Sous la forêt, pour survivre, il faut des alliés. 1/2
Publié le 14 Avril 2019
Cet article est une note de lecture et des morceaux choisis d’un livre qui vient de sortir, et dont je recommande vivement la lecture, « Sous la forêt, pour survivre, il faut des alliés », de Francis Martin, publié aux éditions humenSciences en janvier 2019.
Francis Martin est l’un des spécialistes mondiaux de la forêt. À la tête du laboratoire d’excellence ARBRE à l’INRA de Nancy, il a notamment découvert comment les arbres et les champignons communiquent entre eux.
C’est à travers une promenade romancée en forêt que je veux vous présenter ce livre et vous donner quelques morceaux choisis et pistes de réflexion
C’est par une belle journée d’automne que, comme à l’accoutumée, j’erre en forêt à la recherche de champignons, de lichens, de mousses, etc., de tous ces membres qui constituent l’écosystème forestier. Je ne peux m’empêcher de penser à ce sol que je foule avec mes pieds et mon esprit se projette il y a fort longtemps, 500 millions d’années en arrière, une époque où la terre ferme était déjà habitable mais qui pourtant n’offrait pas une biodiversité aussi riche que celle des océans. Ce n’est que depuis l’alliance des plantes et des champignons, 50 millions d’années plus tard, que la conquête du milieu émergé par le vivant s’est faite. C’est grâce à cette alliance que le vivant est parti à la conquête de la terre ferme.
Je regarde ce sol, avec une foisonnante biodiversité fongique présente dans les 10 à 15 premiers centimètres du sol, je hume cette odeur fongique d’octénol. Je vois ces magnifiques arbres qui ne vivent pas seuls mais accompagnés de tout un cortège d’animaux et de micro organismes. Francis Martin parle à juste titre d’ « arbre monde » en indiquant que l’arbre est un univers en soi.
Ces arbres avec leurs racines, des racines pour lesquelles on trouve un kilomètre de mycélium par mètre de racine, de 100 à 200 espèces de champignons qui les accompagnent. Un mycélium peut pousser de 50 cm à 1 mètre chaque année dans le sol. Ces hyphes de champignon, avec un diamètre de un centième de mm, peuvent représenter jusqu’à 99 % du poids d’un champignon. Ces arbres vivent avec des écorces dans lesquelles s’incrustent des lichens et des mousses, sur les racines des bactéries et des champignons. Comme tout être vivant, un arbre n’est jamais seul. Quand un arbre est abattu, c’est tout un univers qui disparaît avec lui.
Je me promène dans cette belle forêt, une de ces nombreuses forêts dont les premières sont apparues il y a 360 millions d’année au dévonien, une période avec une innovation du vivant ingénieuse, le bois. Cette charpente permet à ces plantes de s’élancer à la conquête des cieux pour embrasser de plus près le soleil et sa chaleur nourrissante. Et je me réjouis de la forêt française, avec ses 137 essences et ses 17 millions d’hectare de forêt, couvrant près du tiers du territoire national. L’arbre, ce géant qui sait rendre l’invisible en visible grâce à la photosynthèse, l’axe du monde pour beaucoup de nos ancêtres, l’Yggdrasil dont mes très lointains aïeux primates aimaient pour d’y réfugier. Un sentiment atavique inscrit dans la nuit des temps dont mon génome me ramène vers son ombre protectrice.
Je tombe soudain sur un rond de sorcière de magnifiques entolomes livides qui me rappelle que je marche sur un tapis de mycélium qui connecte les arbres.
Je regarde de près ce rond, qui peut croître de 10 à 50 cm/an et y voit la face émergée d’étonnants mécanismes qui se déroulent sous mes pieds. Francis Martin nous narre que « le monde naturel est un enchevêtrement d’êtres vivants en dialogue permanent ». Prenant bien garde à ne pas déranger les lutins et autres esprits facétieux qui se trouvent dans le rond de sorcière, je poursuis ma quête.
Je croise ensuite une armillaire couleur de miel et je reste bouche bée de savoir qu’une espèce de ce genre, aux États-Unis, est considérée comme l’organisme le plus grand du monde avec une superficie de 10 km², un poids de mille tonne et un âge canonique de 8500 ans.
La suite de cette balade philosopho scientifique à lire demain sous ce blog
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)