Histoire de lichens épisode 9 : algue et champignon unis pour la vie!! (et Pleurosticta acetabulum )
Publié le 3 Février 2018
Nom scientifique : Pleurosticta acetabulum (Neck.) Elix & Lumbsch
Date de l’observation: 9 décembre 2017 à Zetting
Division des Ascomycota, famille des parmeliaceae
Biotope : corticole, sur feuillus, principalement sur tronc, sur arbres isolés en bordure de route, vergers, pâtures ou en forêt claire
Nous avons vu dans les épisodes précédents cette surprenante association entre un champignon et une algue. On peut séparer ces membres et les cultiver distinctement en laboratoire. L’algue verte, en culture, forme des petites colonies vertes qui ne ressemblent pas à celles trouvées dans le lichen intact, et c’est le même constat pour le champignon.
En revanche, une fois mélangés, ils forment cette association connue sous le nom de lichen. C’est sur ce surprenant et déroutant constat que nous allons nous interroger dans cet épisode. Parions que nous aurons plus de questions que de réponses.
S’unir pour vivre
Il semblerait que c’est le champignon qui possède l’information génétique nécessaire pour former la structure lichénique (excepté les lichens gélatineux où c’est l’algue) mais il ne peut le faire seul. L’algue serait ainsi capable de faire exprimer ces gènes au champignon pour former l’association. Ceci implique l’hypothèse d’une co-évolution où deux partenaires modifient leur génome pour s’associer en un organisme spécifique.
Il a été démontré que l’interaction racines/champignons (mycorhizes) s’accompagne d’une modification de l’expression des gènes des deux partenaires. Les protéines de surface sont très importantes pour l’établissement de la mycorhize. Plus d’une centaine de gènes sont régulés par cette symbiose. De plus, au niveau des mycorhizes, il a été découvert que le génome des champignons contient plusieurs milliers de gènes codant de petites protéines sécrétées dans le milieu. L’une d’elles au moins est capable de pénétrer dans les noyaux des cellules de la racine et interférer avec la machinerie cellulaire de la plante.
Chaque espèce de lichen est caractérisée par un champignon spécifique ne se rencontrant que dans ce lichen. Il en est de même avec au moins une espèce d’algue d’un genre bien défini. Mais cette espèce d’algue peut se rencontrer chez différentes espèces de lichens (Tievant, 2001). Fort de ce constat, il est établi que le champignon a vraiment lié son existence à son partenaire, par un mariage spécifique et irréversible. Le lichen n’est donc plus morphologiquement une algue ou un champignon mais une nouvelle structure se rapprochant davantage des algues maritimes que du champignon
Un contact étroit entre des partenaires
Le champignon ne se contente pas que de séquestrer l’algue. Les filaments du champignon s’appliquent à la surface de l’algue et forment une expansion, l’appressorium, qui pénètre dans la paroi de l’algue. Ces filaments peuvent également faire un passage dans la cellule et former un suçoir, l’haustorium, qui permet au champignon de prélever sa nourriture carbonée.
Le champignon possède également des protéines (des lectines) qui lui permettent d’adhérer à la surface de l’algue, en se fixant sur des composants glucidiques de sa paroi.
1+1 =3
De cette association de nouvelles propriétés émergent. Par exemple, les acides licheniques sont sécrétés par le champignon dans le seul cas où les deux partenaires sont associées. Ceux-ci sont absents chez le champignon seul ou l'algue seule. Ces acides licheniques protègent les deux partenaires des UV et des herbivores. Grâce donc à cette association, le lichen fabrique des composés qui ne sont pas produits par les partenaires isolés et résiste ainsi à des milieux hostiles. L'association des 2 partenaires surpasse la somme de chacun des partenaires isolés. On ne peut que faire le parallèle avec les plantes endophytées (plantes renfermant un ou plusieurs champignons) qui présentent grâce à ces derniers une meilleure résistance aux agressions extérieures.
Plus de 90 % des plantes dépendent de champignons pour leur survie et les lichens nous montrent que cette association avec les champignons remonte à très longtemps.
Se poser pour réfléchir.
Au terme de ce 9ième épisode et à plus de la moitié du chemin de découverte des lichens, bon nombre de questions restent en suspens. Nous sommes fascinés par cette interdépendance de différents organismes et l’émergence de nouvelles propriétés qui en découlent. On est dans un monde d’interactions, de communications entre les membres de ce système dynamique dont nous avons vu qu’il s’agit d’un équilibre fragile qui oscille entre la symbiose et le parasitisme. C’est ce qu’on avait appelé l’homéostasie du système.
Nous ne pouvons plus considérer comme organismes isolés chacun des partenaires pris séparément. Il s’agit d’un véritable écosystème sous nos yeux avec ses interactions et ses dynamiques. Longtemps la biologie a procédé de la démarche mécaniste en étudiant chaque constituant seul pour en déduire les lois générales. Cette approche a eu des succès évidents et à permis de réaliser des découvertes fondamentales essentielles. Mais l’étude du vivant nous montre que les écosystèmes se trouvent à toutes les échelles, jusqu’à l’intérieur de nos organismes même.
Marc André Selosse dans son ouvrage « Jamais seul » utilise cette belle image : « le monde visible n’est-il que l’écume des interactions microbiennes » ?
Un changement de paradigme s’opère en biologie où l’étude d’un organisme ne se résume plus qu’à sa physiologie et sa biochimie mais aussi à l’étude de sa dynamique, de ses interactions. En bref, l’écologie plus que jamais doit devenir une discipline fondamentale dans l’étude du vivant.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )
Source: http://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_P/Pleurosticta_acetabulum.htm
Pour en savoir davantage sur les lichens :
https://asnat.fr/Dossier-lichenologie/introduction%20lichens.pdf
http://theses.univ-oran1.dz/document/132016110t.pdf
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/SCD_T_2000_0046_DITENGOU.pdf
http://www.afl-lichenologie.fr/telecharger/Bull_AFL_old/Bull_AFL_1988_13(1).pdf