Enquête mycologique, épisode 10, Deconica crobula
Publié le 6 Février 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
La BIC (brigade d’enquête des champignons) n’est jamais au repos et à nouveau un coup de fil vient signaler qu’un champignon est sorti de sa cachette. L’enquêteur se rend rapidement sur place et sécurise la scène du crime en mettant en place la méthode SAPE (scène-arme-profil-empreinte)
Scène du crime
On est le 19 novembre 2020. La scène du crime est une prairie permanente sablonneuse fréquentée par des chevaux, à Zetting. Les suspects se présentent en groupe et poussent sur un crottin de cheval. En observant de plus près, le champignon pousse sur des débris de bois non digérés. Dans ce cas, coprophile ou plutôt lignicole ? Difficile de trancher
Arme du crime
L’enquêteur suspecte immédiatement des champignons saprotrophes, et même peut être coprophiles, c’est-à-dire poussant sur excréments. De très nombreux champignons poussent sur ce type de milieu, en majorité des membres du gang des ascomycètes mais aussi des champignons à lames, appartenant pour beaucoup aux familles des strophariacées ou du genre Panaeolus. L’enquêteur sait par avance que les investigations vont être difficiles, car ces champignons ont des sosies et que les identifier nécessitent une bonne pratique.
Profil du suspect
Il s’agit d’un champignon de même pas 1,5 cm de haut, de morphologie classique pied et chapeau, avec des lames. Son profil est plutôt trapu. Les lames sont adnées à légèrement décurrentes. Le chapeau est visqueux, légèrement strié. L’odeur est légèrement farineuse, la saveur douce.
On observe des restes de voile partiel sur la marge du chapeau sous forme de flocons blancs et fibrilles blanches sur le pied, noirâtre à la base. Deux autres détails attirent l’attention de l’enquêteur. Tout d’abord les lames qui sont arquées et à la loupe des taches noires correspondant vraisemblablement à un dépôt de spores.
Avec ces éléments macroscopiques et cet habitat, plusieurs réflexions émergent dans la tête de l’enquêteur :
- la présence de lames arquées se trouve dans le genre Tubaria mais chez eux les spores sont brunes et ils ont généralement des couleurs plus vives. Ces lames arquées se retrouvent aussi dans le genre Deconica mais ces derniers ont des spores noires à violacées, une couleur terne et un revêtement généralement visqueux
- éventuellement une Psathyrella ou un Panaeolus qui ont une sporée noire également mais sans revêtement visqueux.
Empreinte des spores
La couleur de sporée est ici noire. Il reste comme candidat Psathyrella ou Panaeolus ou Deconica. Ce dernier a une sporée noire à violacée et ce n’est absolument pas évident de distinguer le noir du violet foncé. Les Psathyrella sont en général assez fragiles et n’ont pas cette silhouette.
Sans la police scientifique, il sera impossible de tester les hypothèses et d’identifier le suspect
L’examen par la police scientifique
Un examen microscopique de la peau du chapeau, la cuticule, nous montre des hyphes très grosses. C’est une caractéristique des revêtements dit gélifiés et ça va dans le sens de l’observation d’un chapeau visqueux. Cette vérification était nécessaire car un chapeau mouillé par la pluie peut donner aussi l’impression de viscosité. Un test classique consiste à déposer sur le chapeau un baiser. Si les lèvres collent, c’est qu’il est visqueux, ce qu’on appelle dans le jargon des enquêteurs le test du baiser. Ça élimine Tubaria qui a un revêtement sec mais aussi d’autres petits champignons bruns comme les Galerina (revêtement sec) et les Conocybe /Panaeolus (revêtement plissé)
L’examen des spores nous montre qu’elles sont porées, c’est-à-dire possèdent un trou germinatif. Cette observation élimine une fois de plus Tubaria et conforte qu’on est chez une strophariacée. Ces spores mesurent au maximum 8,5 microns
Enfin on observe des cystides d’arête plus ou moins lagéniformes.
Avec tous ces éléments, l’enquêteur s’oriente vers le genre Deconica, et, avec le voile abondant, Deconica crobula. Ce dernier a un sosie, Deconica inquilina mais ses spores sont plus grandes.
Pour conclure, l’enquêteur tient avant tout à rassurer les lecteurs qu’on est ici dans une enquête très ardue. Tous ces petits champignons bruns de prairie se ressemblent énormément et il faut un œil très exercé pour s’y retrouver. Ici, la forme des lames, la sporée, la texture visqueuse du chapeau et le voile abondant ont été décisifs pour faire un grand tri chez tous les candidats potentiels. L’enquêteur ré-insiste sur la notion de texture et aspect du revêtement du chapeau, centrale pour de nombreux groupes de champignons.
L’enquêteur, avec un trait d’humour, souligne enfin qu’on apprend davantage la mycologie dans les champs qu’en forêt (ses collègues spécialistes des cortinaires lui pardonneront).
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)