L'arbre heureux
Publié le 19 Mars 2019
par Gaëtanne Michel- paru sur Telabotanica
photos Gaëtanne Michel
Il y a bien longtemps, ma graine ailée a patiemment attendu l’ouverture des écailles pour être
emportée, d’un violent coup de vent vers la terre où je suis né. Une terre sauvage où je côtoie
mes frères et cousins.
Autrefois perdu dans la masse arboricole, on ne me voyait pas. J’étais frêle, il est vrai, dans
mon jeune âge, cherchant ma place et un coin de lumière pour grandir vers le ciel !
J’ai connu les atteintes des petits cervidés qui grignotaient mes jeunes pousses au printemps
ou mon écorce tendre. C’était pourtant un plaisir de voir ces petites babines se retrousser pour
humer mon parfum de résine fraîche, avant d’attaquer mes rameaux.
Je dois vous confier que nous avions fait un pacte, juste quelques fines aiguilles devaient être
mangées en échange d’un futur abri pour l’hiver. Bien sûr il fallait attendre que je grandisse !
Je crois qu’ils le savaient car pas un de ces jolis chevreuils , n’a enfreint notre accord.
J’ai ainsi pu croître loin du pays de mes ancêtres.
Je côtoie les chênes, les hêtres, les bouleaux et les charmes. A mes pieds tout le peuple de
l’herbe s’affaire tandis que mon amie la ronce a plaisir à le défendre de ses aiguillons.
La forêt devient maintenant silencieuse, les chants d’oiseaux se font rares, le bourdonnement
des insectes n’est plus qu’un lointain souvenir d’air tiède et de rayons de soleil.
Certains de mes frères abandonnent leurs feuilles. Elles craquent sous les pas des quelques
promeneurs, amoureux des arbres, qui viennent voir l’engourdissement gagner les branches.
Sur les brindilles désormais nues, plus un oiseau ne se pose, le froid est vif, le vent s’infiltre
sous la moindre plume.
Arrive alors pour moi la plus belle des saisons : l’hiver et je peux enfin dire : »Je suis le roi de
la forêt ! »
Malgré le froid, j’ai teinté mes aiguilles de bleu : le ciel est aussi dans mes branches !
Tiens aujourd’hui j’ai laissé tomber mon premier cône, le tout premier de l’année !
Pas le premier de ma vie, car j’avais alors quarante ans lorsque je devins à la fois père et
mère. J’étais jeune alors ! Il en faut du temps pour que mon espèce puisse avoir descendance !
De nombreuses années se sont écoulées depuis ce jour-là, mais j’ai toujours en mémoire les
paroles d’une enfant, qui apercevant mes cônes à terre s’était exclamée :
– Tu as vu maman, l’arbre, il fait des roses en bois !
Cela leur avait semblé si extraordinaire qu’elles en avaient ramassées.
Elles ont été fidèles ! Chaque année elles revenaient me voir pour faire provision de ces roses
que je m’appliquais à rendre à chaque fois plus belles, juste pour leur témoigner ma générosité d’arbre. Aujourd’hui la tradition s’est perpétuée et j’ai toujours une nuée d’enfants qui viennent ramasser le précieux trésor au début de l’hiver.
Ce jour-là je suis le plus heureux des arbres ! La neige a commencé son saupoudrage diffus et, dans mes branches, c’est une joyeuse activité musicale. Les tarins, les bouvreuils et les pinsons chantent à qui mieux mieux, chacun ayant trouvé une place loin du frimas hivernal.
L’écureuil, petit rongeur espiègle sait qu’il aura sa pitance assurée par mes graines et a fait son nid dans le vieux chêne voisin. Juste un saut et l’équilibriste de la forêt pourra satisfaire sa
gourmandise !
Je suis maintenant devenu un géant car beaucoup de mes frères aujourd’hui disparus, ont sacrifié leur espace vital pour que je puisse grandir.
Nous les arbres, nous sommes sensibles, très à l’écoute les uns des autres et nous savons ce
qu’abnégation veut dire ! Nous sommes une grande famille qui s’entraide, qui s’écoute, qui
agit pour le bien-être général !
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