Rochers d'ici et d'ailleurs.

Publié le 22 Septembre 2018

Dans un article consacré à l'Altschlossfelsen, nous évoquions les rochers ruiniformes qui affleurent à la limite est de l'Alsace Bossue, dans les Vosges du Nord et le Palatinat. Ils appartiennent au Buntsandstein et prennent la forme de tables, de lames, de colonnes, d'arches...
Les voyages offrent l'occasion d'explorer parfois des sites qui offrent ce type de paysages rocheux: chaos de Montpellier-le-Vieux, cirque de Mourèze ou à plus grande distance, le site de Petra, le site de la Monument Valley, par exemple...
Dès lors se pose la question: quel est le rôle joué par la roche constitutive, par les agents d'érosion, le climat, dans le modelé de ces rochers?
Dans cet article, on s'intéressera à des rochers aux formes curieuses de la bordure sud du massif des Ecrins, les Aiguilles de Famourou.

Aiguille de grès près de Chaillol (05). Altitude 2000 m. On distingue au sein de la colonne, un agencement sous forme de strates. Les parois à l'aspect déchiqueté montrent des indentations au niveau de certaines couches visiblement moins résistantes à l'érosion.

Chaillol, 2000 m.Deux pinacles de grès beige aux formes plus ou moins contournées accompagnent une lame verticale au premier plan. Les fissures de l'aiguille centrale indiquent une des causes de la formation de ces rochers.

A ce stade, il est intéressant de jeter un regard sur l'histoire géologique de ce secteur

Escarpement sous le col du Vialet. Le massif montagneux qui forme le site appartient à une
formation gréseuse de couleur beige désignée sous le nom de Grès du Champsaur. Il s'agit d'une succession sur plusieurs centaines de mètres d'épaisseur de bancs métriques de grès (sables cimentés) plus ou moins grossiers alternant avec des inter-bancs de grès très fins d'aspect schisteux.
L'ensemble présente une fissuration verticale importante responsable de l'éboulement de blocs en pavé qui ont pu être utilisés dans la construction. Des parois verticales (cliché) jalonnent certains couloirs de failles.

Détail de la sédimentation.
Sur le cliché (hauteur environ 2 m) deux bancs de grès sont
partiellement visibles.
Moitié inférieure: le grès comporte des inclusions et des cavités dont la taille diminue du bas vers le haut. Le contenu reste visible sur l'échantillon à la base (30 cm) : il s'agit d'un lambeau de grès très fin.

Au sommet du banc, des couches de grès fin, dont une érodée en partie par des sillons verticaux, sont disposées horizontalement. Une ligne nette (surface d'érosion) sépare ce banc du suivant dans lequel apparait un litage oblique.

L'ensemble des observations et des études géologiques interprète cette série comme étant le résultat d'épandages sous- marins de sables sous forme d'avalanches répétées. Un bassin marin d'avant-pays au fond instable était installé sur le pourtour de la future chaine alpine en cours de formation, il y a 35 MA.
En réponse à des séismes, les sédiments déposés en bordure du continent ont été pris dans des glissements en masse qui ont partiellement érodé les fonds environnants pour se redéposer en milieu plus profond sous forme de larges éventails. Au cours des temps, le dépôt (enfoui) s'est solidifié et déformé (fissuration) et a été intégré à l'orogène (soulèvement). Une nouvelle phase commence alors l'érosion.

Fragmentation sur place «banc après banc» au sommet de la montagne selon le réseau de fissures préexistant et profil du versant sud sous forme de marches d'escalier.
A l'époque quaternaire, la couverture sédimentaire a été entaillée par les glaciers (on voit au fond dans la brume la zone de confluence des glaciers de la Durance et du Drac).

Les zones hautes ont contribué à l'alimentation de cirques glaciaires aux parois raides façonnées par les phénomènes de gel dégel qui ont provoqué le déchaussement et l'ablation des blocs que les avalanches de neige et l'avancée de la glace ont entrainés. En période post-glaciaire, la poursuite de certains de ces phénomènes a conduit à un modelé des flancs sous forme d'une succession de gradins en altitude et à de vastes cônes d'éboulis au pied de la montagne qui acquiert ainsi un relief en trapèze.

D'autre part, les flancs de la montagne sujets au ravinement (avalanches, ruissellement) sont creusés par une série de sillons (couloirs) séparés par des arêtes. Au sein de ces dernières, les zones fissurées sont progressivement nettoyées de leur contenu (cliché) de sorte que ne subsistent à la longue que des lames ou des colonnes de grès isolées que la circulation d'eaux chargées en ions minéraux a pu consolider..

Schéma simplifié montrant les divers aspects du relief engendrés par le jeu de la tectonique et de l'érosion en périodes froides. Quelques bancs seulement ont été figurés. Le réseau de fissures / failles est réduit à l'extrême.

aiguilles de Famourou (clochetons, pinacles)
http://www.geol-alp.com/drac/_draclieuxS/Chaillol-1600.html
Comparaison des deux formations (Vosges du Nord / Alpes du sud)
Nous retrouvons dans ces deux sites un certain nombre de similitudes favorisant la formation de rochers aux formes curieuses :
– des bancs de grès métriques séparés par des inter-bancs facilitant le délitement horizontal
– un réseau de fissures facilitant la fragmentation verticale sous forme de blocs
– un agent d'érosion et de transport des débris, eau liquide ou glace en rapport avec une
altitude et un climat appropriés.
– des facteurs climatiques (alternances gel-dégel, précipitations-évaporation...) favorisant la
désagrégation des surfaces (érosion grain à grain).

Images de formes rencontrées dans les grès des Vosges du nord

A gauche, la ligne bleue des Vosges depuis Hesse (57) et en point de mire le Donon (1009 m)
reconnaissable à sa forme caractéristique en trapèze. A droite, la pente sud du Donon avec son enchevêtrement des bancs de grès en place et de blocs éboulés

A gauche, le site de Graufthal (67), stratification dans les grès du Conglomérat principal et
fracturation verticale. A droite, base du rocher de l'Erbsenfels près de Hanau (57). Erosion
différentielle d'un banc de grès tendre.

A gauche, arche locale dans les rochers de la Bande Noire à Oberhof (67). A droite, rocher du Ramstein à Baerenthal (57).

Remarque
A propos des sites cités en introduction.
Le site de Petra est installé dans des grès très anciens (Cambrien-Ordovicien). Des circulations de fluides chargées d'ions sont responsables de colorations spectaculaires à proximité des fissures.
L'ensemble très faillé a été entaillé le long de ces lignes de faiblesse pendant des périodes plus humides.
Les grès de la Monument Valley datent en grande partie du Permien. La remontée du socle
accompagnée de fissurations a activé l'érosion de ce secteur. Les nombreuses buttes-témoins
résiduelles, aux dimensions hors norme, font l'attrait de ce site.
Les formations de Montpellier le Vieux, du cirque de Mourèze sont des calcaires blancs marins
datant du Jurassique moyen. Ils sont plus ou moins dolomitisés. A l'érosion mécanique se rajoute un important phénomène de dissolution des roches par voie chimique. Les eaux superficielles/
souterraines chargées en dioxyde de carbone ont emporté une quantité notable de calcaire. C'est le phénomène de karstification.

Texte et photos Etienne Feuchter (Anab)