La pelote de réjection
Publié le 30 Janvier 2021
Le gel s’est installé. Avec des températures négatives, l’enquêteur de la brigade mycologique savoure un repos bien mérité car, en effet, la période est calme, le froid n’étant pas favorable à la sortie des gangs fongiques. Mais néanmoins, une découverte insolite allait relancer la curiosité de l’enquêteur.
Dans un petit boqueteau d’épicéas, le 10 janvier 2021 à Zetting, l’enquêteur a été interpellé par la présence de plusieurs pelotes de réjection au sol, au pied d’un épicéa. La plus grande de ces pelotes faisait 6,5 x 3 cm, de forme cylindrique, arrondie aux deux extrémités, avec quelques os visibles superficiellement et de nombreux poils blancs et noirs
De nombreuses fientes blanches sur le tronc attestaient d’une occupation assidue.
Nul doute que des rapaces nocturnes fréquentaient ce boqueteau. C’est l’occasion de partir à leur rencontre et faire parler ces pelotes de réjection.
Les pelotes de réjection
Ce sont des boules rejetées par les oiseaux rapaces comme les chouettes, hibou, des corvidés, etc. Elles contiennent des éléments durs, non digérés, comme les poils et les os par exemple. Elles sont rejetées environ deux heures après l’ingestion de la proie. On les trouve près du nid ou du perchoir des oiseaux.
Premiers éléments que nous apprennent la découverte.
Au vu des nombreuses fientes et des pelotes, on est certainement très proche du nid ou du perchoir des rapaces. Les rapaces diurnes ont des sucs digestifs puissants et ils rejettent essentiellement des poils agglomérés. Les rapaces nocturnes ont des sucs digestifs moins puissants et on retrouve les squelettes complets dans leurs pelotes. On a donc ici la pelote de réjection d’un rapace nocturne. Il reste à émettre des hypothèses sur son identité.
La consultation des inventaires ornithologiques montre qu’on trouve deux rapaces nocturnes sur le secteur, la chouette hulotte (Strix aluco) et l’hibou moyen-duc (Asio otus) C’est mission impossible d’identifier le propriétaire avec la taille de la pelote mais, la présence de nombreuses pelotes, la localisation au pied de conifères en lisière, la présence de moins d’os visibles en surface, tendent vers l’hypothèse de pelotes d’hiboux moyen-duc. Toutes ces pelotes signent un dortoir où plusieurs oiseaux se rassemblent de jour en hiver.
Un bel article explique les différences entre les pelotes de réjection de chaque espèce courante : https://www.afblum.be/bioafb/pelotes/pelotes.htm
Investigation du contenu des pelotes
C’est littéralement un exercice de médecine légale que d’identifier les proies du rapace. À l’aide de pince on décortique la pelote pour mettre en évidence les os et les rassembler selon leur morphologie.
Pour l’identification, et comme en criminologie, ce sont les dents qui vont nous permettre de mettre un nom sur les proies. Et pour cela existe des clés d’identification des mandibules des micrommamifères comme : https://www.afblum.be/bioafb/clemandi/clemandi.htm ou https://gon.fr/gon/wp-content/uploads/2018/07/Cle_determination_proies_rapaces_v2.1_A4.pdf
Il s’agit d’un exercice de naturalisation très intéressant qui ne vous feront plus voir les dents comme avant. On y découvre que chez les rongeurs, les incisives sont séparées des molaires par un espace qu’on appelle le diastème,
que le nombre de molaires est un critère d’identification,
que la structure des molaires peut être en triangle comme chez les campagnols
ou formés de tubercules arrondis comme chez les rats ou souris
Identification des proies
La dissection des pelotes nous a montré que nos rapaces ont fait bombance d’un rat surmulot (Rattus norvegicus), d’un mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) et de plusieurs campagnols souterrains (Pitymus subterraneus).
Le campagnol souterrain affectionne les zones boisées de conifères et de pâturages, le surmulot les zones agricoles et urbaines. Le biotope ici est un boqueteau d’épicéas dans une prairie permanente, entouré par une zone agricole. Les proies identifiées sont cohérentes avec l’environnement de chasse. L’absence de musaraigne parmi ces proies est également un élément qui doit être souligné. En effet, les pelotes du hibou moyen-duc, contrairement à celle de la chouette hulotte, ne contiennent quasiment jamais d’os de musaraigne que le hibou semble répugner. Par contre les os de campagnols sont majoritaires dans ses pelotes. Cette observation conforte qu’on est en présence de pelotes de hibou moyen-duc.
Quelques mots sur le hibou moyen-duc et sur les rapaces nocturnes en général
C’est un hibou de taille moyenne (environ 40 cm) avec une tête surmontée de deux aigrettes souvent dressées. Son plumage est tacheté de brun et rayé de noir. Il se nourrit essentiellement de campagnol à 78% et de mulots à 15 %. Les proportions de proies trouvées dans les pelotes se rapprochent de ces chiffres. Il fréquente surtout les endroits semi-boisés de conifères, les bosquets dispersés dans les campagnes, les parcs. Il est protégé sur l’ensemble du territoire national.
Cette petite enquête m’a fait prendre conscience que, comme le renard, ces rapaces nocturnes sont également de précieux auxiliaires de l’agriculture au vu de nombre de rongeurs qu’ils prélèvent. Un simple boqueteau d’arbre est en fait un abri pour eux, un refuge, un lieu de vie. Toutes ces haies, ces boisements, ces arbres isolés sont donc des éléments fondamentaux de nos paysages et on ne rend pas nécessairement compte des services qu’ils rendent aux agriculteurs. Les préserver est donc essentiel.
Le mot de la fin
Alors qu’on est en couvre-feu, que les journées hivernales sont longues, l’examen d’une pelote est un exercice très original pour occuper positivement la journée, qui peut être pratiqué en famille, pour intéresser les enfants. Alliant du travail d’enquête policière avec des notions de médecine légale ou même d’archéologie ou de paléontologie, c’est un exercice complet qui peut susciter l’intérêt des plus petits, éveiller leur curiosité, affûter leur sens des déductions et les sensibiliser à leur environnement. Moi-même me rappelle encore comme si c’était hier d’un TP au collège où il fallait disséquer une pelote et ce TP n’est pas étranger au fait que je rédige cet article plus de 20 ans après et que j’ai embrassé la carrière d’enquêteur naturaliste.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)