Synchronisation des pollinisations chez le chêne
Publié le 15 Mai 2021
Une question très pertinente a été posée sur notre blog par Bernard un lecteur très attentif et fidèle: Je me demande si la fructification des chênes d'une même région a lieu en même temps, ou si c'est un phénomène individuel ? »
Cette question m’a interpelé et j’ai essayé de lui répondre au mieux.
Ma réponse était « oui Ce phénomène souvent circonscrit à une région donnée. Il est appelé "masting".
En fait j’ai appris ce terme suite à sa question en lisant un article excellent sur ce sujet dans la revue scientifique de l’Office National des Forêts. Sa référence est à la fin de ce sujet. Voici une partie de cet article que je vous partage en une synthèse.
Ce phénomène naturel existe chez plusieurs autres arbres et chez de nombreuses espèces animales (insectes, mollusques…). Il consiste à faire synchroniser exactement les dates de floraison ou de rencontre des individus des deux genres pour leur reproduction. Cette manière de faire augmente les chances de reproduction par le nombre et surtout diminue les pertes causées par les prédateurs :
Exemple : les Lucanes cerf-volant, ont un pic de rencontre aux alentours du solstice d’été, le 21 juin au coucher du soleil vers 22 heures. Une date fixe à laquelle s’envolent tous ces insectes d’une espèce multiplie les chances de rencontre. Surtout elle diminue les risques de prédations par les oiseaux et les chauve-souris. Ceux-ci ne peuvent avaler trop d’insectes de ce type en un temps si court. Ils sont repus.
1/ Cette stratégie de reproduction synchronisée permet aux chênes de produire des glandées exceptionnelles certaines années.
La saturation des sols par les glands permet d’améliorer les succès de germination. Ce résultat a été prouvé par des études scientifiques. Les glandées peu productives qui ont précédé une glandée massive ont maintenu les prédateurs à un faible niveau de population. Les individus peu nombreux ne peuvent contaminer tous les glands ou consommer toute la glandée massive qui arrive de plus de manière imprévisible. Ils subissent ainsi un effet de satiété.
Les ravageurs habituels des glands sont les champignons, charançons, coléoptères, papillons. De même, les mammifères friands des glands : rongeurs comme écureuils, loirs, mulot s, sangliers, chevreuils, cerfs et les geais des chênes ne peuvent tout avaler..
Dans les pays à châtaigniers, de tels phénomènes alternatifs ont provoqué autrefois des famines agricoles. Les espèces actuelles de châtaignier ont des productions plus régulières et la nourriture est bien plus variée.
2/ Rappel des caractéristiques des fleurs de chênes :
Les chênes sont monoïques (du grec, mono - oicos = une maison) . Ce nom est donné aux plantes qui possèdent sur un même plant des fleurs mâles et femelles.
Au contraire , les saules par exemple sont dioïques. Il existe des pieds mâles et des pieds femelles. La reproduction doit pour la survie de l’espèce éviter les tares génétiques, favoriser le mélange des gênes. Cette règle est très présente et très générale chez toutes les espèces vivantes. Pour cet objectif, différentes stratégies sont développées comme une maturation différée des organes mâles et femelles ou une incompatibilité physique sur un même individu « grains de pollen mâles-stigmates femelles ». Cette dernière est dénommé « allogamie ». Les chênes sont des allogames stricts ce qui permet un meilleur brassage des gènes et une meilleure adaptation et survie de cette espèce.
3/ Théorie sur les contions météo pour expliquer le masting
Selon cette théorie, les conditions météorologiques joueraient un rôle fondamental. Cela explique la synchronisation locale par similarité de température, de vent et de précipitations. Elle est de plus ou moins grande étendue. Le territoire concerné peut concerner des distances sur des centaines de km mais aussi des milliers de km comme le Chêne de Douglas, Quercus douglasii, ou le Chêne blanc , Quercus lobata, en Californie. La synchronisation diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’un point donné. Ceci parait logique puisque les conditions météo vont être de plus en plus différentes..
Des températures élevées en avril associées à de faibles précipitations améliorent la pollinisation et les chances de fortes glandées. La chaleur est un facteur dispersif du pollen surtout quand elle est associée à du vent. Les pluies au contraire entrainent le pollen au sol et diminuent les chances de fécondation.
4/ Théories sur la pollinisation croisée et les ressources
Dans cette théorie le pollen disponible serait le facteur limitant pour les fortes glandées. Les chercheurs américains ont montré qu’un ajout de pollen sur un arbre améliorait sa production de glands. Si on fait cet ajout deux années de suite l’ajout ne provoque pas une glandée aussi forte. Ceci proviendrait d’un épuisement des ressources de l’arbre. Pour produire des fleurs, du pollen et des glands l’arbre doit constituer des réserves dans ses racines et ses vaisseaux. Ceci expliquerait qu’un certain nombre d’années soit nécessaire pour obtenir une glandée exceptionnelle. En lien avec cette théorie, un arbre non synchrone ne trouvera pas beaucoup de pollen pour féconder ses fleurs et obtenir des glands. Ses populations seront en retrait par rapport aux individus plus synchrones et au meilleur succès germinatif. Les recherches ne sont pas abouties pour valider ces deux théories.
5/ Importance des glandées exceptionnelles ;
Les glandées ont aussi un effet inattendu sur la maladie de Lyme. Vous savez que le cycle de vie des tiques passe par les rongeurs avant les cervidés. Les rongeurs vont profiter de la forte glandée. Ils vont avoir un meilleur taux de reproduction et de survie. Ils seront plus nombreux l’année qui suit une forte glandée. Ils vont contaminer les cervidés, le vecteur principal. Nos forêts seront alors infestées de tiques. Bien connaitre ces interactions et cycles devrait permettre de diminuer cette plaie qu’est la maladie de Lyme.
Ces glandées ont un meilleur succès germinatif. L’exploitant forestier profite aussi de ces glandées pour ramasser des glands dans des parcelles sélectionnées pour leurs beaux sujets. Ramasser des glands quand il y en a très peu ou qu’ils sont tous déjà habités par des prédateurs est inefficace et peu économique. L’ONF constitue des réserves de glands ces années de fortes glandées. Il suit donc de près l’évolution sur les arbres des quantités de fruits. Des sites témoins sont visités de façon standardisée par des agents forestiers tout au long de leur fructification. La glandée hors norme n’est connue que vers le mois de septembre pour une récolte fin octobre début novembre. L’exercice est difficile en termes d’organisation de ramassage puis de tri, calibrage, séchage, calibrage, entreposage des semences.
Vous remarquerez qu’en 35 ans pour le Chêne pédonculé, la vallée du Rhin n’a eu que deux années de glandées exceptionnelles, 3 années de glandées faibles, et 30 années sans glandée.
A l’opposé pour le Chêne sessile, la vallée de la Loire a eu 17 glandées exceptionnelles, 7 faibles et 12 années sans glandée.
Conclusion :
Une meilleure connaissance des pollinisations et glandées exceptionnelles permettrait d’améliorer la gestion de la forêt, de la récolte des glands et de la maladie de Lyme liée aux tiques.
Texte et photos Roland Gissinger (Anab)
Schémas ONF
Bibliographie
https://prosilva.fr/files/brochures/brochure_Comprendre_les_glandees.pdf
https://www.onf.fr/+/140::rendez-vous-techniques-de-lonf-no-50.html
http://bgf.gip-ecofor.org/wp-content/uploads/2020/08/BGF_PotenChene_SyntheseFinale.pdf