Roches locales du plateau et activités traditionnelles (ABg7)
Publié le 22 Mars 2020
Dans les deux articles suivants, nous explorons, à partir de quelques marques ou traces visibles dans l'environnement proche, les rapports entre les roches du sous-sol du plateau lorrain appartenant au Muschelkalk et les activités humaines. Nous commencerons par un parcours concernant les traces anciennes. La prochaine fois, nous évoquerons des activités plus récentes
1) Paysages agricoles
La première activité étroitement liée au contexte géologique est l'agriculture. Les sols cultivés actuellement sont un héritage des temps post-glaciaires. Sous couvert forestier et climat relativement humide, les couches de calcaire et de marnes (argile et calcaire en proportions variables) ont donné naissance par évolution lente à des sols bruns calcaires ou calciques (lorsque le calcium est entrainé en profondeur). Ils ont tendance à être lourds et engorgés en période froide, favorisant le ruissellement et à durcir voire se fissurer en période sèche. Les hauteurs encore occupées par la forêt correspondent souvent à des placages de limons (particules argileuses) aux sols particulièrement ingrats (argiles plastiques et collantes maintenant une nappe d'eau peu profonde).
Paysage bocager au sud de Postroff
Dans ce secteur, l'occupation des sols se fait entre prairies permanentes et terres cultivées, en fonction des conditions locales. Sur les pentes, l'aménagement de terrasses séparées par des talus boisés traduit une longue histoire d'adaptation aux conditions de terrain. Le fond des vallées est occupé par des prairies pouvant subir une inondation temporaire. Sur quelques croupes persistent des lambeaux de forêt. En maints endroits d'Alsace Bossue, cet équilibre a été bousculé depuis, par l'extension des cultures accompagné d'un arrachage des haies, de nivellement des terrains, d'opérations de drainage.
Pierrier dans la campagne du Muschelkalk.
Des ramassages répétés de pierres volantes remontées lors des labours ont permis d'édifier ces amas en forme d'îlots ou de bandes allongées localisés pour la plupart au niveau d'un escarpement ou en limite de parcelle. L'occupation de ces sites par les haies contribue au cachet bocager de l'Alsace Bossue. Souvent considérés comme réserves de matériaux, ces pierriers abritent une faune utile. L'exploitation des arbres a fourni un complément apprécié de bois de chauffage.
Utilisation sur place du calcaire : murets et chemins
Avant l'avènement des revêtements modernes, le calcaire a été abondamment utilisé pour la confection des anciens chemins de campagne et l'édification de murets. On retrouve quantité de ces derniers au niveau de la côte de Lorraine lorsque l'escarpement (partie très pentue) était occupé par le vignoble. (Rebberg)
A l'heure actuelle, ces pentes évoluent souvent en friches agricoles. Il s'y développe une flore spécifique avant l'apparition des ligneux
Pelouse calcaire avec sa flore au printemps.
Sur les pentes délaissées par l'agriculture mécanisée, se développe une flore adaptée aux conditions extrêmes des sols calcaires secs. Le maintien de cette végétation nécessite toutefois des interventions (fauche tardive, pâturage mesuré) pour éviter l'apparition des ligneux.
2) Environnement bâti : l'habitat ancien.
Longtemps, l'exploitation du calcaire s'est faite par collecte des pierres volantes dans les champs et ruisseaux ou à partir de petites excavations qui sont une deuxième cause d'implantation de haies actuelles. Signalons aussi qu'au cours des périodes historiques, beaucoup de pierres provenant de constructions démolies ont été réemployées.
La maison rurale traditionnelle d'Alsace Bossue
Dans les constructions traditionnelles, le calcaire est omniprésent, mais ces utilisations sont souvent masquées aujourd'hui par le recours à de nouveaux matériaux.
Maison d'Alsace Bossue et matériaux.
Les points couleurs indiquent les emplois des différents matériaux issus du milieu local. Le calcaire est omniprésent dans le bâtiment, les pavages et caniveaux, les délimitations (ici le tas de fumier). Les tuiles anciennes en queue de castor (Biewerschwänz) proviennent de tuileries installées sur les terrains argileux proches du Muschelkalk moyen ou du Keuper, le grès utilisé pour les encadrements de portes et fenêtres a été extrait des carrières de grès à Voltzia de la bordure vosgienne.
La maison-bloc d'Alsace Bossue à laquelle est adjointe un appentis en bois (Schopp) comporte des murs souvent très épais formés de parements de moellons plus ou moins équarris, séparés par un blocage intérieur de débris et de mortier. Pour maintenir la solidité de l'ensemble, des dalles de grande taille (boutisses) sont régulièrement insérées dans la maçonnerie. La tradition les qualifie de « Schnapssteine » , leur mise en place aurait été l'occasion d'offrir aux maçons un verre d'eau de vie. Ces pierres en relief ornent encore les pignons de certaines demeures. Par contre, les pavages réalisés avec des pierres dressées ont souvent disparu à l'heure actuelle, masqués d'un recouvrement de matériaux nouveaux, tout comme les murets de pierres sèches entourant maint potager.
Les boutisses ornent cette paroi recouverte d'un crépi sous lequel on aperçoit les moellons de calcaire aux dimensions plus modestes. L'encadrement de la lucarne de grenier montre le parti tiré d'une dalle calcaire et d'un montant en grès provenant vraisemblablement d'un réemploi. Au premier plan, le toit offre une couverture de tuiles dites en queue de castor.
Le liant invisible : le mortier de chaux
Château de Niederstinzel
Ce château dont la construction remonte au 14ème siècle possède un appareil de moellons liés par un mortier de chaux. Malgré son abandon, l'édifice a relativement bien résisté à l'usure du temps. Sa particularité est d'être édifié en plaine en bord de Sarre et doté de douves (Wasserburg).
Le site du Kalkofen
A quelques centaines de mètres à l'aval du château, se trouve le lieu-dit du Kalkofen (four à chaux). Le site proche de la Sarre est formé d'un escarpement qui porte les signes visibles d'une extraction ancienne de Calcaire à entroques. Ce dernier a pu être calciné sur place en profitant du bois de la forêt proche. D'autres lieux portant ce toponyme existent dans la région. Le mortier de chaux sera remplacé progressivement par l'utilisation du ciment dont l'invention remonte à la 2ème moitié du 19ème siècle.
L'argile : un isolant avant l'heure
A côté de son utilisation dans la couverture (toits en tuiles) et ce depuis le 18ème siècle, l'argile a servi déjà auparavant à la confection du torchis (cloisons et plafonds). On trouve encore la trace de sites d'extraction dans les toponymes de « Grundgruben / Lehm-Kull / Lett-Kull ». Certaines mardelles en demi-cercle et avec écoulement pourraient rentrer dans cette catégorie.
Plafond (abimé) en torchis
Des éclisses insérées dans les poutres de chêne maintiennent une double couche de torchis fabriqué à partir d'argile et de paille. La couche inférieure a été lissée après application. Avec l'âge, des mottes se sont détachées, révélant ainsi le procédé.
Photos (sauf mention), textes, recherches, et bibliographie
Étienne Feuchter (Anab)
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