Mort après avoir consommé une plante toxique de son jardin
Publié le 26 Juin 2020
C’est l’histoire d’un Nantais de 63 ans, sans antécédents médicaux, qui cueille avec sa femme ce qu’ils pensent être du persil tubéreux* dans son jardin. Les racines sont nettoyées et cuisinées pour le diner qui débute à 21h10.
Alors que la femme, surprise par le goût amer de la plante, n’a avalé que quelques bouchées du plat, l’homme en consomme une plus grande quantité. Vingt minutes plus tard, la femme est prise de nausées puis de vomissements. Le mari appelle alors le SAMU. Juste après avoir raccroché, il présente à son tour des symptômes, en l’occurrence neurologiques. Il est 21h30 quand il est pris de convulsions généralisées (grand mal épileptique).

À l’arrivée de l’ambulance, l’homme a déjà fait deux arrêts cardiaques à 24 minutes d’intervalle. L’activité cardiaque reprend spontanément mais à un rythme de 10 battements par minute du fait d’un blocage de la conduction électrique entre oreillettes et ventricules (bloc auriculo-ventriculaire du 3ème degré). Le patient est intubé et ventilé. Après un massage cardiaque externe, on lui administre de l’isoprénaline pour augmenter la force contractile du muscle cardiaque. Sur le plan neurologique, le patient présente des crises convulsives incontrôlables malgré l’administration par voie intraveineuse de médicaments antiépileptiques (clonazépam, midazolam, thiopental).
Le patient est transféré d’urgence à l’Hôpital Laennec – CHU de Nantes pour bénéficier d’une assistance cardio-respiratoire et de la mise en place dans le cœur d’une sonde destinée à stimuler la contraction des ventricules. Ce dispositif ne sera finalement pas implanté à son arrivée dans le service de soins intensifs car l’activité cardiaque est entre temps revenue à la normale avec un rythme de 60 battements par minute.
Œnanthe safranée
Le centre anti-poisons d’Angers, auquel des photographies de la plante consommée ont très vite été envoyées, confirme qu’il s’agit d’œnanthe safranée (Oenantha crocata). Cette plante herbacée vivace appartient à la famille des Apiacées, autrefois appelées Ombellifères en raison de leurs inflorescences typiques en ombelle.
En France, trois apiacées peuvent provoquer de sévères intoxications : la ciguë vireuse (Cicuta virosa), la grande ciguë (Conium maculatum, qui aurait été utilisée par Socrate) et l’œnanthe safranée. Cette dernière est très répandue dans les lieux humides de l’ouest de la France. Dans certaines régions, on la désigne sous les noms de « pansacre », « pempiz ». En Grande-Bretagne, où on la considère comme l’une des plantes les plus toxiques, on l’appelle hemlock water dropwort (ciguë en goutte d’eau).
L’œnanthe possède de grandes racines renflées souterraines qui exsudent un suc jaune qui rappelle la couleur du safran. Toute la plante est toxique, mais les racines le sont beaucoup plus que les tiges et les feuilles. De couleur vert clair, les feuilles ressemblent à celles du persil, les plus vieilles à celles du céleri. Quant aux tubercules souterrains (également appelés « navets du diable », ils peuvent être confondus avec un navet ou la racine d’une carotte sauvage.
Absence d’antidote
L’œnanthe safranée renferme de l’œnanthotoxine, un composé qui exerce rapidement son action toxique.** La dose létale est comprise entre 10 et 20 milligrammes contenus dans 20 grammes de racine. La concentration d’œnanthotoxine dans la plante est maximale en hiver et au printemps.
L’intoxication par l’œnanthe safranée provoque des symptômes neurologiques (troubles de la vigilance, violents maux de tête, troubles de la sensibilité ou paresthésies), des signes digestifs (nausées, vomissements), des trémulations et des convulsions. Les crises convulsives surviennent une demi-heure à une heure après l’ingestion. L’arrêt des convulsions est l’objectif premier du traitement. En l’absence d’antidote, les thérapeutiques sont purement symptomatiques.
En 2007, des pédiatres d’Alès (Gard) et des toxicologues du centre antipoison de Marseille ont rapporté un cas d’intoxication par une apiacée sauvage chez un enfant de 11 ans qui avait ingéré la racine d’une plante poussant près d’un cours d’eau, persuadé d’avoir reconnu des carottes sauvages. Après avoir présenté des troubles neurologiques et digestifs, l’évolution avait été favorable.
La plupart du temps involontaire, l’ingestion d’œnanthe safranée peut parfois résulter d’un acte suicidaire ou intentionnel. Un cas d’homicide volontaire a été rapporté en 1936. Âgée de 22 ans, l’empoisonneuse avait été condamnée aux travaux forcés pour avoir tué son mari qui avait ingéré des décoctions de racines.
Crises convulsives incontrôlables
Mais revenons au cas du sexagénaire nantais transféré à l’hôpital par le SAMU. À son admission, le patient convulse toujours, l’état de mal épileptique étant réfractaire aux traitements.
L’état clinique se dégrade alors très rapidement. L’évolution est marquée par la survenue d’une insuffisance circulatoire aiguë altérant les fonctions du foie et des reins. Il se produit également une coagulation intravasculaire disséminée, des caillots obstruant de nombreux petits vaisseaux sanguins, ce qui réduit le flux sanguin vers les organes. S’ajoute à cela un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Malgré les nombreuses thérapeutiques administrées, le patient décède le lendemain matin. Le décès de cet homme avait été mentionné dans la presse quotidienne régionale en mars 2019.
Sa femme a heureusement eu plus de chance. Son état clinique s’est amélioré après 24 heures de traitements symptomatiques.
Gare à la confusion entre plantes comestibles et toxiques
Cette observation clinique a été publiée le 27 mai 2020 dans The Journal of Emergency Medicine. Elle souligne à quel point la confusion entre plantes comestibles et toxiques peut être dangereuse.
Dix cas d’ingestion involontaire d’œnanthe safranée ont été rapportés en France entre 2012 et 2018, selon le bulletin des vigilances de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).
Face au risque de confusion entre plantes comestibles et toxiques, l’Anses et les Centres antipoison adressent une mise en garde : « Les descriptifs et/ou photographies de livres, de pages internet, sont parfois utiles mais ne peuvent permettre à eux seuls d’identifier une plante avec certitude. Au moindre doute, il ne faut pas consommer les plantes ramassées et demander conseil à un spécialiste en horticulture ou en botanique. Il est également recommandé de photographier les plantes ramassées pour permettre leur identification en cas d’intoxication ».
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
* Egalement appelé persil à grosse racine, que cet homme cultivait dans son jardin.
** Comme la cicutoxine contenue dans la ciguë, l’œnanthotoxine agirait comme antagoniste non compétitif des récepteurs GABA (canaux ioniques situés à la surface de neurones activés par fixation de l’acide gamma-aminobutyrique).
Pour en savoir plus :
Sur le web :
Sinno-Tellier S. Confusion entre plantes comestibles et toxiques :
gare aux ressemblances. Le bulletin des vigilances de
l’ANSES 2019;8:3-7
Confusion entre colchique et ail des ours : un cas d’intoxication mortelle signalé par les Centres antipoison (Anses, 4 mai 2020)
LIRE AUSSI : Du risque d’intoxication après ingestion de Datura, « l’herbe du diable »
Quand manger de la courge fait tomber les cheveux