Les champignons corticiés

Publié le 1 Février 2020

Il existe des croustades, des croûtes de pain, des croutons. Ici ce sont des corticiés. Attention, n'en perdez pas une miette,  le spécialiste des croûtes vous parle.
Gilles nous dit : vive les croûtes. Et il a raison, pour une fois... Le cycle de la vie a besoin de ces croûtes pour refaire jaillir la vie des déchets.

Très instructif. Merci Gilles
Roland



Date des observations: hiver 2019 sur les communes de Zetting, Siltzheim et Wittring

 

Appelés aussi « croûtes », ces champignons qui poussent sur bois appartiennent à de nombreuses familles et ne sont, pour beaucoup, identifiables qu’au microscope. Ce type de champignon, avec les polypores, fait partie de ceux dont j’affectionne l’étude, mes préférés oserais-je dire. Ils font partie du grand groupe des aphyllophorales ou champignons sans lames. Ce terme n’a pas de signification phylogénétique (classification par proximité génétique)

 

Leur surface fertile (ou hyménophore) présente des structures diverses pouvant être lisse, plissée, à aiguillons, à pores, etc. Ces champignons sont très souvent étalés sur leur substrat, ce qu’on appelle dans le jargon résupinés. Ils présentent une grande diversité d’espèces, et sont relativement peu étudiés en France malgré la place essentielle qu’ils tiennent dans l’écosystème. Sauf exceptions, ces champignons sont saprophytes et participent activement à la décomposition du bois mort.

La pourriture

 

Le terme de pourriture n’est généralement pas synonyme de choses reluisantes. Désignant l’état d’un corps en décomposition, un état de grande corruption, de détérioration, une personne vile et abjecte, des maladies des plantes, etc. « la pourriture » véhicule dans son sillage de l'aversion et des notions peu reluisantes.

Lorsque nous nous promenons en forêt, nous  apprécions le crissement des feuilles mortes, le craquement des branches mortes sous nos pas. C’est tellement commun que nous n’y prêtons plus attention. Pourtant on constate au fil du temps que ces feuilles, ces branches mortes, ne s’accumulent pas sur le sol. Bien heureusement sinon les plantes étoufferaient sous leurs déchets.
 

Par quel phénomène cette biomasse ne s’accumule pas ? C’est là où on va voir le rôle fondamental de la pourriture et d’un de ses acteurs, le champignon. Beaucoup d'espèces parmi les champignons décomposeurs se nourrissent de bois mort, décomposent les feuilles mortes de la litière en humus et participent ainsi au recyclage des éléments minéraux. Le bois est constitué principalement de matières organiques (cellulose pour 50 % et lignine pour 20 à 30 %) et d'un faible pourcentage (de 1 à 1,5 %) d'éléments minéraux; Il contient également une part d'humidité variable.
 

Le bois et ses dérivés peuvent être détruits par des champignons xylophages. Ces champignons forment sur le bois et dans le bois des réseaux d’hyphes appelés mycéliums. Les champignons xylophages sont principalement classifiés dans 2 groupes selon leur type de pourriture : la pourriture brune et la pourriture blanche (le 3ème groupe de la pourriture molle ne sera pas traité ici)

La lignine est une molécule très difficile à dégrader. Dans la matière végétale, la lignine empaquette la cellulose, molécule plus riche en énergie et plus facile à digérer.

Certains champignons parviennent à détruire partiellement la lignine pour accéder à la cellulose. Leur activité laisse un résidu brun plus ou moins mou, prenant la forme de petits cubes irréguliers, la pourriture cubique. Elle attaque principalement les résineux.


D’autres champignons dégradent entièrement la lignine puis la cellulose. Cette méthode laisse des fibres pâles, molles, la pourriture blanche. Elle attaque principalement les feuillus et nécessite un certain degré d’humidité du bois pour arriver à se développer. Les champignons de la pourriture blanche les plus répandus sont entre autres les tramètes (Trametes et Daedaleopsis), les polypores (Phellinus), les amadouviers (Fomes) ainsi que la plupart des xylariacées (Xylariaceae).


Je vous propose maintenant de découvrir quelques espèces de corticiés que j’ai eu l’occasion de croiser.

Byssomerulius corium - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Byssomerulius corium - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

C’est un champignon commun sur la face inférieure des branches mortes de toute espèce de bois de feuillus, agent de pourriture blanche.

Hyphodontia quercina - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Hyphodontia quercina - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Présent surtout sur chênes, sa fructification est garnie d’aiguillons de 1-2 mm de long.

Xylodon crustosus - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Xylodon crustosus - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Poussant indifféremment sur feuillus ou conifères, son  hyménophore est odontioïde avec de petits aiguillons très serrés.

Junghuhnia nitida - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Junghuhnia nitida - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

C’est un champignon commun sur la face inférieure des branches mortes de toute espèce de bois de feuillus

Phlebia radiata - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Phlebia radiata - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

 

Présent toute l’année, il affectionne les souches, troncs et branches mortes des feuillus
Ci dessous, quelques photos en microscopie .

 

On a tendance à déprécier les vieilles croûtes mais les champignons corticiés méritent vraiment qu’on y jette un coup d’œil attentif, ne serait ce que pour les remercier de leur travail de décomposition du bois et ainsi de permettre à nos forêts d’être toujours ce qu’elles sont. La prochaine fois que vous casserez la croûte, assis sur un morceau de bois ou une souche, pensez à cette croûte discrète qui œuvre pour la santé de l’écosystème.

 



Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)




 

Source : Champignons, tout ce qu’il faut savoir en mycologie, de Guillaume Eyssartier, éditions Belin

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cystide de Junghuhnia nitida, recouvertes de Cristaux au sommet (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

cystide de Junghuhnia nitida, recouvertes de Cristaux au sommet (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Baside de Xylodon crustosus, avec ses spores au sommet des stérigmates (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Baside de Xylodon crustosus, avec ses spores au sommet des stérigmates (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Hyphes génératrices de Byssomerulius corium (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Hyphes génératrices de Byssomerulius corium (microscopie x1000) - Photo: Gilles Weiskircher (Anab)

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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H
Très bel article sur la pourriture, Gilles. Est-ce que avec le changement climatique,plus particulièrement pendant les périodes de longues sécheresses, périodes où la température est très favorable à la décomposition du bois mort et des feuilles, ne risque pas au ralentissement de ce processus nécessaire à récycler le matériel organique(lignine et cellulose)?
Répondre
G
Bonsoir Hans,<br /> Merci d'avoir apprécié l'article.<br /> Effectivement, comme le dit Roland, une hausse des températures va accélérer le métabolisme d'autres microorganismes tels les bactéries. Par conséquent, il y aura moins de stockage de carbone dans le sol, donc augmentation du volume des gaz à effets de serre.<br /> Donc il n'y aura pas d'influence sur les champignons saprophytes
R
Je laisse à Gilles le soin de te répondre Hans.<br /> Si la sécheresse va s'accentuer, comme la température s'élève, les processus bactériens et biologiques seront eux accélérés quand ils sont en conditions favorables , non ??
C
Bonjour,<br /> Merci de ce rappel du rôle du champignon dans la vie de la nature, mais pas que ,car c'est un ouvrier infatigable ubiquiste , présent partout finalement pour que la vie renaisse et continue.<br /> Ce n'est pas pour le champignon l'éternel retour nietschéen,mais plutôt le pionnier dans le grand cycle renouvelé de la vie.<br /> Merci pour ces beaux clichés.
Répondre
R
Bonjour Christian ,<br /> <br /> merci de cette appréciation et de ton commentaire pertinent, <br /> La vie est respectueuse, rien n'est jeté tout est utilisé et rendu profitable à d'autres.Les corticiés joliment présentés par Gilles en sont un bon exemple.