Plus fort que Columbo, la traque pour l'identification d'un champignon épisode 3
Publié le 10 Octobre 2020
Enquête fongique, au cœur de la brigade d’investigation des champignons épisode3
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Repartons à nouveau en immersion avec l’enquêteur de la BIC, brigade d’investigation des champignons, qui après nous avoir indiqué la méthodologie d’investigation, va emmener nos journalistes directement sur une nouvelle scène de « crime ».
L’enquête a débuté par le coup de fil à la brigade d’une personne, témoin de l’apparition dans son pâturage, d’un mystérieux spécimen qu’il appelle une amanite.
Scène de crime la Volvaire gluante », (Volvopluteus gloiocephalus ) -Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Arrivé sur la scène du « crime », notre enquêteur sécurise tout de suite le lieu afin de mettre en place la méthode de l’entonnoir ou méthode SAPE (scène-arme-portrait-empreinte), resserrer l’étau sur le suspect pour le faire avouer.
La scène du crime
Ici la scène du crime est au sol, dans une prairie permanente sablonneuse, sans arbres dans un rayon de 100 mètres. Nous sommes le 27 septembre 2020 à Zetting. Le témoin, visiblement agité, pense qu’il s’agit d’une amanite, car il a observé un sac à la base du pied, ce qu’on appelle une volve.
À ce stade de l’enquête, l’enquêteur est dubitatif, car il sait que les amanites sont des champignons mycorhiziens, qui font donc des associations avec les arbres. Or ici, on est en plein pâturage, les prochains arbres sont loin. L’enquête devra en tenir compte.
L’arme du crime, où comment le champignon se nourrit
Présent en plein pâturage, il y a de fortes chances que ce champignon soit saprophyte, donc qu’il décompose la matière organique du sol. Il paraît peu probable que ce soit un champignon mycorhizien, les complices arbres sont loin. Et en effet, un examen de la base du pied montre beaucoup de débris agglomérés. C’est une observation qui conforte davantage la présence d’un champignon saprophyte. Par conséquent, l’amanite était un coupable idéal mais ce n’est pas lui qui finira en garde à vue.
Le portrait robot
On a ici un champignon assez trapu, d’au moins 15 cm de hauteur, avec une forme classique en pied/chapeau. Sous son chapeau (c’est très important, même indispensable de regarder en dessous) se trouve des lames, de couleur blanche à rosée. Cette couleur rosée interpelle l’enquêteur, car les amanites ont des lames blanches. Ces lames sont libres, donc, ne touchent pas le pied.
C’est un point commun avec les amanites, mais l’enquêteur a deux éléments pour conclure que ce n’est pas une amanite. Au niveau des voiles, il note la présence d’un voile général à la base du pied, sous forme de volve. Pas facile à observer sans bien déterrer la base du champignon mais l’enquêteur rappelle qu’il doit vérifier la base du pied pour faire une identification correcte. L’enquêteur ne coupe pas au pied un champignon, mais le déterre, surtout que dans cette enquête, la volve est enterrée. Pas de voile général sur le chapeau ou le pied sous forme de flocons, de cortine ou de guirlande et pas de voile partiel sous forme d’anneau.
Le chapeau est visqueux. Glabre, gris brunâtre. Il n’y a pas d’écailles, de mèches sur le chapeau, sur le pied non plus. Il a une odeur de pomme de terre
Les empreintes
L’empreinte des spores, plus précisément leur couleur, est une clé essentielle pour identifier le suspect. L’empreinte ici est…rose. Ça conforte l’intuition de l’enquêteur qu’il ne s’agit définitivement pas d’une amanite. Chez les amanites, la couleur des spores est blanche.
Rédiger son procès-verbal, sortir les codes en vigueur et mettre le suspect en garde à vue
Quand on dispose de tous ces éléments, il faut enfin se plonger dans un guide d’identification, et surtout à jour. Le guide actuel le plus à jour est celui de Guillaume Eyssartier et Pierre Roux, édition 4 (GEPR dans le jargon des enquêteurs). Le bon enquêteur aura tout d’abord consigné dans un procès-verbal tous les éléments recueillis sur le terrain, avec photos à l’appui, sans oublier les éléments transmis par la police scientifique. Comme l’inspecteur Colombo, l’enquêteur de la BIC a toujours son carnet avec lui pour noter tout élément d’enquête. Même le détail qui semble le plus insignifiant a son importance.
Il a donc un champignon saprophyte, à lames libres, avec une volve et une sporée rose.
Conclusion de son enquête
Avec ces éléments, il exclut donc le genre Amanita (mycorhizien, lames libres, sporée blanche) et peut conclure : le coupable est un membre du genre Volvopluteus/Volvariella. Il le met en garde à vue.
Noms commun scientifique du champignon: « la Volvaire gluante », (Volvopluteus gloiocephalus (DC : Fr.) Justo)
Comestibilité : comestible sans intérêt.
Un dernier mot de l’enquêteur
L’enquêteur nous a montré ici qu’il est indispensable d’avoir une bonne méthodologie et de se poser les bonnes questions, dans un bon ordre, pour réaliser une juste appréhension du suspect. De façon générale, l’enquêteur déconseille fortement, en dehors d’une pratique solide, d’inviter à sa table un suspect présentant des lames blanches/claires, ainsi que des suspects avec une volve. L’enquêteur insiste lourdement aussi que quand vous ramassez des champignons à lames, vous devez les déterrer et pas les couper. Juste observer la base du pied peut vous sauver la vie !!
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)
Enquêtes pédagogiques précédentes :
Mieux que Sherlock Holmes, la traque pour l'identification d'un champignon épisode 1 |
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