Quand les arbres s'habillent en trognes
Publié le 28 Mai 2020
La taille répétée de l’arbre pour en exploiter la repousse des branches donne naissance à ces troncs boursouflés, évocateurs de créatures fantastiques.
paru sur l'Est Républicain le 24/4/2020
On les appelle aussi arbres « paysans » ou arbres « têtards ». Cette végétation, fruit du travail de l’homme pour ses besoins, abrite une incroyable biodiversité. Dans le Grand Est, comme en Bourgogne-Franche-Comté, de actions visent à entretenir et restaurer ce précieux patrimoine naturel et paysager.
Un tronc épais, tortueux, souvent fendu, tête monstrueuse coiffée, comme en guise de tignasse hirsute, d’une touffe de branchages. C’est la silhouette caractéristique de l’arbre « têtard », qu’on appelle aussi arbre « paysan » ou bien encore trogne.
Des trognes, on en trouve encore dans les campagnes, souvent à proximité d’une zone humide, car la plupart de ces arbres sont des saules. « Mais cela peut être aussi des tilleuls, voire des chênes », souligne Régis Roussel, animateur à la Maison de la nature de Brussey (70) qui participe, dans le cadre du programme Biodiversit’haies, géré par France Nature Environnement Bourgogne-Franche-Comté, à la conservation de ce patrimoine naturel tombé en oubli. Car ces trognes, à l’honneur cette année au niveau national, ont une longue histoire.
« Elles sont le fruit du travail de l’homme. La pratique remonte au moins au Moyen-Âge, mais sans doute bien avant. Elle était liée au fait que les paysans n’étant pas propriétaires des sols qu’ils cultivaient, ils ne pouvaient en abattre les arbres. Pour se procurer du bois, ils avaient donc imaginé les tailler en permanence pour en exploiter uniquement les branches issues de la repousse, et destinées, selon les cas, à faire de la vannerie, des fagots pour le chauffage, ou bien encore à lier les vignes. » Cette opération, sans cesse répétée, avait pour conséquence de modifier durablement la structure des arbres, donnant naissance à ces troncs aux boursouflures étranges si caractéristiques. Devenus aussi des niches providentielles abritant une incroyable biodiversité.
« Souvent creux, pourris de l’intérieur, les troncs se remplissent de matière végétale en décomposition. Ils constituent alors de parfaits abris pour quantité d’insectes, d’oiseaux. Des graines peuvent aussi s’y développer profitant de ce terreau naturel. Près de chez moi, j’ai ainsi des tournesols qui ont poussé dans une trogne ! », précise Régis Roussel.
Avec l’évolution de l’agriculture, les besoins en branchages ont diminué et la pratique des trognes s’est un peu perdue. On les redécouvre aujourd’hui, à la faveur de multiples campagnes visant à restaurer cette richesse économique, biologique, culturelle et paysagère. À commencer par le recensement de ces arbres « têtards ». « Ce n’est pas toujours facile, car les trognes se trouvent souvent dans des lieux isolés ou bien sont inaccessibles car sur des parcelles privées. » Quand c’est possible, les propriétaires sont contactés et informés de l’utilité de préserver cette végétation. Voire de la recréer ! C’est pour cela qu’en Bourgogne-Franche-Comté, comme en Lorraine d’ailleurs, plusieurs stages ont été programmés au fil des mois pour (ré)apprendre les gestes ancestraux de taille des trognes.