of the Royal Society B. Elle est accompagnée d'une vidéo particulièrement réussie.
Les spores qui apparaissent au début du printemps sur les tiges fertiles de la plante ne mesurent pas plus de 50 micromètres (1 μm = 0,001 mm). Il est impossible de les voir à l'œil nu. «Quand on a cette poudre verte au creux de la main, on sent que ça bouge. Et si on regarde bien, on voit des reflets qui changent», raconte Philippe Marmottant, qui a dirigé l'étude.
Le phénomène était connu mais les images permettent de mieux comprendre le mécanisme à l'origine des mouvements. «Grâce à la caméra rapide, on s'est aperçu que les spores réagissent à l'humidité ambiante. Leurs quatre élatères (les bras) s'ouvrent quand il fait sec», explique le chercheur. En se détendant brutalement, ils projettent la spore en l'air. «C'est un peu comme si on leur donnait une pichenette», ajoute le chercheur qui a fait plusieurs expériences en mouillant les spores avec une goutte d'eau et en les séchant rapidement. Si cela se produit quand il y a du vent la spore peut être transportée très loin sur un autre site, assurant ainsi la dispersion et la survie de l'espèce.
Chaque bras est une sorte de long ruban constitué de deux fines lames superposées: une substance rigide et une autre spongieuse. Quand l'atmosphère s'assèche, la lame spongieuse se rétracte et la courbure change. C'est cette énergie élastique qui provoque le mouvement.
Une reptation aléatoire
Les bras ne s'ouvrent pas toujours de manière explosive. Dans ce cas, les spores avancent en ramant. La reptation (que l'on peut voir sur la vidéo) est due au fait que les chercheurs ont utilisé une machine qui envoie de manière très rapide de l'air tantôt humide, tantôt sec au-dessus de la lamelle. «Ce n'est pas l'humidité qui donne l'énergie mais les variations d'humidité».
Une fois déroulés, les bras peuvent se réenrouler pendant plusieurs jours jusqu'au desséchement définitif de la petite cellule.«Mais ils ne se réenroulent jamais dans la même configuration. C'est ce qui explique la marche aléatoire des spores», précise Philippe Marmottant.
Cette petite merveille de la nature avait été observée dès la fin du XIXe siècle par Henry Correvon, un botaniste suisse. Dans l'extrait d'un de ses livres reproduit dans le Wiktionnaire on lit notamment: «Bientôt (les spores) se livrent à des bonds saccadés qui sont dus à quatre élatères en forme de rames, élargies et aplaties au sommet, granuleuses et insérées en un même pôle de la spore.»