Enquête mycologique avec l’adjudant Fungi , épisode 6, Flammulina velutipes
Publié le 26 Décembre 2020
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Repartons à nouveau en immersion avec l’enquêteur de la BIC, brigade d’investigation des champignons, qui a convié les journalistes au laboratoire de la police scientifique pour une interview exclusive avec l’adjudant Roland Fungi, chef du service de la police scientifique.
Au laboratoire se trouve justement un spécimen appréhendé il y a quelques heures.
Le procès-verbal de contestation, élaborée sur le terrain avec la méthode de l’entonnoir ou méthode SAPE (scène-arme-portrait-empreinte) indique les éléments suivants :
La scène du crime
La scène du crime est sur un tronc d’épicéa vivant. Nous sommes le 3 décembre 2020 à Zetting.
L’arme du crime, où et comment le champignon se nourrit
Présent sur le bois d’un arbre vivant, il fait peu de doute qu’il s’agisse d’un champignon parasite.
Portrait robot :on a ici un champignon qui pousse en touffe, de morphologie pied chapeau. Le chapeau est de couleur jaune à brun orangé. Son dessus est assez visqueux. Il a des lames, adnées à échancrées, avec une arête de couleur plus claire. Le pied est coriace, couvert d’un fin velours et de couleur noire.
Les empreintes
L’empreinte des spores, plus précisément leur couleur, est une clé essentielle pour identifier le suspect. L’empreinte ici est blanche. On la voit nettement sur un chapeau, déposée par les lames d’un autre chapeau en surplomb.
Dans le laboratoire de la brigade scientifique
Le journaliste (J) : "Adjudant Fungi, je vous remercie de votre accueil. Quel matériel utilisez-vous pour mener vos investigations ?"
Adjudant Fungi (AF) : "nous utilisons principalement un microscope pour observer les tissus du champignon, ses spores. Pour ça il nous faut aussi du petit matériel de préparation microscopique : des lames, des pinces mais aussi des réactifs pour effectuer des colorations. Enfin, on consulte des publications scientifiques, des monographies, des clés de détermination pour identifier le suspect."
J : "pouvez vous nous dire quelques mots sur l’organisation des tissus chez le champignon ?"
AF : "la structure que vous voyez et que vous appelez champignon est en fait un organe de dissémination des spores, qu’on appelle le sporophore. Cet organe est constitué de filaments, les hyphes. Certains de ces filaments se spécialisent et leur terminaison forme une structure particulière qui va fabriquer les spores. Par exemple, sur ce champignon, c’est la baside, qui a d’ailleurs donné son nom à ce très grand groupe des basidiomycètes. Ces basides se trouvent à un endroit particulier du sporophore, dans les lames chez les champignons à lame, et de façon générale dans ce qu’on appelle l’hyménophore. Un autre exemple, chez les bolets, l’hyménophore correspond aux tubes, endroit où les spores sont fabriquées. Mais dans cet hyménophore, et selon l’espèce de champignon, on ne trouve pas que des basides mais aussi des hyphes qui se terminent par une structure particulière, les cystides. Ces dernières, qu’on peut trouver entre les basides, servent de structures de soutien ou même parfois ont une structure sécrétrice. On peut trouver ces cystides partout sur le champignon : sur la « peau du chapeau » (les dermatocystides), sur le bord des lames (les pleurocystides), sur l’arête des lames (les cheilocystides) et sur le pied (les caulocystides). On observe également s’il y a des boucles sur les hyphes. "
J :"qu’est-ce que vous observez avec le microscope ?"
AF :" on s’intéresse à énormément de choses. Loin d’être exhaustif, on étudie la forme des spores, leurs dimensions, si les hyphes sont bouclés, s’il y a des cystides, leur forme, leur dimension, la structure de la peau du chapeau, etc. C’est un travail de longue haleine mais indispensable pour identifier avec certitude un suspect. Je vous propose de vous montrer quelques observations avec le champignon arrêté il y a quelques heures par la brigade."
"Vous voyez ici une balle baside. C’est dans cette structure que sont fabriquées et émises les spores. Vous voyez de petites antennes au bout de baside, ce qu’on appelle des stérigmates. C’est au bout des stérigmates que les spores sont émises."
Vous voyez ici des spores, de morphologie plus ou moins cylindriques.
Ici on voit les cheilocystides, de morhologie lagéniforme (en forme de bouteille) et ventrues. Elles sont très nombreuses sur l’arête des lames, ce qui explique que l’arête de ce champignon est stérile (donc sans baside) et de couleur plus claire.
Regardez bien ici les caulocystides et leur morphologie ondulée. Elles sont très nombreuses et ça explique que macroscopiquement le pied de ce champignon est très velu, comme du velours.
Observons maintenant la « peau » du chapeau. Vous voyez la présence de dermatocystides, indiquant que le chapeau est hirsute mais ce caractère ne se voit pas à l’œil nu.
Par contre observez ces gros hyphes. Leur grosseur suggère qu’elles secrètent une substance et effectivement vous les voyez baigner dans une matrice, repérable avec les cristaux verts.
Si vous touchez le champignon, le chapeau est gluant, gélatineux. C’est à cause de cette caractéristique microscopique. Et cette particularité n’est pas anodine. En effet, ce champignon pousse classiquement en hiver et cette particularité lui permet de résister au froid et au gel.
Nom scientifique du champignon: la collybie à pied velouté (Flammulina velutipes (Curtis) Singer 1951)
Comestibilité : bon comestible
Un dernier mot de l’adjudant Fungi
Les observations microscopiques permettent souvent de comprendre et d’expliquer les observations macroscopiques. L’observation macroscopique est un processus indispensable à maîtriser et vous avez déjà vu avec mes collègues d’autres services la méthode SAPE. Selon les genres de champignon, cette méthode ne permet pas de déterminer l’espèce et dans ce cas nous entrons en action. Souvent notre travail et plus long et fastidieux que l'enquête sur le terrain mais observer les champignons à l’échelle microscopique nous ouvre un monde immense et fascinant.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)
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