Histoire de lichens épisode 16- 2ème partie Des organismes à protéger même si difficiles à définir

Publié le 25 Mars 2018

Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)
Physconia distorta               Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Physconia distorta Photos Gilles Weiskricher (Anab)

Un succès évolutif

Les lichens ont connu un vif succès à la surface de la terre, puisque pas moins de 13 500 espèces de lichens sont recensées aujourd’hui.

Les lichens sont d’incroyables organismes dont l’état hydrique varie passivement avec les conditions environnementales, un environnement défavorable et pauvre en nutriments. Néanmoins, les lichens ont une grande longévité qui peut atteindre 300 ans en climat tempéré et 3000 ans dans les climats arctiques. Leur croissance est lente car 40 % du carbone est utilisé pour la fabrication des composés secondaires.

Des organismes fragiles

Malgré une résilience face aux conditions environnementales, le lichen ne choisit pas ses aliments : il assimile sans distinction et sans refus possible tout ce qui arrive à son contact : air, eau, poussières, substances et gaz dissous. Ce qui fait sa force fait aussi sa faiblesse car il ne possède aucun filtre contre la pollution de l’air. C’est pour cela qu’il est maintenant un outil reconnu dans l’évaluation de la qualité de l’air.

Les champignons, inventeurs de l’agriculture ?

Des études de phylogénie moléculaire ont montré qu’il y a très peu de génotypes d’algues partagés parmi les lichens, ce qui implique que la sélectivité n’est pas égale entre les champignons et les algues. Les champignons choisissent des génotypes d’algues très spécifiques, tandis que les algues acceptent de nombreux partenaires fongiques. Les champignons sélectionnent donc les algues libres. Cela appuie le modèle de la symbiose des lichens comme une «domestication» des algues photosynthétiques par les champignons (Ahmadjain, 1993), analogue à l’agriculture humaine dans la sélection des cultures. Il a été constaté que les algues intégrées dans un lichen sont moins sensibles à la toxicité des acides lichéniques que des algues vivant librement, ce qui peut suggérer une coévolution. Comme les agriculteurs, les champignons cultiveraient quelques souches exceptionnelles d’algues, qui sont dispersées et utilisées par un grand nombre de partenaires fongiques. Pour les cyanobactéries, c’est un peu différent. Les lichens ont pu fournir aux cyanobactéries une plate-forme évolutive pour se diversifier dans de nombreuses nouvelles formes. Les souches de cyanobactéries dans les lichens sont beaucoup plus diverses que celles qui poussent seules.

Les champignons seraient donc peut être les premiers organismes à avoir pratiqué l’agriculture. On pourrait peut-être compléter la définition d’un lichen par une communauté écologique d’élevage d’algue.

La nature est chimère

Les lichens, et les symbioses en général, nous montrent qu’il faut sortir de la définition de Spencer du darwinisme « la survie du plus apte » où le vivant  n’est que compétition, conflit, lutte individuelle pour survivre. Nous sommes déjà nous-mêmes des chimères génomiques, dont probablement la moitié de notre génome provient d’autres organismes, sans compter que 90 % des cellules de notre corps sont bactériennes et fongiques. Pour la biologiste Donna Haraway, nous devenons ce que nous sommes à travers nos relations avec nos espèces compagnes. Nous ne sommes pas autonomes et notre existence dépend de notre capacité à vivre ensemble.

Définir l’évolution par une progression linéaire du plus simple au plus complexe est faux lorsqu’on est en présence d’organismes constituées de communautés d’espèces vivant ensemble comme les lichens.

Apothécie de Xanthoria calcicola  Photo Gilles Weiskricher (Anab)
Apothécie de Xanthoria calcicola  Photo Gilles Weiskricher (Anab)

Apothécie de Xanthoria calcicola Photo Gilles Weiskricher (Anab)

Préserver les lichens

Les lichens sont menacés. La pollution atmosphérique, les monocultures, les coupes rases, l’introduction d’essences étrangères, l’élimination rapide du vieux bois et du bois mort, l’intensification des pratiques agricoles, la disparition des zones sèches et humides, le développement de milieux cultivés monotones, sans haies, sans arbres, ni murs, l’urbanisation croissante ont pour conséquence la disparition d’habitats essentiels aux lichens et contribuent à leur déclin. L’usage de pesticides est aussi un facteur de recul des lichens. En Suisse, 37% des espèces sont menacées et 9% sont considérées comme disparues.

Aucun lichen ne figure dans la liste nationale des espèces végétales protégées. Néanmoins certaines espèces sont présentes dans des listes régionales. C’est par exemple le cas de Lobaria pulmonaria, inscrit dans la liste régionale des espèces végétales protégées en Haute-Normandie et Basse-Normandie (arrêté du 3 avril 1990), ou de Peltigera ponojensis qui figure dans la liste régionale de la région Centre (arrêté du 12 mai 1993). Contrairement aux autres pays européens, aucune liste rouge des lichens menacés n’existe actuellement en France, cependant des démarches sont en cours. Il existe la liste rouge des macrolichens dans la Communauté européenne par SÉRUSIAUX (1989) dans laquelle figurent plusieurs espèces pouvant être rencontrées en France comme Hypogymnia austerodes et Peltigera venosa. Divers sites en France sont protégés pour la richesse ou l’intérêt de leur flore lichénique, comme en forêt de Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais) ou le site de la Combe obscure dans la Drôme.

Il est dommage que les lichens soient souvent les parents pauvres des inventaires naturalistes car on a vu qu’ils ont beaucoup de choses à nous apprendre sur l’environnement. Les lichens sont parmi les organismes les plus sensibles de nos écosystèmes. C’est à peine si on les remarque sur l’écorce des arbres, les rochers, le sol, etc. Il est urgent d’enrayer le déclin alarmant des lichens. Les protéger ne se justifie pas seulement par les services qu’ils rendent à l’homme, mais surtout par l’importance de maintenir la biodiversité dans la nature. La biodiversité est une valeur inestimable: les organismes les plus insignifiants ont une grande importance. Il n’y a pas d'organismes moins utiles que d’autres. Tous contribuent à leur manière à l’équilibre des écosystèmes. La protection de toute forme de vie va donc de soi. Celle des lichens aussi ! Conserver et protéger la nature dans toute sa diversité est pour nous un devoir éthique envers nos descendants.

Au bout du voyage

Définir un lichen reste un sujet difficile. DES ABBAYES disait que « le lichen n’est pas une algue et un champignon, mais une véritable unité nouvelle, un être nouveau »

Il existe un autre type d’association que le lichen entre une algue et un champignon. Mais à l’inverse des lichens, l’algue est peu modifiée et c’est le partenaire externe de la symbiose. Le champignon est un ascomycète et il est inclus dans les organes reproducteurs de l’algue. C’est ce qu’on appelle une mycophycobiose.

Les lichens nous montrent que la notion d’entité autonome n’existe pas. Le thalle est la résultante d’interactions entre différents organismes impliquant une communication, un développement dirigé et des remaniements. Et les recherches montrent que c’est également le cas chez les plantes et les animaux. Tout est la résultante d’interactions mutualistes entre divers organismes. Les conséquences de cette association dépassent les partenaires mais elle est avant tout créatrice : elle construit les organismes et permet l’acquisition de nouvelles fonctions, bien plus rapidement que par simples mutations aléatoires. Les potentialités apportées par cette association sont plus flexibles que celles apportées par les gènes. S’associer est un des puissants moteurs de l’évolution qui ne se limite pas qu’à des mutations du matériel génétique.

Par leur amplitude écologique, les lichens ont certainement tenu un rôle important voire déterminant dans l’expansion des espèces.

Protéger les lichens, c’est se pencher sur eux, c’est les reconnaître, c’est reconnaître leur existence. Ce qui a toute son importance pour des organismes dont l'identité même est souvent floue pour nombre de citoyens. C’est ensuite communiquer qu’ils ne sont pas des parasites et qu'ils ne font pas de mal ni aux arbres, ni aux murs sur lesquels ils poussent.

Hoffmann, Amoureux et Willemet écrivaient en 1786 que le lichen est le « chaînon qui joint le règne végétal au minéral, un végétal imparfait » « Pendant que tout est mort dans la nature, que le botaniste ne peut rien contempler, il trouve malgré cela quelques objets de curiosité et de méditation dans les lichens » Longtemps restés un mystère pour les scientifiques, il en reste beaucoup à apprendre sur les lichens, d’une part parce que ont les a négligés et d’autre part parce que de nombreuses régions sont insuffisamment prospectées, parmi les plus inhospitalières du monde (zones polaires, hautes montagnes)

« Ce qui m’émeut dans les lichens, c’est leur fantastique puissance de vie » écrivait le poète italien Camillo Sbarbaro (1888-1967). Devant quels « êtres » vivants sommes nous ? Échappant à la notion d’organisme, les lichens nous montrent que le vivant est infiniment plus complexe que nos schémas simplifiés.

Témoins silencieux du passé, sentinelles de l’avenir, les lichens suscitent encore beaucoup d’interrogations. Ce n’est finalement pas au bout du voyage que nous sommes, mais au début d’une nouvelle aventure tant les lichens ont encore de choses à nous apprendre.

 




Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )




Source: http://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_P/Physconia_distorta.htm

Pour en savoir davantage sur les lichens : http://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_P/Physconia_distorta.htm

http://www.econet.ulg.ac.be/cryptogames/index.php?fiche=lichens

http://www.econet.ulg.ac.be/cryptogames/pdf/lichens.pdf

http://isyeb.mnhn.fr/IMG/pdf/selosseletacon2001.pdf

https://museecanadiendelanature.wordpress.com/2014/08/28/lhistoire-etincelante-des-lichens-fluorescents/

Les secrets des algues de Véronique Leclerc,Jean-Yves Floc'h

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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H
Un grand bravo à notre microbiologe par excellence avec cette passion. Expliquer les choses, qui sont difficiles à comprendre pour qn. qui annonce qu'il ne veut plus se prendre la tête et vivre tout simplement......tous mes compliments, Gilles.
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R
Merci beaucoup Gilles de ce beau voyage chez les lichens, de toutes ces découvertes de ce monde mystérieux et incroyable. Nous avons été surpris, étonnés et enchantés de voir ce foisonnement de modes de vie, de relations et coopérations entre des êtres vivants.
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