Conversion au bio -
Publié le 21 Janvier 2018
Paru dans les DNA - V.K. 13/01/2018
Installé depuis 2010 à Landersheim, sur la ferme laitière familiale d’une soixantaine de vaches, Christophe Diss, 35 ans, vient d’entamer, en octobre dernier, la conversion de son exploitation à l’agriculture biologique. Un choix réfléchi, même si l’État a annoncé la suppression d’une partie des aides financières jusqu’alors versées aux exploitants bio.
« C’est un nouveau départ », assure Christophe Diss. Éleveur laitier à Landersheim, il se dit « serein » quant à la conversion de son exploitation en bio. « Sinon je ne me serais pas lancé dans cette aventure », sourit-il.
Bien dans ses bottes et au clair dans ses choix, cet ingénieur agronome a décidé, en 2010, de reprendre l’exploitation laitière familiale comptant une soixantaine de vaches. « J’ai quitté mon poste de conseiller agricole à la chambre d’agriculture du Haut-Rhin pour devenir gérant de l’Earl du Buebelskraut. » Un « challenge personnel ». « J’ai toujours souhaité m’investir dans l’exploitation familiale. »
Son père s’était lancé dans la production de lait dans les années 70, sur une exploitation de 85 hectares. « Quand je me suis installé, j’ai décidé d’investir a minima et de rester dans le bâtiment d’origine, mis aux normes, la filière étant en plein chamboulement. » Un choix qui permettait de « se préparer à un changement de stratégie ».
« Il vaut mieux investir dans un marché en pleine croissance que dans un marché volatile »
« Le bâtiment dans lequel je produis mon lait a été construit en 1986 pour une production minimale de 300 000 litres de lait par an. Aujourd’hui, on produit 620 000 litres. Nous avons doublé notre production à structure constante. » Reste que « la limite technique des gains de productivité est désormais atteinte ». Par ailleurs, il indique : « En 2018, mon exploitation allait arriver à un tournant. Je devais faire un choix : arrêter ou continuer l’élevage de vaches laitières. »
Or, pour lui, l’arrêt de la production laitière supposait l’arrêt de l’activité. « Je suis persuadé que produire du végétal sans l’animal est plus difficile et néfaste pour la fertilité à long terme du sol. Et puis, ces dernières années, j’ai acquis un certain savoir-faire par rapport à l’exploitation et à l’élevage de vaches laitières. » Un savoir-faire sur lequel il compte capitaliser.
Il a connu les crises laitières ou encore la fin des quotas laitiers et il porte un regard sans concession sur la filière laitière conventionnelle. « Produire un lait non différencié, en concurrence déloyale, souvent en surproduction avec des rapports de force sur le prix et dont le mode de production fait de plus en plus débat au niveau sociétal ne m’intéressait plus ». Par ailleurs, « investir lourdement suppose d’investir sur un marché en création de valeur. Si vous investissez beaucoup pour produire plus, mais que dans le même temps tout le monde fait de même, le prix baisse plus vite que le volume n’augmente et l’on se retrouve avec une baisse de la valeur ajoutée. »
Il reconnaît cependant : « Ce phénomène existe aussi dans la fillière bio. Mais comme le marché est en pleine croissance et que les perspectives de transformation et de valorisation sont réelles sur le plan national, on peut plus facilement faire confiance et avoir une perspective. Il vaut mieux investir dans un marché en pleine croissance que dans un marché volatile. »
Ces réflexions faites, il décide d’entamer, à 35 ans, la conversion de son exploitation. « Ma coopérative laitière a développé une collecte bio depuis plusieurs années. C’était une option parmi d’autres. Le choix du bio n’est pas un choix de mode, c’est un choix stratégique. Nous travaillons sur ce projet depuis plusieurs années, et cela reste une prise de risque car il y va y avoir des investissements. »
En phase de conversion depuis le 1er octobre, l’éleveur laitier doit s’adapter à des pratiques nouvelles : utilisation d’engrais dits verts, nouvelle alimentation pour les animaux, autre façon de travailler. Il prévoit qu’« en 2018, 100 % des terres agricoles seront en conversion et le lait sera qualifié bio à compter de 2020 ».
Son projet a été mûrement réfléchi. Le jeune exploitant, véritable entrepreneur, projette « un nouveau bâtiment d’élevage », « l’achat de matériel de désherbage mécanique », « l’acquisition d’un troupeau plus résiliant » ou encore « l’augmentation de la surface des terres, pour atteindre une centaine d’hectares, pas plus ». « Il va falloir semer plus d’herbe pour devenir autonome au niveau des protéines et de l’énergie. Je fais le pari d’une autonomie couplée à une hausse des prix du lait. Cela compensera la baisse de production qui est la conséquence de ce nouveau système plus extensif. » Ajoutant : « J’envisage de réaliser le même chiffre d’affaires avec moins de charges et moins de production ».
« Les pouvoirs publics ne doivent pas se défausser »
Christophe Diss va plus loin : « Je pense qu’il est possible de réaliser moins d’heures de travail en ayant une meilleure installation technique et matérielle et en simplifiant le système de production. J’envisage également de faire appel à un prestataire de services pour la récolte de la production ou encore d’externaliser le fourragement en adhérant à une Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole, ndlr). La traite pourrait également être robotisée. Tout cela me permettrait de me concentrer sur les troupeaux. » Il réfléchit également à croiser ses futures vaches, « plus rustiques », avec une race à viande pour « faire du veau rosé ou de la génisse ».
Une transition qui nécessite des financements. « J’ai établi un plan d’investissement qui prend en compte la fin des aides au maintien (lire ci-dessous) », explique-t-il. Indiquant que pour lui, le désengagement financier de l’État dans la bio est « une grave erreur ». « Si les aides baissent, les prix de revient augmentent, il va falloir que le prix du lait bio suive. » D’ailleurs, il prône « un prix minimum équivalent au prix de revient médian des producteurs de lait ».
Si le choix de convertir son exploitation dans le bio lui paraît aujourd’hui « une belle opportunité », le jeune exploitant met en garde : « Au-delà du véritable challenge technique et économique que représente ce mode de production dans ce canton, les pouvoirs publics ne doivent pas se défausser au prétexte d’une organisation de plus en libérale des marchés de l’agriculture ». Au risque de reproduire la même situation que dans la filière conventionnelle ?
L’État supprime des aides, qu’adviendra-t-il des agriculteurs bio ?
voir notre article précédent, même sujet du 10 novembre.
L’annonce a été faite en septembre dernier. En 2018, l’État supprimera une part des soutiens financiers versés aux agriculteurs qui souhaitent s’engager dans le bio. Une décision qui n’est pas sans conséquence pour les exploitants bio, notamment ceux installés dans le secteur de Saverne et de Sarre-Union.
« Jusqu’à présent, lorsqu’un agriculteur décidait de se convertir dans le bio, il pouvait bénéficier de deux types d’aides », explique Julien Scharsch, président de l’Opaba (*) et de Bio en Grand Est (**). D’ailleurs, il en avait lui-même bénéficié.
En 2009, Julien Scharsch reprend la ferme de ses grands-parents à Saessolsheim. « J’ai tout de suite voulu me convertir dans le bio. » Il abandonne alors la polyculture et l’élevage porcin pour la culture de produits bio. « La conversion implique des modifications du système de production et une autre approche de l’agriculture », assure-t-il. Et s’accompagne souvent d’une baisse des rendements. D’où une aide financière, l’aide à la conversion. Des aides au maintien prennent le relais après la certification pour « stabiliser et pérenniser le modèle économique de la ferme ». « Quand on se convertit dans le bio, la production doit répondre à un cahier des charges bien précis. Or elle est vendue dans le cadre d’un circuit conventionnel. En général, les deux ou trois premières années sont économiquement difficiles. D’où l’importance de ces aides. »
Des incertitudes sur les conversions à venir
Or l’État a annoncé, fin septembre, qu’il allait cesser à partir de 2018 de verser des aides au maintien aux agriculteurs bio, pour se « recentrer » sur les aides à la conversion. Une décision qui, selon Julien Scharsch, ne sera pas sans conséquence. « Je ne pense pas que les agriculteurs engagés dans le bio vont arrêter leur activité, mais il y a des incertitudes sur les conversions à venir. » Et le président de l’Opaba de préciser : « Ceux convertis dans le bio depuis plus de dix ans ne seront pas impactés. Par contre, ceux qui sont installés récemment vont devoir revoir leur plan de financement. Que va-t-il advenir des agriculteurs qui se sont lancés dans le bio et qui comptaient sur ces aides ? »
Ces aides annuelles versées en fonction de la superficie de l’exploitation – de l’ordre de 150 à 200 €/ha pour une exploitation de polyculture classique, en sachant qu’une ferme de taille moyenne en Alsace s’étend sur une cinquantaine d’hectares – représentent « un “plus” qui permet d’investir dans du matériel ou d’embaucher de la main-d’œuvre ». Julien Scharsch rappelle que la bio peut représenter une manne économique en termes d’emploi. « Les fermes bio nécessitent plus d’interventions manuelles, notamment pour le désherbage, que les exploitations conventionnelles. Elles emploient en général une fois et demie plus de main-d’œuvre. »
7 % des surfaces agricoles en Alsace
D’où son incompréhension face à la décision gouvernementale. « D’autant qu’on est en plein milieu de la programmation. » Rappelant que les quatre cofinanceurs de ces aides (Europe, État, Région et Agence de l’eau) ont défini un plan qui s’établit de 2014 à 2020. Julien Scharsch relève par ailleurs le « dynamisme de la région Alsace » concernant la filière bio. « Aujourd’hui, la région compte quelque 750 fermes engagées dans la bio. Cela représente plus de 7 % des surfaces agricoles. » Et le président de l’Opaba d’espérer atteindre les « 10 % des surfaces agricoles en bio en 2020. Il y a eu une forte croissance des conversions depuis deux ans, dans le secteur et encore plus en Alsace Bossue ». Un développement qui résulte notamment d’une nette progression de la demande pour les produits issus de l’agriculture biologique, +20 % en 2016. « La consommation de ces produits se démocratise. Avant, les acheteurs étaient des militants de la protection de l’environnement, aujourd’hui, ils sont de tous horizons et sont de plus en plus adeptes de produits bio, qu’ils estiment meilleurs pour leur santé. » Et Julien Scharsch de noter, en parallèle, le développement des magasins bio et de la vente directe.
Face à cette situation, le président de l’Opaba prône, en ce début d’année, un nouveau calcul des aides afin qu’elles ne soient plus proportionnelles à la surface mais au nombre d’emplois sur une ferme. Reste à attendre la réforme de la PAC (politique agricole commune). Mais pas avant 2023.
DNA/V.K. 13/01/2018
(*)Organisation professionnelle de l’agriculture biologique en Alsace.
(**)Bio en Grand Est est né en 2017 afin de fédérer les trois réseaux de producteurs bio lorrains, champardenais et alsaciens.