Dans sa nouvelle maison située dans le centre-ville de Dreux, Cyril Dion savoure cette belle matinée ensoleillée du mois de mai : « Sans arbres ni oiseaux, je deviens fou », confie-t-il en faisant découvrir au visiteur son nouveau jardin de 1 000 m2. D'ailleurs, la première chose qu'il a faite, en emménageant à l'automne, a été de planter neuf arbres fruitiers... Dans son nouveau bureau – une dépendance ouverte sur le jardin, qui sent le bois neuf –, est punaisée une grande affiche de son film, réalisé avec Mélanie Laurent, Demain, sorti en 2015 – 1,2 million de spectateurs, César du meilleur documentaire –, qui l'a propulsé sur le devant de la scène écolo. Cofondateur avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris, écrivain et directeur de la collection Domaine du possible à Actes Sud, Cyril Dion, bientôt 40 ans, a dû faire face dans les nombreux débats qui ont suivi la projection du film à deux grands types de question : « Que peut-on faire face à la crise écologique ? » et : « N'est-il pas trop tard ? » D'où ce petit livre nerveux et dense de 145 pages, intitulé comme un manifeste : Petit Manuel de résistance contemporaine.
Depuis la fin de l'écriture de votre livre, les mauvaises nouvelles écologiques s'accumulent : après les insectes, ce sont les oiseaux des campagnes qui disparaissent massivement, la concentration de gaz carbonique n'a jamais été aussi forte dans l'atmosphère... Est-ce que la thèse de l'effondrement, que vous évoquez, n'est pas en train de gagner ?
D'une certaine façon, l'effondrement est déjà là ! L'erreur, c'est de croire qu'il va se produire de façon spectaculaire. Car si on met tous ces chiffres bout à bout – la disparition des insectes, des oiseaux, des invertébrés... –, l'effondrement est déjà en cours. Aussi, pour moi, la prochaine frontière est celle de la régénération de nos sociétés. Le changement climatique, il faut le renverser et non pas l'atténuer, le diminuer. Et même si c'était trop tard, tout ce que chacun pourra faire améliorera la résilience de nos sociétés.
Comment sauver les oiseaux ?
Vous établissez une comparaison avec la Seconde Guerre mondiale, en appelant à la résistance. La situation est-elle aussi grave ?
Le nazisme, la Seconde Guerre mondiale, c'est évidemment plus brutal et d'une certaine façon cela nous oblige à réagir. Aujourd'hui, nous sommes dans une sorte d'apathie alors que la menace de la destruction massive de nos écosystèmes est plus insidieuse mais tout aussi réelle. La thèse du livre, c'est que nous avons d'abord une bataille culturelle à mener pour reprendre en main notre destin. Il ne s'agit pas de prendre les armes mais de transformer notre façon de voir le monde. De résister aux architectures invisibles (gagner sa vie, le règne de l'argent, se divertir, etc.) qui gouvernent les sociétés et nous empêchent de réfléchir, et donc d'agir.
Il faut que Nicolas Hulot propose une bataille consensuelle et gagnable, comme celle de bannir les pesticides de l'alimentation.
Justement, après avoir constaté que la société capitaliste et consumériste a gagné la bataille de l'imaginaire - notamment avec la religion de la croissance - vous appelez à engager une bataille du récit. De quelle façon ?
Le récit, c'est ce qui que nous entoure, c'est le moteur de nos sociétés. Il faut changer d'histoires pour changer l'Histoire. Ce qui est impressionnant, c'est que le film Demain est devenu une référence culturelle pour beaucoup de gens et que cela a construit un nouvel imaginaire, y compris chez des responsables politiques et économiques. Quand Anne Hidalgo, la maire de Paris, lance son plan climat – 100 hectares de végétalisation, 1400 kilomètres de pistes cyclables, plus de véhicule thermique en 2030, neutralité carbone en 2050 –, c'est une énorme transformation où elle essaye d'écrire une autre histoire de Paris.
Quand Emmanuel Faber, le PDG de Danone, dit qu'il veut que son entreprise devienne un « B Corp » – c'est-à-dire une entreprise dont la finalité deviendrait une mission d'intérêt général pour la souveraineté alimentaire – et que pour cela le groupe a accepté d'être audité tous les deux ans sur sa gouvernance et ses relations avec ses fournisseurs, il propose, lui aussi, d'écrire une autre histoire des multinationales. Quand le conseiller spécial de Ban Ki-moon, l'ancien secrétaire général de l'Onu, nous dit qu'il veut montrer notre film à des délégations étrangères, elles aussi peuvent enclencher une nouvelle histoire du développement. Mon espoir – et aussi tout mon travail – c'est de montrer que toutes ces histoires, en s'agrégeant, peuvent constituer un nouveau récit de société et la transformer.
Avant son entrée au gouvernement, Nicolas Hulot était l'écologiste le plus populaire en France. Depuis un an, trouvez-vous qu'il pèse suffisamment sur les choix majeurs du gouvernement ?
Non, il ne pèse pas assez. Il est un peu entre le marteau et l'enclume, et donc esseulé. Pour lui, la seule façon de s'en sortir, c'est d'avoir les gens avec lui. Il faut donc qu'il propose une bataille consensuelle et gagnable, comme celle de bannir les pesticides de l'alimentation.
Je crois qu'il faut mettre davantage en avant des notions de plaisir, d'utilité, de donner du sens à sa vie.
Vous écrivez que le mouvement écologique n'a pas assez proposé « une vision désirable de l'avenir » ?
Il n'y a qu'à voir la réaction de la plupart des gens quand on leur parle d'écologie, ils le vivent sur le plan de la culpabilité. Pour eux, c'est un truc où on se fait engueuler. Je crois qu'il faut mettre davantage en avant des notions de plaisir, d'utilité, de donner du sens à sa vie. Les détracteurs de Demain ont dit que c'était trop souriant, « Bisounours »... Or, je ne crois pas qu'on peut mobiliser sur la peur et les catastrophes, d'où l'importance de présenter des récits positifs, désirables, de concilier à la fois notre part de cerveau émotionnel et rationnel. Ce que je raconte dans mon livre, c'est qu'on est pris dans des architectures qui nous dictent nos conduites. Le bonheur, ce n'est pas regarder des séries sur Netflix, de faire ses courses dans des supermarchés, de commander sur Amazon ou de passer des heures et des heures sur des écrans.
Vous voyez même dans l'écologie une dimension spirituelle, en faisant dans votre livre l'éloge du silence, voire de la méditation...
Ce sont des espaces de plus en plus rares. Mais il vaut mieux commencer sa journée par de la méditation ou la lecture d'un poème – c'est ce que j'essaye de faire chaque matin – que de consulter ses e-mails sur son portable. Pour ma part, je médite, je marche dans les bois, je travaille dans le jardin en laissant tous les appareils numériques dans cette pièce. C'est ma (petite) résistance.