Des naturalistes passionnés de la chauve-souris se battent pour sa protection
Publié le 16 Juin 2020
Article paru sur Lavie le 12/6/2020
Entre la mi-mai et la mi-juillet, c'est la période de tous les dangers pour le mammifère volant. Les juvéniles quittent les maisons, risquant de trouver sur leur passage bien des ennemis. La ligne SOS chauves-souris mise en place par Laurent Arthur ne cesse alors de sonner. En ce jour de mai, il a ainsi été appelé pour sauver un grand murin blessé par un chat. Mais le chiroptérologue de 63 ans n'a pas pu ramener la petite bête chez lui pour la soigner. Elle était trop endommagée. Elle n'a donc pas rejoint les autres chauves-souris mises à l'abri dans des petites boîtes, dont un murin de Bechstein, une espèce rare, qui a perdu trois doigts mais reste très en forme. « Je plains les grillons qu'on lui donne pour la nourrir », dit Laurent Arthur dans un sourire.
La ville de Bourges est réputée pour sa magnifique cathédrale Saint-Étienne, à l'architecture proche de celle de Notre-Dame de Paris, et pour le palais médiéval Jacques-Coeur. C'est aussi un haut lieu d'étude, de recherche et de soin de la chauve-souris. Et cela grâce à Laurent Arthur, conservateur adjoint du Muséum d'histoire naturelle, et à sa femme, Michèle Lemaire, directrice des musées de Bourges. Deux passionnés de ces chiroptères. Chauve-souris, mon amour est le titre d'un documentaire animalier de Pauline Horovitz, où l'on découvre entre autres l'action du muséum. Il pourrait être aussi celui de leur vie. Et de confier dans un flot intarissable : « Ces animaux remplissent une existence. On n'en arrive jamais au bout. Tous les jours nous faisons de nouvelles découvertes. Comme l'hirondelle, la chauve-souris est un médium pour raconter la nature. C'est aussi un animal de haute technologie, qui a connu 55 millions d'années d'évolution. Son adaptation laisse pantois. C'est également un animal qui n'a pas peur de l'homme, qui cohabite avec lui dans les maisons, les caves, depuis la préhistoire. Par son caractère insectivore, il détient un vrai rôle écologique. » On est bien loin de l'image maléfique traditionnellement véhiculée par cet animal d'une taille de moins de 30 cm pour les plus grandes, en France.
Tout a commencé au milieu des années 1980 pour ce couple de naturalistes qui s'est rencontré autour d'une admiration commune pour le brame du cerf. Elle vient d'être nommée directrice adjointe du Muséum d'histoire naturelle de Bourges, il est photographe animalier. Par l'entremise d'un entomologiste, ils descendent dans une grotte où vit une colonie de chauves-souris. À 6 m sous terre, où se font juste entendre les gouttes d'eau qui tombent du plafond, c'est la révélation. « Un monde inconnu s'est ouvert à nous, et comme personne ne s'occupait de ces animaux dans le département, nous nous sommes dit que nous avions trouvé notre mission », explique Laurent Arthur, qui nous fait visiter l'exposition pédagogique du Muséum d'histoire naturelle consacrée au mammifère volant.
Muni de son carnet de terrain qu'il noircit à la main, dans la droite ligne des naturalistes du XVIIIe siècle, Laurent Arthur étudie l'animal sous toutes ses coutures, comptabilise les espèces présentes dans le Cher. Environ 1450 colonies ont été recensées. « Il y a autant de chauves-souris que de Berrichons », s'esclaffe-t-il. C'est dans la cathédrale Saint-Étienne que l'on retrouve la plus grosse colonie de pipistrelles du département. Sans jamais verser dans le militantisme politique, Laurent et son épouse, Michèle, essaient surtout de préserver la vie de ces mammifères protégés. La palette des périls est large : les chats, donc, mais aussi les éoliennes et les nouvelles constructions qui empêchent tout abri. « Toutes les espèces dont le nom termine par "commune", comme la pipistrelle commune, vont mal et se raréfient », alerte-t-il. C'est Yvonne Schach-Duc (1933-2009), dessinatrice scientifique et entomologiste connue pour son caractère bien trempé, qui les a formés aux soins.
« Elle portait un long manteau avec dans ses poches des boîtes d'allumettes où étaient nichées des pipistrelles, c'était son centre de secours des animaux blessés », confie Laurent Arthur. En 1991, ils montent ensemble les premières Rencontres nationales de la chauve-souris - qui deviendront européennes plus tard - rassemblant plus de 500 spécialistes des chiroptères. Leur collaboration prend une autre tournure quand ils réussissent à faire dévier une rocade routière à la fin des années 1990. Le tracé devait détruire les grottes où hibernaient les animaux.
Mais c'est leur travail de pédagogie auprès des habitants du Cher qui les mobilise. Et en particulier Laurent Arthur, qui se définit comme un griot de la chauve-souris. À chaque animal, une histoire, un tempérament particulier. « Il y a les timorés, les réfléchis, les stupides, fait-il remarquer. Je ne m'entends pas bien avec les pipistrelles, c'est petit et nerveux, comme moi ! Je préfère les grands murins. » Avec ces « oiseaux de nuit » peut aussi se tisser une relation particulière. L'amoureux des bêtes garde le souvenir ému d'une noctule géante, taillée comme un faucon, restée chez lui pendant un mois. « Une fois qu'elle a été guérie, on a voulu la relâcher dans la nature. Elle ne voulait pas. On a dû casser sa boîte. Quand elle est partie, elle a émis des sons d'une grande puissance, comme si elle nous disait au revoir. »
Ses connaissances et son savoir-faire, celui qui se rapproche de la retraite veut aussi les transmettre à la nouvelle génération. Il est 20 h 30. Le soleil jette ses derniers feux sur les maisons du village d'Annoix, situé à une vingtaine de minutes de Bourges. Amélie Chrétien descend de sa voiture. Sous la charpente de l'école dorment 40 à 50 sérotines. La jeune femme de 28 ans est venue pour les comptabiliser une à une. Un travail qui est refait chaque année, avec l'aide d'un réseau de bénévoles. En attendant le crépuscule, l'ingénieure en environnement installe deux drôles de petites boîtes sur un parapet, proche de l'école. Nommées Anabat et Batbox, elles permettent d'entendre les cris sociaux émis par ultrasons par les chauves-souris pendant leurs vols.
Le lendemain, Amélie Chrétien se rend dans le vignoble de Sancerre, où ont été installés une centaine de nichoirs. Grâce aux chauves-souris, le propriétaire Philippe Raimbault parvient à limiter l'usage des pesticides. Amélie Chrétien vient vérifier la présence ou non de chauves-souris. Là encore, elle dépose dans les vignes un appareil pour détecter les ultrasons. La jeune femme mène un travail d'étude du principe d'écholocation, qui permet aux chiroptères de se repérer dans l'espace.
Amélie Chrétien a été recrutée au muséum d'histoire naturelle de Bourges, il y a deux ans, pour assurer la relève de Laurent Arthur et Michèle Lemaire. « Un oreillard s'est pris dans mes phares, explique celle qui est aussi passée par l'Afrique du Sud pour étudier les girafes. Ce n'est qu'en arrivant chez moi que je l'ai découvert. C'est lui qui m'a guidé jusqu'à Laurent. » Jour après jour, cette nouvelle passionnée des chauves-souris parfait sa connaissance au contact de son mentor, tout en développant ses propres méthodes en phase avec son époque.
Contrairement à Laurent Arthur, qui griffonne dans ses carnets, la jeune femme compile les informations dans des bases de données numériques pour ensuite dresser des cartographies, faire des modélisations. « Il y a encore beaucoup à comprendre sur le sens de leurs cris sociaux », explique-t-elle. La chauve-souris reste encore un animal bien mystérieux. Même pour ses amoureux transis anciens ou plus récents.