Enquête mycologique, épisode 12, Entoloma saundersii
Publié le 29 Mai 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Avec un sourire jusqu’aux oreilles, notre ami Etienne se présente ce dimanche avec un suspect à la BIC (brigade d’identification des champignons) pour demander leur avis. Etienne est une personne prudente.
Il a personnellement appréhendé ce suspect dans son verger, qu’il nomme « mousseron », et il a hâte de l’’inviter à sa table
D’entrée de jeu, un enquêteur n’est jamais à l’aise pour identifier un champignon à partir d’un unique spécimen, en l’occurrence assez âgé ici. Cette pratique est prohibée au sein de la brigade par le guide interne des procédures qualité d’identification.
Il remarque immédiatement une très agréable odeur de farine émane du spécimen. L’enquêteur vérifie tout d’abord s’il ne s’agit pas du dangereux inocybe de Patouillard. Pas d’odeur fruitée, une chair ne devenant pas rougeâtre à la cassure, ce suspect est déjà exclu. L’odeur de farine rappelle de façon insolente un mousseron mais l’enquêteur reste prudent car un autre gang, celui des entolomes printaniers, rappelle aussi cette odeur. Ces entolomes ont une sporée rose, en principe les lames rosissent avec l’âge. Mais ici le spécimen a de belles lames blanches. Encore un élément qui vient conforter le mousseron. Mais quelque chose ne colle pas. Les lames ne sont pas assez serrées ainsi que cette forme craquelée un peu en cloche du chapeau. Il faut absolument se rendre sur place pour enquêter.
Scène du crime
On est le 16 mai 2021. La scène du crime est un verger, derrière la maison d’un particulier, à Zetting. C’est tout un gang qui pousse sous un prunier, dans un sol visité par des poules, avec des haies d’aubépine à proximité. Et tous possèdent ces lames blanches et une bonne odeur de farine. L’enquêteur suspecte un mousseron, mais ce n’est vraiment pas le portrait robot de ce gang.
Arme du crime
L’enquêteur suspecte immédiatement des champignons saprotrophes mais le doute est permis vu qu’à proximité il y a une haie avec des rosacées telles que l’aubépine.
Profil du suspect
De morphologie classique pied et chapeau, avec des lames. Son profil est plutôt trapu. Les lames sont adnées. L’odeur est fortement farineuse, la saveur douce. Les lames sont blanches, mais pas serrées. À la manipulation, le champignon ne change pas de couleur, la couleur de la chair reste immuable.
Mais, et c’est un mai de taille, ce portrait robot ne concorde pas avec le mousseron. Gardant à l’esprit que s’il subsiste un doute, même infinitésimal, on n’invite pas un suspect à sa table. Tout le gang est mis sous séquestre, la cuisine est fermée et il est fait appel immédiatement au service scientifique.
L’enquêteur ne le répétera jamais assez. Quand on appréhende un champignon, il est indispensable de connaître ses jumeaux pour éviter une erreur judiciaire souvent très lourde de conséquence. L’hypothèse d’un entolome printanier n’est pas tout à fait à exclure.
Empreinte des spores
Le demandeur étant pressé de manger, cette étape n’est pas effectuée pour gagner du temps, mais la patience aidant, elle serait devenue rose
L’examen par la police scientifique
Un examen microscopique des spores montre, et c’est une grande surprise pour l’enquêteur, qu’elles soient polygonales.
baside et spore, microscopie x 1000- Entoloma saundersii (Entolome de Saunders)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Il ne peut pas s’agir d’un mousseron qui a des spores cylindriques. Le doute s’est avéré bénéfique et en investigation fongique, il l’est toujours. Nous sommes bien en présence d’un membre du gang des entolomes printaniers et ce n’est pas une mince affaire que de les identifier.
Les hyphes sont bouclées.
hyphes bouclées microscopies x1- Entoloma saundersii (Entolome de Saunders)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Un examen minutieux des spores, de la présence de boucles dans les hyphes, permet de mettre un nom sur le suspect, l’Entolome de Saunders, Entoloma saundersii, caractérisé par des spores polygonales assez sphériques.
spores microscopie x1000- : Entoloma saundersii (Entolome de Saunders)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)
C’est un champignon rare.
Ironie de la détermination, les lames sont bien devenues roses mais seulement le lendemain.
La brigade contacte le demandeur pour l’informer de l’identité de son suspect : ce champignon est un comestible sans intérêt. Par précaution et au vu de sa rareté, il ne doit pas être invité à table.
Pour conclure, l’enquêteur tient à rappeler qu’un bon identificateur cultive toujours le doute et n’hésite pas à faire appel à tous les outils possibles. Une bonne détermination n’est possible que si on connaît tous les sosies possibles d’un suspect et cette remarque est valable aussi pour le cueilleur. C’est un non-sens et même un danger de ramasser des champignons comestibles si on ne connaît pas parfaitement les sosies toxiques. Combien de fois, lorsque l’enquêteur fait des journées portes ouvertes, ne lui demande-t-on pas si tel et tel champignon se mange ? La règle est pourtant simple. Si on ne connaît pas son identité, si on ne sait pas le décrire avec des critères objectifs et si on ne sait pas décrire ses sosies toxiques, alors non, il ne se mange pas.
Inviter un suspect à sa table est plus qu’un art, c’est une méthode subtile de questionnement et de raisonnement. Elle fait la différence entre le festin et le repas du condamné.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)