Lichens et champignons en interaction épisode 6 : des fourmis cultivatrices (Lathagrium auriforme)

Publié le 15 Décembre 2018

Lathagrium auriforme Photos Gilles Weiskircher
Lathagrium auriforme Photos Gilles Weiskircher

Lathagrium auriforme Photos Gilles Weiskircher

Nom scientifique : Lathagrium auriforme (With.)

 

Date de l’observation: 19 février 2018 à Zetting


Classification : Division des Ascomycota, famille des Collemataceae

 

Description : Un lichen gélatineux assez commun, sur rochers calcaires ombragés ± couverts de mousses, parfois également à la base des troncs, rarement sur roches. Le partenaire photosynthétique est ici une cyanobactérie du genre Nostoc.

 

Le passage de chasseur cueilleur à celui d’agriculteur il y a 10 000 ans est une transition majeure dans l'évolution humaine.  Mais ce n’est pas l’homme qui a inventé l’agriculture mais … les fourmis... il y a 50 millions d'années.

 

Ces fourmis cultivent un champignon qui constitue l'essentiel de leur alimentation. Les végétaux sont formés essentiellement de cellulose et d’autres polysaccharides complexes que les fourmis ne peuvent dégrader et digérer, fautes d'enzymes ou de micro-organismes appropriés comme chez les herbivores. Le champignon peut réaliser néanmoins ce travail car il possède l’équipement adéquat, grâce à un champignon.

 

C'est en Amérique que l'on rencontre les genres majeurs de fourmis champignonnistes dont les genres Atta et les Acromyrmex. Ces fourmis récoltent collectivement des végétaux qui vont être transportés dans le nid et les transformer en un jardin souterrain servant de terreau au champignon.  La fourmi fabrique ainsi le terreau, l’ensemence, le désherbe, apporte de l’engrais et des produits phytosanitaires. Ce jardin constitue ainsi  un  microclimat souterrain qui apporte au champignon chaleur et humidité et va se tapisser d'une substance duveteuse ressemblant à de la moisissure, en fait un mycélium d’un champignon apparenté aux lépiotes (un basidiomycète du genre Leucoagaricus). Le carpophore ne se développe pas dans ce « jardin ». Néanmoins, le mycélium produit des renflements (les staphylae) dont vont se nourrir les fourmis.

 

Les bénéfices pour la fourmi sont d'ordre alimentaire et le champignon est protégé des organismes mycétophages,  des maladies et des parasites. Il évite de s'épuiser à produire des éléments reproducteurs (le carpophore). La fourmi se charge de disséminer son mycélium. En effet, lors du vol nuptial, la reine emporte un fragment de mycélium qu'elle entretient soigneusement lors de la fondation.

 

Plus surprenant encore, l’entomologiste Danois Henrik Hjavard De Fine Licht et son équipe a démontré que les fourmis dépendent du champignon pour synthétiser certaines enzymes et acides aminés essentiels, une capacité perdue par les insectes au cours de l’évolution. Ces acides aminés sont fortement exprimés dans les staphylae du champignon pour être ensuite ingéré par les fourmis. La perte de cette voie de synthèse a rendu les fourmis totalement dépendantes au champignon comme source de nourriture, d’autant plus qu’elles ne possèdent pas les enzymes suffisantes pour dégrader et assimiler les matières végétales. Le champignon, est d’abord une source de nutriments. Il constitue en plus une voie de synthèse moléculaire indispensable aux fourmis. Ainsi, fourmis et champignons se comportent comme un seul et même organisme, connecté par un important réseau d’interactions, où chacun joue des rôles spécifiques comme des organes dans un organisme.

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Les liens unissant les fourmis champignonnistes et les mycètes sont connus depuis 1874. Pourtant, ce duo gagnant pourrait être un trio. Il existe en effet une communauté dont le rôle a souvent été négligé jusqu'à récemment : les bactéries. Plus d'une espèce de bactérie sur deux est une entérobactérie. Elles appartiennent principalement aux genres EnterobacterPantoeaKlebsiellaCitrobacter et Escherichia et sont capables de dégrader des sucres simples par fermentation. Les animaux, dont les mammifères, hébergent également ces genres à l'intérieur de leurs intestins.
Leur présence serait aussi importante pour la colonie que celle des mycètes. Les jardins de champignons seraient donc composés de plusieurs communautés, mycètes et bactéries, ayant pour objectif de produire des nutriments à destination des fourmis et les champignons pourraient également profiter de l'action de ces bactéries. De nouvelles études seront nécessaires pour caractériser le fonctionnement de cette communauté.

Les fourmis champignonnistes et le champignon qu’elles cultivent se sont co-adaptées au niveau morphologique, physiologique et comportemental au point de devenir totalement dépendants l’un de l’autre. Leur interdépendance est telle qu’aujourd’hui, la survie de l’un ne peut se faire sans la présence de l’autre.

 

Pour conclure, l’histoire évolutive de ces fourmis et champignons a engendré l’isolement d’une lignée de champignon et la dépendance totale entre ces deux espèces ancestrales. Depuis 25 millions d’années, la co-adaptation et la co-évolution de ces espèces a permis une meilleure exploitation des ressources avec un accroissement jusqu’à plusieurs millions d’individu de la taille des colonies, ainsi que l’émergence de castes d’ouvrières spécialisées liées à la division des taches.

On est bien tenté de faire le parallèle avec les communautés de lichens, communauté écologiques d’organismes très différents mais dont l’association a permit de surmonter de nombreux défis. Une fois de plus, à travers cet exemple de communautés, on mesure l’importance des chaînes d’interdépendance et la coopération comme un des mécanismes également de l’évolution. Face aux défis du climat et des ressources, le vivant nous montre qu’avec la coopération, on va plus loin.




 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)




Source:

https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/zoologie-fourmi-secrets-fourmiliere-1404/page/12/

http://passion-entomologie.fr/symbiose-fourmis-champignons/

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/zoologie-fourmis-champignonnistes-cultivent-aussi-bacteries-37236/

https://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_L/Texte_L_2/Lathagrium_auriforme.htm

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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R
Merci Gilles de nous enrichir avec ces articles. <br /> A sa lecture je me suis rappelé que les fourmis Ata vues sous l'équateur transportaient des feuilles pour entretenir leur champignonnière souterraine. Je me suis permis d'ajouter ces photos.
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G
Salut Roland, <br /> Tu as bien fait. Les voyages forment la jeunesse et ça illustre bien. Merci
H
Jusqu'ici un grand "Merci" à Gilles pour ces 6 épisodes. On essaye d'apprendre et de comprendre.<br /> Surtout les articles sont très compréhensibles, même si tout ce qui se cache derrière en réalité est beaucoup plus compliqué. Mais une bonne base pour s'assurer que l'homme sans la nature environnante, qu'il est en train de détruire, est perdu. Tout ce qui est "vie" est interdépendance, interaction et coopération.
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G
Bonjour Hans,<br /> Le vivant s'est construit avec ces 3 valeurs et il faudrait s'en inspirer pour le fonctionnement de nos sociétés