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«On ne pourra pas toujours s’en tirer, il n’y a pas de planète B» -

Publié le 22 Mai 2018

«On ne pourra pas toujours s’en tirer, il n’y a pas de planète B» -

paru dans Libération le 17 mai 2018

Il y a dix ans, on était réveillé par les oiseaux, plus aujourd’hui. Un constat parmi mille autres de l’extinction majeure des espèces qui bouleverse la planète de façon irréversible. Le naturaliste Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle, s’alarme.

Le naturaliste Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle, partage le constat alarmiste de ses pairs. Et craint que l’homme ne soit pas capable de réagir à temps.

Les scientifiques n’ont plus de mots assez durs pour qualifier l’état de la biodiversité : «Anéantissement biologique», «défaunation aux conséquences catastrophiques»… La situation est-elle si grave ?

J’aime bien prendre du recul. Lors des derniers 500 millions d’années, il y a eu cinq crises d’extinction majeures de la biodiversité et une cinquantaine d’autres plus petites. On peut en tirer des leçons. Premièrement, il n’y a pas deux crises identiques, elles sont toujours conjoncturelles. Deuxièmement, les crises ne tuent pas, elles ne provoquent pas une hécatombe mais sont plus pernicieuses : de génération en génération, les espèces sont moins peuplées. Une crise est mondiale et touche différents groupes d’espèces. Dernière caractéristique : elles sont brutales à l’échelle géologique, de l’ordre du million d’années en moyenne. La deuxième leçon à retenir des crises passées est qu’elles ont toutes été multifactorielles.

On serait donc en train de provoquer et vivre la sixième extinction majeure des espèces ?

Rappelons les faits. Nous constatons un déclin mondial et extrêmement brutal de la biodiversité, qui touche des groupes extrêmement divers, les vertébrés, les insectes et la microfaune du sol. Ça n’a jamais été aussi rapide dans l’histoire. La vitesse est le facteur le plus inquiétant.

Si on extrapole les chiffres du Millenium ecosystem assessment (1) étudiant les 200 dernières années, on aboutit à une éradication de tous les mammifères en environ 10 000 ans. Et cela peut s’accélérer. De même pour le changement climatique, on est sur des vitesses de bouleversement qui ne sont pas compatibles avec la vie végétale et animale.

Vous dites que la crise actuelle est multifactorielle. Quels sont ces facteurs ?

On parle beaucoup du réchauffement climatique, mais la plus grosse pression sur la biodiversité est le changement d’usages. C’est l’utilisation qu’on fait de la planète qui touche le plus la biodiversité. Les études sur le déclin des oiseaux communs publiées par le Muséum et le CNRS, fin mars, montrent que dans les plaines agricoles, l’utilisation des produits phytosanitaires et l’intensification des pratiques empêchent les oiseaux de se reproduire correctement. La pollution, l’agriculture, le changement climatique sont autant de facteurs qui s’additionnent.

On peut donc bien parler d’«anéantissement biologique» ?

Oui. Je ne l’aurais peut-être pas dit il y a quelques années parce qu’on n’avait pas toutes les données détaillées sur le déclin des espèces communes. Mais depuis cinq ans, on empile les mauvaises nouvelles. La diminution des oiseaux, des insectes, de la microfaune du sol qu’on observe en France est extraordinairement alarmante. On est en plein milieu d’une crise du passé. Sauf qu’on va beaucoup plus vite.

Est-on en train de la vivre en France ?

Chez nous, dans nos jardins, beaucoup de gens constatent qu’il y a moins de lapins de garenne et de hérissons, par exemple. Il y a dix ans, j’étais réveillé par les oiseaux à 5 heures du matin, qui faisaient un boucan pas possible. Aujourd’hui, je ne le suis plus, et je ne pense pas être devenu sourd. Face à cela, je me dis : «Ce n’est pas possible. Qu’avons-nous fait ?» On détruit leurs environnements. On bourre les champs de produits phytosanitaires. On met des enrobages sur les graines de céréales pour qu’elles ne soient pas mangées par les parasites et cela empoisonne les animaux. On injecte des perturbateurs endocriniens dans l’eau. Les bestioles se reproduisent moins bien, voire s’empoisonnent. On perturbe tout le système écologique.

Un système dont les humains font partie...

Le dualisme nature versus homme est totalement faux. On a deux kilos de bactéries en nous dont notre vie dépend. En tant qu’espèce, on vit en symbiose avec le reste du monde. On en a besoin pour exister, pour manger, boire. Quand on porte atteinte à la biodiversité, c’est à nous, humains, qu’on porte atteinte. On est en train de gravement perturber le fonctionnement des écosystèmes qui nous rendent un tas de services : la purification de l’eau, de l’atmosphère, les ressources alimentaires, la régulation des grands cycles biochimiques et du climat.

Ces fonctionnements peuvent basculer vers de nouveaux équilibres si on les modifie de manière trop importante. Des équilibres dont on ne connaît pas les conséquences. J’aime prendre l’exemple de la tour Eiffel. Si on lui enlève une, deux, trois poutrelles, c’est comme si on enlève des espèces de certains écosystèmes. Au bout d’un moment, la tour Eiffel va s’effondrer. On aura basculé dans un nouvel écosystème qui ne rendra pas les mêmes services. Et dont les humains seront peut-être absents.   

Dans votre livre la Biodiversité de crise en crise, vous posez cette question : «l’espèce humaine sera-t-elle la prochaine à disparaître ?»

Je continue de le penser fortement. Elle ne sera pas la toute prochaine à disparaître, mais sûrement une des prochaines. Parce que nous sommes trop prétentieux de penser qu’avec notre technologie, on pourra toujours s’en tirer. Il n’y a pas de planète B. Il faut arrêter de rêver, il n’y a pas d’autre option que de rester sur Terre pour le moment et d’essayer d’y vivre le mieux possible. La deuxième chose, c’est que nous sommes une espèce complexe, donc fragile. On a une physiologie compliquée, on a l’impression d’avoir une bonne carapace, avec notre technologie, notre pharmacopée, qui nous protègent, mais jusqu’à une certaine limite…

La pharmacopée, qui dépend de la biodiversité…

Oui, il y a des tas d’exemples. Un seul, peut-être le plus spectaculaire. Des bactéries symbiotiques qui vivent sur les larves d’animaux marins microscopiques, les bryozoaires, sécrètent un produit qui est un anticancéreux majeur, contre le cancer du pancréas.

Ces alertes provoquent un certain émoi… qui retombe vite. Pourquoi ?

En étant optimiste, je me dis que nous avons conscience de la manière dont on agit sur notre environnement, donc on a une capacité à réagir. Mais si je me tourne vers l’histoire des sociétés, je constate que l’homme a un comportement puéril face à des enjeux majeurs. Il va, à chaque fois, au bout de son erreur. Nous sommes au volant d’un véhicule sur l’autoroute, nous savons qu’il y a un mur et qu’on y va très vite. Mais la réaction n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Je pense qu’on va aller dans le mur. Et ce sera irréversible. Une fois que la tour Eiffel est en mille morceaux sur le Champ de Mars, elle a changé d'état, c'est fini, on est dans le mur.

Sait-on quand se situe ce point de bascule ?

Le paléo-écologiste Anthony Barnosky estime que cela se passera autour de 2050, en extrapolant une tendance : pour le moment, 25 % de la surface des continents est touchée par les changements anthropiques de manière importante. Il continue la courbe et estime que quand on atteindra 50 à 60 %, la planète va commencer à fonctionner autrement. Mais je pense que c’est difficile à évaluer, car on ne sait pas comment on va réagir, quelle sera la pression démographique. En 1980, on était 4,5 milliards d’humains, aujourd’hui, on est plus de 7,5 milliards.

Que faire pour éviter ce basculement ?

Je n’ai pas de solution miracle, je ne suis ni politique ni économiste, je suis naturaliste, je porte un constat. Il faut complètement changer de mode de consommation. Mais la première remise en cause est d’abord démographique. Si on ne veut pas totalement changer de mode de vie, il faut qu’on accepte une réduction de la population. On est dans un modèle économique où il faut qu’elle augmente, mais jusqu’où ? 200 millions, 500 millions, pour la France ? Notre planète est finie, on ne peut pas avoir une croissance infinie, c’est du b.a.-ba. A un moment, il va falloir changer de système. Je pense qu’on ne sera pas capables de le faire, et que ce sont les circonstances qui nous l’imposeront. Le fait que les écosystèmes ne nous rendront plus les mêmes services, que les territoires ne seront plus habitables comme ils l’étaient, risque de provoquer des grandes migrations écologiques extraordinairement violentes et des guerres. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut absolument qu’on freine. Mais rien que l’interdiction de trois insecticides néonicotinoïdes en Europe pour protéger les pollinisateurs, vous avez vu le barouf que ça a fait !

Que pouvons-nous faire en tant que citoyens ?

D’abord, on peut utiliser nos bulletins de vote. On peut aussi manifester : on a le droit de s’exprimer sur l’environnement, de manière démocratique et pacifique. Dans notre vie quotidienne, il faut s’interroger sur chacun de nos petits gestes, sans pour autant renoncer à vivre.

Les petits gestes suffiront-ils ?

Non, peut-être pas. Il faut, après, convaincre les politiques. Nicolas Hulot est sans doute la bonne personne au bon endroit pour le moment, parce qu’il a cette sensibilité.

Qu’attendez-vous de son plan biodiversité ?

Je prends tout ce qui est bon à prendre.

Le gouvernement se montre incohérent, par exemple avec le projet de mine d’or géante en Guyane, soutenu par Emmanuel Macron…

Il y aura forcément des incohérences, car on ne peut pas basculer dans un autre système économique du jour au lendemain. Je pense qu’on en est incapables, moi le premier. Mais il y a quand même le début d’une vraie prise de conscience. Elle ne se traduit juste pas encore en actes.

(1) Le Millenium ecosystem assessment (Evaluation des écosystèmes pour le millénaire) est né en 2000 à la demande du Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Il vise à fournir des informations scientifiques relatives aux conséquences des changements que subissent les écosystèmes pour le bien-être humain ainsi qu’aux possibilités de réagir

 
 
 

Dans la même veine, de manière très pratique, un constat témoignage :


Témoignage d ’ un salarié du Conservatoire des Espaces Naturels de Lorraine 

« Je suis assis dans un affût quelque part dans le Massif des Vosges, il est 7h30. Je dis  quelque part  car je dois garder une certaine confidentialité sur le lieu de mes observations.  L 'espèce que je suis est le Grand Tétras. Disons plutôt l'espèce que je suis censé observer,  recenser, contrôler est le Grand Tétras. Mais ce matin, rien. Comme hier soir, rien. Rien.  

Alors certes, nous sommes onze observateurs, peut - être les autres auront - ils de meilleures  nouvelles. Peut - être mon poste d'observation, tiré au sort , n'est pas le mieux placé à cette  période. Peut - être est - ce trop tôt dans la saison et que le chant n'a pas vraiment commencé.  Peut - être les Tétras sont - ils ailleurs. C'est beaucoup de peut - être, mais ils marquent  significativement le doute qui m'assaille et qui m'a poussé  à  écrire ce texte. 
Que se passe - t - il ? 
D'aucuns diront que le Grand Tétras est en régression parce qu'il subit de plein fouet le  changement climatique, lui une espèce boréo-montagnarde pour qui la rudesse des hivers est  nécessaire, indispensable  ( ? ) à  sa  survie. D'autres évoqueront la hausse de fréquentation du  massif. Ou d'autres causes ... 

Alors certes ... mais ce matin, il n'y a pas que l'absence du Tétras qui m'a choqué, mais  également le calme qui régnait autour de mon affût. Cette remarque  peut être étonnante, car le  calme c'est ce que recherche le Grand Tétras. Cela devrait être positif. Malheureusement non. 

La première fois que j'ai participé à un comptage de Grand Tétras, c'était il y a 10 ans. Je  venais d'arriver au Conservatoire depuis quelques jours et hop, tout de suite dans le bain. Une  nuit complète dans un affût par des températures glaciales. Et ce jour - là , au - delà de voir et  d'entendre mon premier Tétras vosgien, je fus impressionné par le bruit au lever du soleil.  Ce  bruit, je devrais dire ces chants, les chants d'oiseaux. C'était assourdissant au point que l'on  perdait l'écoute des Tétras. Les grives, merles, rouges - gorges, pinsons, accenteurs, mésanges,  ... 
Un orchestre à plumes et à trilles. Car au milieu de la for êt , loin des bruits humains, dans  une zone de quiétude, les sons étaient clairs, puissants. Chaque chanteur devait lutter pour être  entendu par - dessus les vocalises de  ses voisins et non par les bruits artificiels de nos villes,  voir e de nos campagnes. 

Or, ce matin, je n'ai pas été abasourdi par le chant des oiseaux. Ce matin, un pinson, quelques grives, un seul geai, deux ou trois accenteurs, si peu. 

Alors, oui, pour les mêmes raisons que mon poste d'observation Tétras n'est pas le mieux  placé cette année, à cette date, peut - être en est - il de même pour les autres oiseaux. Pourtant,  les conditions météo sont bonne s, le milieu plus que favorable , le site très préservé, alors quoi  ? 

Et je repense aux chiffres qui nous sont annoncés ces derniers temps : moins 30 % de  l'avifaune des zones rurales, moins  75 % d'insectes volants , disparition sans précédent des  espèces da ns le monde, sixième extinction ... Devrais - je faire le lien ?  Ce matin si calme est - il  une preuve ? Même subjective ?  Supplémentaire ?  Une coïncidence ? La semaine prochaine  autour de mon affût seront - ils de retour, les Tétras et les chanteurs de l'aube ?  Et dans ce cas,  j'aurais été un oiseau de  mauvais augure pour rien, un lanceur d'alerte intempestif. Qu'il est difficile de savoir que dire ?  Comment réagir ?  Que faire ? 

En tant que scientifique de formation, je sais qu'il faut attendre, comparer, confirmer. Mais  est - ce que ce n'est pas déjà fait ? Combien de chiffres nous faut - il encore pour comprendre ?  Comprendre qu'un matin calme est le signe qu'i l faut agir, agir maintenant, agir tous  ensemble . 

Et si la semaine prochaine, je ne peux plus entendre le Grand Tétras parce que les autres  oiseaux font trop de bruit, alors, tant mieux. Cela voudra dire qu'il y a encore du Grand  Tétras, qu'il y a encore d es oiseaux chanteurs. Mais ce que j'aurai pu faire d'ici la semaine  prochaine, ce que nous aurons tous fait ne serait pas perdu . Améliorer les conditions de vie  des espèces qui nous entourent , c'est toujours ça de gagné pour notre survie, s'il nous fallait qu'un seul motif, très égoïste, de le faire. En attendant, la semaine prochaine, demain, je vais contrôler ce que l'on appelle dans le  jargon administratif "une manifestation sportive motorisée", plus simplement un enduro - moto  qui a prévu d'emprunter des sentiers, de traverser des zones humides et des zone s de quiétude.  Je vais endosser un uniforme et sans doute contrôler le non respect du Code de  l'environnement. Et cela me désole, devoir en passer par du répressif est le signe que nous  n'avons pas  encore compris que le respect de l'environnement c'est se respecter nous - mêmes.  Notre nature humaine, notre arrogance nous fait croire que nous sommes en - dehors du  système. Malheureusement, nous dépendons de toutes les autres espèces et les détruire sans raisonnement c'est  porter atteinte à nous - mêmes. C e matin, les oiseaux se sont tu , demain les  motos vont vrombir pour le plaisir de quelques - uns, mais à quel prix ? 

Penser que le chant assourdissant des oiseaux au petit matin il y a dix ans ne sera plus audible  dans dix ans pour mes enfants m'attriste profondément. Je travaille "dans l'environnement"  pour lutter contre ça. Mais ce matin j'ai honte de mon échec, de notre échec. 

Il est temps d'agir, agir vraiment, agir tous. 

PS : en fait j'ai finalement atte ndu une semaine, avant de diffuser ce texte. Je me suis dit que  ce n'était pas possible. Qu'une semaine permettrait d'atteindre la bonne période de  reproduction du Tétras et des autres oiseaux. Résultat : toujours aussi peu de Tétras et pas vraiment plus d 'oiseaux chanteurs 
 

Rédigé par ANAB

Publié dans #préserver les ressources

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H
Bonjour,<br /> <br /> deux articles qui font l'appel d'agir pour la biodiversité (y compris l'espèce humain) et pour un avenir sur notre terre et même pour la survie. <br /> il n y a pas des solutions miracles, il ne faut pas compter sur la politique(dans un monde global faire de la politique raisonnable est très difficile).<br /> Ce qui concerne les agriculteurs, ce ne sont pas eux, qui veulent détruire les écosystèmes. C'est la politique agricole commune depuis des années soixante, qui est responsable avec la demande d'accroître la productivité que nous sommes là où nous sommes(sans vouloir parler de Monsanto, Bayer et les autres).<br /> <br /> Tout changement peut commencer avec une autre façon de vivre...chez moi...
Répondre
R
Merci Hans de ton commentaire toujours aussi sage et pragmatique.<br /> Bravo pour ta philosophie.<br /> <br /> Tout changement peut commencer avec une autre façon de vivre...chez moi...