La stupéfiante attaque de la guêpe émeraude

Publié le 9 Avril 2021

La guêpe émeraude utilise une blatte américaine qu’elle réduit à l’état de zombie afin d’y déposer son œuf, la future larve ayant alors de quoi se nourrir et se développer.

La guêpe émeraude utilise une blatte américaine qu’elle réduit à l’état de zombie afin d’y déposer son œuf, la future larve ayant alors de quoi se nourrir et se développer.

Paru sur "Pourla science" le 22/2/2021


Comment la guêpe émeraude transforme-t-elle une blatte en garde-manger vivant pour sa progéniture ? Bien que déjà beaucoup étudié, le mode opératoire de cet insecte réservait encore des surprises.

« Vous n’avez pas encore compris à qui vous avez affaire ? À un parfait organisme ! Et sa perfection structurale n’a d’égal que son hostilité […]. J’admire sa pureté. Un survivant qui n’est pas souillé par la conscience, le remords ou les illusions de moralité. » Ainsi l’androïde Ash décrit-il le monstre extraterrestre dans le film Alien (1979) du réalisateur Ridley Scott. Cette superproduction a fourni matière à cauchemars à toute une génération de passionnés de science-fiction : une créature extraterrestre s’accroche au visage d’un membre de l’équipage du vaisseau spatial Nostromo et implante un embryon qui, plus tard, sortira de la poitrine de la victime en la faisant éclater. Techniquement parlant, l’extraterrestre est un parasitoïde, un organisme qui, contrairement à la plupart des parasites, finit par tuer son hôte. Ceux qui ont vu le film n’oublieront jamais comment il se reproduit…

Récemment, j’en suis arrivé à partager certains des sentiments d’Ash vis-à-vis des parasitoïdes éclateurs de poitrine. Mais je ne parle pas des monstres extraterrestres. Je fais allusion à ce qui semble, ici sur Terre, s’en rapprocher le plus : la guêpe émeraude (Ampulex compressa), qui transforme la blatte américaine (Periplaneta americana) en zombie, voire pire.

Étant neurobiologiste, je donne chaque automne un cours sur les cerveaux et le comportement des animaux à l’université Vanderbilt. À Halloween, j’aime bien présenter de la biologie un peu terrifiante, ce qui permet aux étudiants de mémoriser facilement quelques éléments de neurosciences. Quand je me suis mis à enseigner sur la guêpe émeraude, cette espèce m’a tellement intrigué que j’ai fait venir quelques guêpes dans mon laboratoire pour observer leur comportement par moi-même. J’ai commencé par prendre des photos et faire quelques vidéos pour mes étudiants, mais je me suis vite retrouvé à effectuer des recherches sur cet étonnant insecte.

Cette jolie guêpe était déjà bien connue pour être un parasitoïde. Mais mes expériences, publiées en 2018 et 2020, m’ont appris qu’elle est encore plus remarquable qu’on ne l’avait pensé ; et que le cafard déploie lui-même des astuces pour se défendre.

Un contrôle d’une précision… neurochirurgicale !

Avant de vous dire ce que j’ai découvert et qui m’a rempli d’admiration pour cet insecte, je dois vous expliquer comment celui-ci est devenu célèbre. Pour se reproduire, la guêpe femelle a besoin de trouver un hôte qui nourrira sa progéniture. Comme de nombreuses espèces de parasitoïdes, la guêpe émeraude est une spécialiste qui n’a qu’un seul hôte, en l’occurrence la blatte américaine. Cette cible est l’une des raisons pour lesquelles la guêpe émeraude est si populaire, même parmi ceux qui ont la phobie des insectes : comme on dit, « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

guêpe émeraude blatte américaine Ampulex compressa
© Emanuele Biggi Science Source
guêpe émeraude blatte américaine Ampulex compressa
La larve de la guêpe émeraude se nourrit en dévorant de l’intérieur la blatte encore vivante (en haut). Puis elle se tisse un cocon et, à la fin de sa métamorphose, émerge du cocon sous sa forme adulte et sort du corps de la blatte (en bas).© Emanuele Biggi Science Source




Mais chez les biologistes, la guêpe émeraude suscite le respect pour sa remarquable stratégie d’attaque. Dans les années 2000, Frédéric Libersat, de l’université Ben-Gourion, en Israël, et ses collègues – dont le spécialiste des venins Michael Adams, de l’université de Californie à Riverside – ont mené une série d’élégantes études qui racontent une histoire digne de la science-fiction.

Tout commence lorsqu’une guêpe émeraude femelle repère un malheureux cafard. Elle déploie alors une attaque incroyablement précise et élaborée.

La guêpe commence ainsi par immobiliser les pattes avant de sa victime en la piquant une première fois. Ensuite, l’insecte lui injecte la neurotoxine avec une deuxième piqûre dans son cerveau. La guêpe émeraude n’a plus qu’à tirer sa proie et la conduire dans son nid pour la mettre à mort.

Une fois la blatte prisonnière, il ne reste plus à la guêpe qu’à se délecter du sang de celle-ci puis à pondre un œuf sur le corps de son otage avant de s’en servir pour nourrir ses larves.

 

Les blattes ne se laissent pas faire

Ken Catania, professeur de sciences biologiques à l’université Vanderbilt au Tennessee, a mené une étude sur les comportements défensifs adoptés par les blattes. L’étude de Catania consistait à filmer des combats entre les guêpes et les gardons. Il semblerait que ces derniers se dressent et utilisent leurs pattes arrière, dotés d’épines pour frapper la tête de la guêpe et décourager celle-ci à poursuivre son attaque.

Lorsque l’ampulex surprend sa cible et que cette dernière n’a pas le temps d’agir, alors il y a généralement peu de chance que la blatte puisse survivre à l’assaut. Par contre, si celle-ci a le temps de se mettre en position de garde et prévenir les attaques, ses chances de survie se trouvent augmentées.

La vidéo montre que 63 % des blattes adultes réussissaient à se protéger grâce à cette technique de défense. Les plus jeunes, malheureusement, sont plus démunis face à leur adversaire.

En tout cas, cette étude nous montre une nouvelle fois à quel point la nature peut être fascinante et terrifiante à la fois.

 

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature

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