Le front de la côte de Lorraine= rebord du plateau du Muschelkalk supérieur (ABg2)
Publié le 9 Février 2020
1) Géométrie de la cuesta
Considérée souvent comme la première côte à l'est du bassin parisien, celle du Grès vosgien étant située dans le massif forestier vosgien, la côte de Lorraine ne présente qu'un dénivelé modeste face à ses homologues de Lorraine occidentale (Côte de Moselle, de Meuse...). Mais elle n'en possède pas moins les caractéristiques : front de côte, escarpement, talus, buttes-témoins, plateau de revers et entailles.
L'emplacement de la couche résistante qui forme l'escarpement peut se situer à différentes altitudes. Les fronts de côte présentent alors des profils variables. Les terrains formant le revers peuvent être partiellement érodés, laissant apparaître les couches résistantes de calcaire à l'affleurement ou à faible profondeur. Ces reliefs abritent souvent une flore calcicole adaptée aux conditions sèches.
Site emblématique, le Kirchberg, vu depuis la Hauteur de Gungwiller.
Un large saillant du plateau sur lequel se dresse une chapelle, domine les environs de quelques 60 mètres. A ses pieds se situent les villages de Berg (au premier plan et masqué en partie par le rideau d'arbres) et Thal (à l'arrière-plan).
Nature des terrains affleurant au Kirchberg.
Le dessus du plateau est occupé par des terrains appartenant aux Couches à Cératites. Les Cératites sont des fossiles qui avaient de grosses coquilles enroulées en hélice et qui sont typiques de ce calcaire.
C'est la barre du Calcaire à Entroques épaisse d'une dizaine de mètres qui est à l'origine de l'escarpement de la cuesta. Les Entroques étaient des animaux marins voisins de l'Etoile de mer, dont les petits anneaux circulaires des squelettes ont été conservés fossilisés . La barre à entroques repose sur des terrains marneux moins résistants du Muschelkalk moyen. Le calcaire a été exploité jadis dans des carrières situées à proximité.
Le Kirchberg et sa chapelle depuis Berg.
Les vignes installées jadis sur les pentes ne sont plus qu'un souvenir. Quelques vergers subsistent encore, alors qu'ailleurs, la végétation naturelle et des plantations d'épicéas (plus ou moins condamnées à brève échéance) occupent l'espace. Localement, l'escarpement accuse une pente à 35%.
A noter que l'autoroute A4 franchit la côte du Muschelkalk au nord de Wintersbourg (57) par l'intermédiaire d'une tranchée sommitale relayée par un cône de déblais entassés au bas du talus. De cette manière, la pente finale de la route a acquis une valeur de l'ordre de 5%.
2) Formation des côtes
Même si quelques points de discussion subsistent sur l'importance à accorder aux mécanismes responsables de l'élaboration de ces reliefs, les études menées en géomorphologie nous apportent quelques données sur le sujet.
De la période du Crétacé jusqu'au début de l'ère tertiaire, le vaste territoire dans lequel se situe la région est soumis à un phénomène d'aplanissement. Il est favorisé par l' altération (transformation physico-chimique des roches) intense et la dénudation par ruissellement en nappe. Le résultat est une surface faiblement inclinée vers la Mer du Nord. Durant la suite du Tertiaire, des mouvements tectoniques (soulèvements liés à la formation des reliefs alpins) sont responsables d'une activation de l'érosion, de l'installation de larges vallées et de l'amorce des reliefs de côtes. Au Quaternaire, les variations climatiques (glaciations) accentuent l'encaissement des cours d'eau principaux avec formation de terrasses alluviales. De cette période daterait également le dégagement des côtes. Leur recul (déplacement latéral du front) paraît très variable selon les secteurs.
En fin de compte, le tracé parfois très complexe des côtes dépend de nombreux facteurs mettant en jeu les phénomènes d'altération et d'érosion liés aux variations climatiques, la résistance-dureté des différents couches du sous sol, leur géométrie. En particulier , un relief de côte nécessite une structure monoclinale, c'est à-dire des couches inclinées. Dans le secteur, ce pendage est faible et se fait vers l'ouest et le nord-ouest.
Comment expliquer le relief du front de côte. Un modèle nous est fourni dans une carrière.
Modèle réduit de l'érosion différentielle dans une carrière de calcaire à l'abandon.
Le front de taille quasi vertical au moment de l'exploitation a évolué en fonction de la résistance des roches à l'érosion. Dans les couches supérieures où dominent les marnes relativement tendres, le front recule rapidement, la pente a tendance à diminuer. Dans la partie inférieure, l'épaisseur des bancs et la dureté du Calcaire à Entroques assurent la persistance d'un abrupt. Ce dernier peut être ennoyé à la longue par les coulées de débris. Par contre, lorsque ces débris sont évacués par une rivière, l'escarpement subsiste. Si un affouillement se réalise, ce même niveau peut reculer à son tour lorsque des blocs entiers basculent à la faveur des fissures préexistantes.
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Le ruisseau a recoupé, au fil du temps et lors de périodes climatiques plus « propices », les bancs massifs mais fissurés de Calcaire à Entroques . A l'heure actuelle, avec un régime des eaux plus faible que par le passé, le travail de sape continue à la base de la formation, provoquant le déchaussement de blocs et à la longue le recul de l'abrupt. A noter, au sommet, le rôle protecteur joué par les racines face à l'érosion. Cet effet n'a pas joué pendant les périodes glaciaires où la végétation ligneuse était rare dans nos contrées.
Dans le secteur, le pendage des couches est faible et orienté ouest à nord-ouest en direction de la gouttière synclinale de Sarreguemines. Localement, des ondulations secondaires peuvent accentuer l'inclinaison des strates. Si le pendage est supérieur à 2°, le tracé de la côte est régulier, peu découpé. L'écoulement des eaux infiltrées sur le plateau suit le pendage des couches et ressort sous forme de sources dans les vallées de revers. L'érosion de du front de côte reste donc limitée
Par contre, si le pendage est faible, inférieur à 2°, les eaux infiltrées sur le plateau peuvent ressortir sur le front. Ce dernier, miné par ces résurgences, est sujet à une érosion plus intense et présente un talus disséqué avec de nombreuses indentations.
Photos (sauf mention) textes, recherches, schémas et bibliographie
Étienne Feuchter (Anab)
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