Histoire de lichens épisode 10 : les lichens conquérants de l’extrême (et Physconia grisea)
Publié le 10 Février 2018
Nom scientifique : Physconia grisea (Lam.) Poelt
Date de l’observation: 9 décembre 2017 à Zetting
Division des Ascomycota, famille des physiaceae
Biotope : espèce commune, corticole, sur divers feuillus en situation ouverte et lorsque l’écorce est enrichie en nutriments (souvent imprégnée de poussières)
Nous avons vu dans les épisodes précédents comment la surprenante association lichénique permet l’expression de nouvelles fonctionnalités chez ces organismes, leur permettant ainsi par exemple de résister aux agressions de l’environnement. Nous allons voir dans cet épisode comment et pourquoi on peut qualifier les lichens de conquérants de l’extrême.
Un arsenal original pour se défendre
Nous constatons que le thalle est une véritable serre à photobionte en vue d’optimiser son développement,
- qu’il reçoit de la lumière de manière adéquate à leur survie,
- qu’il reçoit du dioxyde de carbone en permettant une circulation interne d’air,
- qu’il approvisionne en eau en la capturant en surface, dès qu’elle est disponible.
D’autres comparent cette structure à celle des feuilles des végétaux avec un épiderme dessus et un tissu interne (parenchyme palissadique) qui permet la circulation d’air et l’accès à la lumière vers les cellules chlorophylliennes ainsi protégées. Autrement dit, les lichens avaient déjà inventé la feuille sous une autre forme bien avant l’apparition des plantes vertes !!.
L’algue fournit au champignon des substances issues de la photosynthèse pour se nourrir. Le champignon, en retour, outre d’offrir un toit protecteur, est également le chimiste et on sait que ces derniers ne manquent pas d’imagination dans la synthèse de molécules. Ainsi on dénombre plus de 1000 acides lichéniques synthétisés par le champignon. Schématiquement ces molécules sont essentiellement des terpènes, des caroténoïdes et des acides de type shikimique. Les shikimates sont des intermédiaires biochimiques importants dans les plantes et les micro-organismes et sont les précurseurs notamment des tanins, de divers alcaloïdes et de l’acide salicylique, la molécule qui a permis la synthèse de l’aspirine. En Chine, on extrait de l'acide shikimique de l'anis étoilé pour fabriquer des traitements antigrippaux naturels. Il est présent notamment dans le Tamiflu®
C’est donc tout un arsenal chimique que le lichen est capable de fabriquer. Ces molécules s’accumulent dans le cortex ou dans la couche médullaire et agissent comme des antibiotiques qui protègent le lichen des attaques microbiennes ainsi que de l’appétit des herbivores.
Un arsenal original pour résister
N’ayant aucune structure de protection (épiderme, cuticule, etc.), livrés aux aléas climatiques, les lichens ont néanmoins apporté des réponses originales à ces contraintes. Les lichens n’ont pas de racines et vivent souvent sur des parois verticales, ce qui ne facilite pas l’absorption et la rétention d’eau.
Néanmoins ils sont capables d’absorber l’eau par toute leur surface, soit directement quand la pluie coule sur eux, soit en fonctionnant comme une éponge avec l’humidité ambiante de l’air. Ils peuvent ainsi le matin profiter de la rosée ou de l’humidité ambiante pour s’hydrater. Dès que la chaleur augmente, le lichen se dessèche et rapidement, il va entrer en dormance temporaire et cesser de fonctionner. Ainsi, à une échelle quasi quotidienne (s’il y a un peu d’humidité atmosphérique), les lichens alternent sans cesse entre ces deux états. Ils réussissent ainsi à vivre même dans des milieux abrités de toute précipitation comme les surplombs rocheux
La résistance hydrique des lichens provient surtout du mycobionte qui sécrète des polysaccharides autour de l'hyphe, créant ainsi une zone qui piège l'eau sous forme colloïdale. De plus, les lichens accumulent des polyols, qui servent de réserve d'eau. La reprise du métabolisme après une sécheresse est très rapide. Le lichen retrouve ses capacités métaboliques de cinq à trente minutes après une réhydratation.
Les lichens peuvent également survivre à des variations de température importantes : des tests en laboratoire montrent leur résistance à de hautes températures (90 °C), à l'azote liquide (−196 °C).
Lorsqu’il gèle ou s’assèche, le cytoplasme (le « liquide » intra-cellulaire) des cellules du champignon subit une cavitation avec la formation d’une bulle de gaz. La cavitation correspond à la formation de bulles de vapeur, sans élévation de température dans l'eau mais par une action mécanique. Au moment de la réhydratation, cette bulle disparaît. Le fait qu’ils perdent leur eau rapidement leur évite ainsi de geler. Cependant, plusieurs lichens des milieux polaires tolèrent le froid alors qu’ils sont encore humides ; sur l’un d’eux (genre Umbilicaria), on a constaté que la surface des filaments du champignon favorise la formation de noyaux de glace qui conduit au dessèchement progressif interne des cellules avec le processus de cavitation.
Chez Xanthoria parietina, il existe un pigment de couleur jaune-orange (la pariétine) dont la synthèse permet de protéger l’algue des rayons ultraviolets. Il s'y dépose en cristaux extracellulaires dans leur cortex supérieur. Il existe aussi dans les racines de Rumex crispus. La quantité de pariétine dans le cortex varie fortement en fonction de l'éclairement, les thalles situés en pleine lumière dans les falaises contenant en moyenne cinq fois plus de ce composé que ceux vivant dans les sous-bois
En 2005, deux espèces de lichens ont été envoyées dans l'espace et exposées au vide durant deux semaines. Les résultats montrent que, de retour sur Terre et après réhydratation, les lichens survivent à ces conditions extrêmes (dessiccation, températures très basses, rayons UV intenses et rayonnements ionisants) et qu'ils ne présentent quasiment aucune altération de leur structure par rapport à des lichens témoins restés sur Terre
Des conquérants de l’extrême
Les lichens ont la capacité de survivre en milieux extrêmes grâce à une physiologie particulière et à ces métabolites secondaires.
Ils ont surtout la particularité de prospérer là où les plantes ont déclaré forfait : déserts, pierre lisse, laves volcaniques, bitume, etc.
En conclusion
l’association lichénique apporte des propriétés que l’on ne trouve pas chez l’un ou l’autre des partenaires :
- sa reviviscence : capacité de passer rapidement d’un état sec à hydraté et vice versa ;
- son pouvoir lithogène : leur pouvoir de dégradation des roches leur permet de s’installer en pionnier sur des substrats difficiles ;
- sa résistance aux températures extrêmes ;
- l’originalité des voies métaboliques avec l’élaboration de substances spécifiques, les métabolites secondaires encore appelés acides lichéniques.
Toutes ces propriétés ne manquent pas d’application pour le quotidien de l’homme mais ce sera pour un autre épisode.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )
Source: http://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_P/Physconia_grisea.htm
Pour en savoir davantage sur les lichens :
https://etudes.univ-rennes1.fr/digitalAssets/39/39589_P-Rossignol_VLcorrige.pdf
https://www.zoom-nature.fr/quand-1-1-10/
https://www.zoom-nature.fr/une-symbiose-hors-normes/