Enquêtes mycologiques, épisode 8, les conocybes
Publié le 16 Janvier 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
En ce jour de Noël, tout était calme à la BIC (brigade d’enquête des champignons). Jusqu’à ce que le téléphone sonne pour signaler la présence d’un champignon dans une prairie. L’enquêteur de permanence, après avoir pris la déposition, s’est rendu immédiatement sur place.
Scène du crime
On est le 25 décembre 2020. La scène du crime est une prairie permanente sablonneuse fréquentée par des chevaux, à Zetting. Après plusieurs jours de pluies soutenues, les suspects sont sortis, avant d’être appréhendés.
L’enquêteur, sans trop prendre de risques, suspecte des champignons saprotrophes. Il n’y a pas d’arbres à proximité et vu la saison, les champignons mycorhiziens ne sont plus de sortie.
Profil du suspect
Avec l’expérience, l’enquêteur soupçonne dans ce champignon grêle, avec cette couleur ocre-orangée, cette morphologie de type mycène et fragile, un membre du gang des conocybes. Ce gang est très difficile à appréhender pour les enquêteurs et ils savent déjà qu’il faudra faire appel à l’équipe scientifique pour appréhender correctement le suspect.
Lors de l’interpellation du suspect, il faudra être très vigilant car le pied est un élément clé pour identifier notre suspect. L’arrestation du suspect devra se faire en évitant de manipuler le pied, en le maintenant le plus intact possible.
Empreinte des spores
La couleur de sporée est ici ocre. Ces petits champignons bruns à sporée ocre sont connus comme faisant partie du gang des LBE ou little brown mushroms (petits champignons bruns). Leur identification est ardue. Dans ce gang se trouvent les champignons du genre Conocybe, Alnicola, Tubaria, Bolbitius, Galerina, Pholiotina, etc. Les identifier demande une bonne expérience d’enquêteur de terrain. Pour appréhender ce groupe de champignon grêle à sporée brune, il faut observer le revêtement du chapeau, s’il est strié, gélatineux, etc.
Les conocybes sont des champignons saprophytes à sporée ocre, grêles, avec un pied fragile, appréciant les sols fertiles des pelouses et pâturages, très souvent avec un chapeau conique ou en forme de cloche. Ce genre, de la famille des Bolbitiaceaea, comporte près de 244 espèces.
L’examen par la police scientifique
À la loupe, on observe déjà que ce champignon est pubescent et non pruineux. Cette première observation permet de réduire le nombre de suspects.
Il est important d’observer au microscope le revêtement du pied, au niveau de la partie hôte, afin de voir la forme des cystides du pied, ce qu’on appelle les caulocystides. Ici elles sont de formes diverses, principalement en bouteille (ou lagéniforme). C’est un élément important pour réduire encore le nombre de suspects.
La taille des spores est également importante. Elles sont cylindriques et surtout possèdent un pore germinatif, zone au sommet de la spore qui apparaît comme un trou transparent. Ce pore est l’endroit où germera la spore pour donner un filament, donc un nouveau champignon. Cet élément est important pour faire un tri entre tous les membres du gang des petits champignons bruns. Les Bolbitius, Conocybe, Agrocybe possèdent ce pore, les Tubaria, Alnicola, Galerina ne le possède pas. Ces spores ici font moins de 10 micromètres et ont une paroi épaissie.
Un autre élément qu’on observe est que les cystides d’arrête (ou cheilocystides) sont lecythiformes. Le nom de cette morphologie provient du Lécythe, désignant un vase grec antique utilisé pour stocker de l’huile parfumée destinée au soin du corps.
Les basides sont également tetrasporiques.
Tous ces éléments permettent de statuer que notre suspect est Conocybe siennophylla (Berkeley et Broome) Singer (1962)
Ce conocybe, qui affectionne les sols riches et frais, appartient à la section Pilosellae en raison de ses caulocystides polymorphes et non lecythiformes.
L’enquêteur, pour conclure, souhaite nous rappeler que ces petits champignons sont très difficiles à identifier et il est impossible sans microscopie d’en déterminer l’espèce sauf rares exceptions. Néanmoins, un œil exercé pourra déjà identifier le genre. Les Conocybes, et plus globalement tous ces petits champignons à sporée ocre, sont des membres très importants parmi tant d’autres dans l’écologie d’une prairie. Membres actifs de la décomposition de la matière organique dans le sol, ils remettent les nutriments à disposition des végétaux pour leur croissance. Pour ces services rendus à la prairie, notre suspect a été relaxé.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)
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