Lichens et champignons en interactions épisode 13 Des champignons et des virus (et Lecanora chlarotera )
Publié le 9 Février 2019
Nom scientifique : Lecanora chlarotera Nyl.
Date de l’observation: 20 janvier 2019 à Zetting, sur branche de frêne
Classification : Division des Ascomycota, famille des Lecanoraceae
Description :
C’est une espèce très commune en France, présente sur les troncs, branches et branchettes de divers feuillus. Les apothécies sont nombreuses et serrées les uns contre les autres.
Lecanora chlarotera : apothécies loupe x 40, etapothécie devenue jaune suite à réactif potasse K) -- Photos Gilles Weiskircher (Anab)
L’épithécium (surface de l’apothécie) est recouverte d’une fine couche de cristaux. Chaque asque contient 8 spores.
Coupe d’une apothécie montrant à gauche les cristaux recouvrant les asques au microscope x 1000--Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Les virus, que l’on connaît très bien surtout en hiver avec la grippe et le rhume, s’attaquent aussi aux membres du règne fongique.
On appelle mycovirus les virus qui infectent les champignons. Le premier mycovirus a été signalé en 1962 chez le champignon de Paris (Agaricus bisporus). Les champignons infectés ont élaboré des carpophores mal formés, se sont développés lentement et ont mûri tôt, entraînant de graves pertes de rendement. Comme les virus qui infectent les animaux et les plantes, les mycovirus nécessitent pour leur multiplication des cellules vivantes de champignons. Tout en partageant certaines caractéristiques avec les virus animaux et végétaux, les mycovirus présentent des caractéristiques uniques. La plupart ne possèdent pas de voie extracellulaire pour l’infection et sont transmis par la cellule par division cellulaire ou lors de la sporulation. D’après les premières études, ces virus ne possèdent pas de protéine de mouvement, indispensable dans le cycle de vie des virus animaux et végétaux.
Les mycovirus ont été détectés dans tous les principaux groupes de champignons, sans exception. Bien que de nombreux mycovirus et leurs champignons hôtes aient été identifiés, de nombreux autres restent sans doute inconnus.
Deux hypothèses majeures ont été proposées pour expliquer l'origine des mycovirus.
L'hypothèse d’une coévolution ancienne explique une association ancienne entre les mycovirus et les champignons. Elle reflète aussi une évolution à long terme.
En revanche, l'hypothèse du virus de la plante suggère que les mycovirus sont issus de virus de plantes.
Des scénarios similaires suggèrent que certains virus de plantes peuvent provenir de mycovirus qui ont migré d'un champignon à une plante. Cependant, faute de données convaincantes, l'origine des mycovirus reste un mystère.
Bien que les mycovirus soient fréquents chez les champignons, ils restent généralement latents et induisent rarement des symptômes. Cela suggère que ces virus peuvent être adaptés à la vie avec leurs hôtes pendant de longues périodes et que l'association peut même être bénéfique à la fois pour les mycovirus et les champignons. C’est le cas chez certaines souches de Saccharomyces (levures) qui renferment dans leur cellule deux virus. Le matériel génétique d’un de ces virus code une toxine extracellulaire capable de tuer d'autres levures et une protéine de résistance à cette même toxine pour empêcher ces levures de se tuer entre elles.
L’autre virus est nécessaire à la multiplication et au maintien du premier virus dans la cellule. Bien que ces virus n'induisent pas de symptômes chez leurs hôtes, ils affectent considérablement la biologie de l'hôte.
On peut aussi imaginer l’exemple d’une association mutuelle entre un endophyte fongique (un champignon qui vit à l’intérieur d’une plante) et une herbe tropicale permettant aux deux organismes de se développer à des températures élevées au sol. Il a été caractérisé un virus de ce champignon impliqué dans l'interaction mutualiste. Les isolats fongiques guéris du virus sont incapables de conférer une tolérance à la chaleur, mais la tolérance à la chaleur est rétablie après la réintroduction du virus.
Ces découvertes ont des implications profondes pour notre appréciation de l'importance des relations symbiotiques et auront probablement des implications pratiques pour l'agriculture.
Notre corps abrite plus de trois mille milliards de virus, jusque même dans l’intimité de nos chromosomes. Environ 8 % de notre patrimoine génétique provient des virus. Sans les virus nous ne serions pas humains. Saviez vous qu’une protéine fondamentale dans la mise en place du placenta est codée par un gène d’origine virale ?
Nous avons vu dans les épisodes précédents que le vivant tisse des interactions très complexes et qu’on ne peut plus considérer un organisme comme une entité solitaire. C’est ce que Marc André Sélosse nomme l’holobionte. Ce constat est valable jusque dans l’intimité de nos cellules avec des gènes qui peuvent sauter d’une portion d’ADN à une autre, des gènes provenant d’anciens virus, des boucles de régulation métabolique très sophistiquées, des virus latents, etc. À toutes les échelles du vivant, les interactions priment et les résultats dépassent nettement la somme de leurs composants. Et si la vie macroscopique n’était que l’émergence d’un écosystème microscopique en interaction, comme les végétaux et les animaux qui ne seraient que les épiphénomènes d’un système écologique complexe qu’est le sol et toute sa vie microscopique ?
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )
Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Sources:
http://science.sciencemag.org/content/315/5811/513
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4635019/
https://www.afl-lichenologie.fr/Photos_AFL/Photos_AFL_L/Texte_L_2/Lecanora_chlarotera.htm
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