Enquête mycologique, Miss Marple sur les traces du gang des cortinaires épisode 5, Cortinarius purpurascens
Publié le 31 Octobre 2020
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Notre enquêtrice, Miss Marple de la BIC, Brigade d’Investigation des Champignons, profitait de son jour de repos pour effectuer une promenade automnale revigorante en forêt. Les feuilles des arbres craquaient sous les pieds, les glands tombaient au sol, la journée s’annonçait riches en couleurs et sensations.
Soudainement, un peu plus loin, un autre promeneur s’est mis à crier : « j’ai trouvé des pieds bleus, ils sont apparus, ils sont nombreux » Plus aucun doute, une nouvelle enquête allait débuter
Arrivée immédiatement sur la scène du « crime », notre enquêtrice sécurise tout de suite le lieu afin de mettre en place la méthode de l’entonnoir ou méthode SAPE (scène-arme-portrait-empreinte), resserrer l’étau sur le suspect pour le faire avouer.
La scène du crime
Ici la scène du crime est au sol, dans une forêt de feuillus. Nous sommes le 16 octobre 2020 à Diemeringen. Plusieurs témoins se rassemblent autour de magnifiques champignons bleus et très rapidement ils identifient les suspects comme des pieds bleus (Lepista nuda), un champignon comestible. Miss Marple sait qu’il ne faut pas se précipiter pour appréhender un suspect, surtout pas. Et surtout ne pas se fier uniquement à une apparence et une couleur. Tout ce qui est bleu n’est pas un pied bleu, comme tout ce qui a des lames roses n’est pas un rosé non plus. Agir avec calme, méthode, réflexion, questionnement, toujours.
L’arme du crime, où comment le champignon se nourrit
Un examen de la base du pied montre déjà qu’il y a très peu de débris à la base du pied, ce qui oriente vers un mycorhizien. Or les Lepista sont des champignons saprotrophes. C’est déjà un premier élément qui met la puce à l’oreille de Miss Marple. Ce n’est pas un élément décisif, car l’observation des éléments agrégés à la base du pied ne fonctionne pas systématiquement mais c’est un premier indice qu’il faudra incorporer avec d’autres
Le portrait robot
On a ici un champignon assez trapu, d’au moins 15 cm de hauteur, avec une forme classique en pied/chapeau. Sous le chapeau (c’est très important, même indispensable de regarder en dessous) se trouve des lames, de couleur bleu avec des reflets bruns. Ces reflets bruns interpellent l’enquêteur. Le dessus
La base du pied présente un imposant bulbe, avec une marge. En grattant ce bulbe, une bonne odeur de miel était perceptible.
Au niveau des voiles : pas de volves et de flocons sur le chapeau. Mais sur des sujets jeunes, une structure, comme une toile d’araignée, recouvrant les lames. Plus aucun doute à avoir, on était en présence d’un cortinaire. Les pieds bleus étaient innocentés.
Les cortinaires sont un des plus puissants gangs de la forêt et parmi ceux qui posent d’énormes difficultés aux enquêteurs, tant ils sont nombreux et complexes à appréhender.
Ce n’est pas difficile de reconnaître le gang des cortinaires en lui-même : ils sont mycorhiziens, ont des lames de couleur rouille et surtout présente une cortine visible au niveau des lames quand le sujet est jeune, sinon déposé sous forme de filaments sur le pied. Cependant, d’autres gangs peuvent aussi avoir de la cortine, mais dans ce cas la couleur ne sera pas rouille.
On sait que le champignon fabrique ses spores dans les lames et pour cela il doit prendre de la hauteur par rapport au sol pour les disperser. Quitter le sol, c’est aussi s’exposer à tous les prédateurs possibles. Il faut donc trouver un compromis entre protéger ses lames des voraces, mais aussi permettre de disperser les spores. Trop protéger, c’est ne plus pouvoir disperser. Les cortinaires protègent les lames, quand ils sont jeunes, par un voile dit partiel, qui se déchire en fils d’araignées quand ils grandissent. D’abord de couleur claire, ces fils vont prendre ensuite une couleur brune rouille, à cause des spores qui ont cette couleur et qui se déposent dessus. En grandissant, ces fils se déchirent et se déposent en fins lambeaux rouille sur le pied. Le nom de ces filaments est la cortine, qui a donné son nom aux cortinaires. D’autres gangs ont une structure différente pour protéger leur lames, qui donnent par exemple un anneau.
Les empreintes
L’empreinte des spores, plus précisément leur couleur, est une clé essentielle pour identifier le suspect. L’empreinte ici est bien brune rouille. Ça conforte l’intuition de l’enquêtrice qu’il ne s’agit définitivement pas d’un pied bleu. Chez les pieds bleus, la couleur des spores est blanche.
Rédiger son procès-verbal, sortir les codes en vigueur et mettre le suspect en garde à vue
Quand on dispose de tous ces éléments, il faut enfin se plonger dans un guide d’identification, et surtout à jour. Le guide actuel le plus à jour est celui de Guillaume Eyssartier et Pierre Roux, édition 4 (GEPR dans le jargon des enquêteurs). Un bon enquêteur comme Miss Marple aura tout d’abord consigné dans un procès-verbal tous les éléments recueillis sur le terrain, avec photos à l’appui, sans oublier les éléments transmis éventuellement par la police scientifique. Comme Miss Marple, l’enquêteur de la BIC a toujours son carnet avec lui pour noter tout élément d’enquête. Même le détail qui semble le plus insignifiant a son importance.
On a donc ici un champignon mycorhizien, à lames non libres, avec une cortine visible et une sporée rouille. On note aussi le pied bulbeux, la couleur bleuâtre, la viscosité du chapeau mais pas du pied et l’odeur.
Conclusion de l’enquête
Avec ces éléments, on innocente donc le genre Lepista (saprophyte, pas de cortine, sporée blanche) et on peut conclure qu’on est en présence d’un membre du genre Cortinarius.
Nom scientifique du champignon: (Cortinarius purpurascens Fries (1838))
le cortinaire pourpre
Origine du nom :
« Cortina » signifie en latin , voile, rideau et « arius » , qui a, et « purpurea », pourpre.
Comestibilité : toxique.
Un dernier mot de Miss Marple
Miss Marple nous a montré ici qu’il est indispensable d’avoir une bonne méthodologie et de se poser les bonnes questions, dans un bon ordre, pour réaliser une juste appréhension du suspect. L’enquêtrice rappelle qu’un champignon s’observe sous toutes les coutures, en dessous, etc. et que surtout elle le déterre pour voir dans son intégralité la base du pied.
Le gang des cortinaires est si complexe qu’il y a des enquêteurs spécialisés les concernant. Pour espérer en appréhender un, il faut disposer de plusieurs membres à des âges différents, observer la localisation de la viscosité, la base du pied, l’odeur, la couleur et très souvent faire appel à l’équipe scientifique. Mais une bonne observation permet déjà à coup sûr de savoir qu’on a à faire avec ce gang, dont on n’invitera aucun membre à table.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)