Philosophie fongique au-dessus d’un crottin
Publié le 13 Février 2021
Le crottin de cheval, structure somme toute classique du moment qu’on n’y pose pas le pied par inadvertance. Conglomérat peu appétant d’un digestat de matières végétales, on va voir, à défaut de sentir, qu’il fait le bonheur de tout un cortège de champignons et pas seulement, si on inclut bousiers et autres insectes qui trouvent leur bonheur dans la bamboche chevaline.
Le crottin, avec ses fibres végétales broyées, malaxées, pré-digérées dans une tuyauterie enzymatique où le côlon côtoie le caecum, offre un terreau de choix, un restaurant à ciel ouvert pour nombres de champignons qui ainsi participent au grand recyclage de la matière organique. Nul besoin pour l’équin de tirer la chasse d’eau, les champignons se chargent d’évacuer étrons et autres trophées coprologiques.
Au gré du vent ou des intestins, des spores tombent et germent quand les conditions sont favorables. Chez ces champignons, se trouver dans la merde au contraire est gage de survie. Un crottin est tout un univers gastronomique, un big bang de nutriments pour se développer. Deux défis importants se posent à ces champignons lors de leur reproduction. Tout d’abord il faut réussir à quitter l’excrément qui n’est pas éternel et qui et déjà peuplé. L’objectif est de conquérir de nouveaux terrains post gastriques.
Comment fait alors notre spore pour se retrouver dans une nouvelle bouse ou crottin ? Il existe deux stratégies.
La première est de voguer au gré du vent en espérant et en serrant les fesses pour se retrouver vite sur une crotte mais ça reste risqué.
Une autre stratégie, très adoptée, est de se retrouver dans l’herbe pour être avalée par l’herbivore. Ainsi la spore est directement dans l’habitat qui lui plaît et retrouve la sortie au gré du péristaltisme.
Ces champignons font le bonheur des mycologues, surtout lorsque les forêts sont calmes. Certains mêmes cultivent des crottes dans des conditions particulières pour les faire se développer. Chaque année de nouveaux champignons sont ainsi découverts.
Partons à la rencontre de quelques-uns de ces champignons coprophiles.
Pilobolus crystallinus est un tout petit champignon de même pas 2 mm. Il faut un œil affûté pour l’observer. C’est un incroyable champignon. Il peut expulser ses sporanges jusqu’à 2 mètres, à une vitesse de 90 km/h et tout ça en deux millionièmes de seconde, soit une accélération de 20 000g. Cette prouesse de ce canon des bouses en fait l’organisme le plus rapide du monde. Toutes les Ferrari et Formule 1 font pâles figures devant la bouse. Les sporanges atterrissent ainsi dans la végétation autour et pourront être ingérés par les herbivores puis disséminés dans leurs excréments, le cycle est bouclé. Comme le tournesol, la fructification de Pilobolus se tourne vers le soleil et concentre ses rayons pour effectuer cette propulsion.
Le gracieux et délicat coprin blanc de neige se tient fragilement, comme une reine des neiges, sur son trône de crottin. De la même famille que le coprin chevelu, c’est un habitué de ces milieux
On ne l’appelle pas pour rien le nid d’oiseau. Sa fructification ressemble effectivement à de minuscules nids d’oiseaux remplis d’œufs. Ces derniers, que les mycologues appellent péridioles, contiennent les spores.
Un magnifique champignon sans pied qui se déploie avec sa forme semi-circulaire et sa couleur blanche.
Les bolbices sont des champignons assez faciles à identifier avec cet habitat et leurs couleurs vives. Celui-ci présente de beaux reflets verts olivâtres.
On ne présente plus les pézizes, ces ascomycètes qui ont une fructification en forme de coupe. Leur détermination précise est ardue.
En conclusion et au fil des pérégrinations au-dessus d’un crottin, c’est tout un monde fongique qui se déploie, dont nous avons vu ici qu’un faible échantillonnage. L’illustrateur Roland Topor disait : « Une crotte révèle la présence d’un être vivant ; l’étude des excréments en apprend long à son sujet ». Mais c’est plus loin qu’il faut aller : le crottin, c’est la vie, tout un écosystème dont sont tributaires des organismes. Et là les champignons sont des champions ; on les trouve partout, du crottin jusqu’au tréfonds de nos intestins.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)