Climat : le succès de la grande marche
Publié le 10 Décembre 2018
Marche pour le climat France télévision du 9/12/2018 (cliquer pourla vidéo 1min 40 sec))
Ils s’étaient réunis pour le climat.
Samedi 8 décembre, des milliers de personnes marchaient pour le climat à Paris. Déguisés en animaux en voie d’extinction, sur des airs de samba, ou tout simplement en vert, ils faisaient "la fête" pour défendre le climat en réponse aux tensions des "gilets jaunes". Parmi eux, des écologistes de longue date qui expriment les mêmes revendications.
Main dans la main
Parmi les manifestants, des "gilets jaunes" donc. Une présence qui ne choque personne. "Je suis climat et société. Et je me bats pour la société qui part en c******* et pour le climat qui part en c******* ", clame un manifestant. Tous prônent le dialogue. La taxe carbone aurait pu les diviser, mais cela ne semble pas être le cas. Son gel n’est absolument pas pointé du doigt parmi les revendications, car pour eux il faut la financer autrement, à commencer "par rendre l’ISF", disent-ils. Une manifestation à succès pour les organisateurs qui avancent la présence de 17 1000 personnes, soit beaucoup plus que lors de la dernière marche.
La garde à vue du président des Amis de la terre :
« Les ordres venaient d’en haut »
paru sur Reporterre le 8/12/2018
Florent Compain, président des Amis de la Terre France, et Denys Crolotte, du Mouvement pour une alternative non violente, ont passé une nuit en garde à vue à Nancy. Motif : avoir co-organisé la Marche pour le climat dans cette ville. Qui a réuni plus de mille personnes dans le calme.
Nancy, correspondance
« J’ai eu l’impression d’être un gamin. On a été puni par le préfet à la hauteur de notre désobéissance. » Traits tirés et sourire radieux, Denys Crolotte rejoint, sous les acclamations, la cinquantaine de manifestants qui l’attendent devant le commissariat de police de Nancy. Il st 12 h 35, ce dimanche. Il y est entré la veille, vers 16 h 30, après avoir été arrêté avec Florent Compain, en toute fin du cortège de la Marche pour le climat. Les deux hommes ont été particulièrement impliqués dans l’organisation locale de cette mobilisation mondiale, qui a rassemblé en France des milliers de personnes dans 120 villes. Et pour cause : Florent est le président des Amis de la terre – France, tandis que Denys co-préside le Mouvement pour une Alternative non-violente (MAN) à Nancy.
Leur crime ? Avoir maintenu une manifestation interdite, la veille, par un arrêté signé de la main du préfet de Meurthe-et-Moselle, Éric Freysselinard. « Le préfet m’a téléphoné, vendredi matin, alors qu’il se trouvait avec le maire de Nancy et le procureur général, raconte Florent à Reporterre sous une pluie battante. Il m’a demandé d’annuler la Marche au motif que les Gilets jaune constitueraient une menace pour nous. Pire : d’après le préfet, ils seraient armés ! »
Télécharger l’arrêté d’interdiction :
Effectivement, l’arrêté préfectoral prévient de la menace que représentent « considérant la radicalisation du mouvement des gilets jaunes », ou encore les « risques de confrontations directes, de heurts et de troubles à l’ordre public, entre les participants du mouvement "gilets jaunes" et ceux du mouvement "marche pour le climat" qui soutient les taxes sur le carbone que contestent les gilets jaunes ».
- Florent Compain : « Le préfet m’a dit que j’étais "complétement irresponsable". Je lui ai répondu que c’est nous qui sommes responsables face à l’urgence climatique. »
« Toujours au téléphone, le préfet m’a dit que j’étais "complétement irresponsable", poursuit Florent devant le commissariat. Je lui ai répondu que c’est nous qui sommes responsables face à l’urgence climatique. Et qu’on était prêts à se réunir avec lui pour redéfinir entièrement le parcours s’il le faut. » Le préfet n’a pas donné suite à cette invitation à la concertation. La Marche a été maintenue. À une condition : « Avant le départ, explique Denys, on a pris le temps d’expliquer à tous les participants que la manifestation était interdite par la préfecture et on a soumis au vote son maintien. » « On a vu, alors, toutes les mains se lever bien haut ! », ajoute Patricia, son épouse, membre du MAN Nancy également. Elle faisait partie, avec son fils, des 40 gilets verts, ces encadrants qui géraient la circulation tout en distribuant des tracts invitant les passants à se joindre à cette mobilisation « non-violente, ouverte, familiale ».
C’est là le deuxième crime : la mobilisation a été un réel succès à Nancy, rassemblant entre 1.000 et 1.500 personnes, selon le côté où l’on se situe, celui des Renseignements territoriaux ou celui des organisateurs (tandis que L’Est Républicain a comptabilisé « plus de 600 personnes »). « Même les automobilistes bloqués par le cortège le prenaient à la rigolade, certains nous soutenaient », assurent des gilets verts. Le départ de la manifestation a été donné devant le siège de la Métropole du Grand Nancy pour faire converger les enjeux nationaux de la mobilisation – « apporter une réponse aux problèmes de fin du monde autant qu’aux problèmes de fin de mois » – à des revendications portées par des associations locales, notamment la résorption des points noirs sur les pistes cyclables. « Car ça n’incite pas les automobilistes à prendre leur vélo », relève Patricia.
- La marche pour le climat s’est déroulée à Nancy pacifiquement, réunissant plus de mille personnes.
Arrivée à la célèbre Place Stanislas, où se trouvent la mairie et la préfecture, une dizaine de policiers se sont placés entre les marcheurs pour le climat et les 100 à 200 Gilets jaunes présents, afin d’empêcher la convergence des deux mouvements. « Des barrages policiers bloquaient toutes les entrées de la Place, mais là, bizarrement, ils n’étaient que dix malheureux policiers... À croire qu’ils voulaient provoquer le débordement », analyse Thomas, le fils de Denys, lui aussi gilet vert. « Les Gilets jaunes étaient littéralement nassés. Le but était clairement de nous diviser », revoit le président des Amis de la terre. Bousculades, tensions. Mais aucun débordement. La Marche a repris sans les Gilets jaunes – sauf ceux qui avaient rejoint le cortège avant le départ.
Quelques centaines de mètres plus loin, place d’Alliance, la Marche a pris fin. « Dans une ambiance bon enfant », assurent les participants. La dispersion des troupes a commencé. C’est alors que Denys et Florent ont été invités par les policiers à se rendre au commissariat – « pour une audition libre, ils nous ont bien dit libre ». Les deux militants écologistes ne se sont pas posés de question. En septembre, ils avaient déjà eu droit à une audition libre, suite à une « opération de nettoyage » de la Société Générale pour appeler « la banque, n°1 des énergies sales, à mettre fin à ses soutiens aux énergies fossiles ». Tout s’était bien terminé.
Mais cette fois, à peine entrés dans la voiture de police, ils ont senti le piège : « On m’a demandé de vider mes poches. On a mis mon sac dans le coffre », dit Florent. Une fois entrés au commissariat, leurs proches n’ont plus eu de nouvelles. Au commissariat, on leur a annoncé qu’il s’agirait d’une garde à vue de quelques heures. Elle a duré plus que la nuit…
- Denys Crolotte : « On a été en garde à vue parce qu’on a fait un magnifique pied de nez au Préfet. »
Entre temps, les appels à soutiens se sont multipliés, alors que l’article de Reporterre, mis en ligne en fin d’après-midi, était lu par des dizaines de milliers de personnes. Les soutiens se ont multipliés sur les réseaux sociaux, de Jean-Luc Mélenchon à Clémentine Autain (France insoumise) en passant par le lanceur d’alerte Antoine Deltour. Le standard du commissariat a croulé sous les appels téléphoniques.
Alors qu’ils étaient 74 militants à co-organiser la Marche pour le climat dans tout le pays, Denys et Florent encourent 6 mois de prison et 7 500 euros d’amende. « On a été en garde à vue parce qu’on a fait un magnifique pied de nez au Préfet. Au final, il nous a fait une publicité d’enfer ! », rigole Denys, de nouveau libre.
Mais il rit jaune : « Il est clair qu’il y a eu une alliance entre le préfet et le procureur de la République. Normalement, on place 24 heures en garde à vue les organisateurs d’une manifestation non déclarée. Or, la nôtre était déclarée de longue date... » Et Florent de conclure : « Le motif de notre détention était politique. Au commissariat, les policiers ne se sont pas cachés pour nous dire que les ordres venaient d’en haut. Ni pour nous encourager et nous féliciter pour l’organisation et le bon déroulement de la Marche ! »