Enquête mycologique, épisode 13, Mycena niveipes

Publié le 13 Juin 2021

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.

Après sa dernière enquête bouclée avec le gang des entolomes printaniers, l’enquêteur de la BIC (Brigade d’identification des champignons) avait bien mérité un peu de repos. C’est par une belle journée printanière qu’il se promenait dans une pelouse sèche afin d’admirer quelques belles orchidées. Son attention a tout d’un coup été attirée par 3 petits champignons blanchâtres d’environ 10 cm de haut qui trônaient fièrement dans la pelouse. Nul doute, une nouvelle enquête débutait

Mycena niveipes- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Mycena niveipes- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Scène du crime

 

On est le 16 mai 2021 à Sarreinsming, sur une pelouse sèche. Les 3 exemplaires sont au sol, grégaires. Il avait plu les jours d’avant, conditions propices pour que les gangs pointent leur chapeau. On note la présence de petits arbustes dont des aubépines.

 

Arme du crime

 

En prélevant délicatement le champignon avec l’intégralité de son pied (l’enquêteur insiste sur l’importance d’avoir également la base du pied), le spécimen présente des débris à sa base dont un peu de bois. C’est un élément qui oriente l’enquêteur vers un champignon saprophyte, donc décomposeur de matières organiques.

 

Profil du suspect

 

L’enquêteur, en observant ce champignon de petite taille, fragile, avec une silhouette grêle et élancée, pense tout de suite à un champignon de morphologie mycénoïde et peut être un membre du genre Mycena. Les lames sont adnées, avec la présence de lamelles, un chapeau en forme de cloche. L’arête des lames n’est pas d’une couleur différente. Aucun lait ne s’écoule à la cassure. Pas d’éléments de voile, de pruine ou de mèches présents sur le chapeau ou le pied. La base du pied n’est pas bulbeuse ou radicante. Le pied est satiné et l’odeur difficile à caractériser, mais pas de radis ou de chlore comme beaucoup de mycènes. La saveur est d’abord douce puis légèrement amère.

A ce stade, l’expérience de l’enquêteur l’oriente vers le mycène en casque (Mycena galericulata) mais des détails de taille ne colle pas : l’apparition précoce au printemps, cette odeur complexe. Très intrigué, il va falloir solliciter la police scientifique pour lever le mystère. Le spécimen en attendant est placé en garde à vue.

 

Empreinte des spores

 

La sporée est blanche, ce qui va dans le sens d’un mycène. Le chef de la police scientifique nous explique qu’il fait toujours la sporée sur une lame de microscope, ce qui permet de rassembler ensuite les spores avec une lame de rasoir et de pouvoir les mettre directement sur le microscope. Argument de taille aussi, les spores déposées sont mûres, donc représentatives pour effectuer une identification

 

Sporée de Mycena niveipes- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Sporée de Mycena niveipes- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

L’examen par la police scientifique

 

Là aussi une méthodologie s’impose.

- d’abord tester la coloration des spores avec le réactif de Melzer. Si les spores se teintent de bleu noir, on dit qu’elles sont amyloïdes. Si elles se teintent de brun rouge, elles sont dextrinoïdes. Souvent aussi, elles ne prennent aucune couleur. C’est un critère important dans l’identification de nombreuses espèces. Ici elles sont légèrement amyloïdes.

 

Spores microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Spores microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

- examiner la forme des spores, l’ornementation et calculer les dimensions

- observer la forme des basides

Baside microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Baside microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

- observer la présence ou pas de cheilocystides. Ce sont des cellules stériles spécialisées et situées sur l’arête des lames. Elles sont ici abondantes, de forme fusoïde ventrue avec au sommet un col assez long. Rien que cette observation indique à l’enquêteur que l’hypothèse d’un mycène en casque est à rejeter.

Cheilocystides microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Cheilocystides microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

- observer la présence ou pas de pleurocystides. Ce sont des cellules stériles spécialisées et situées sur le rebord des lames. Elles sont ici rares et de même morphologie que les cheilocystides

Pleurocystide microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Pleurocystide microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

- d’autres examens complémentaires peuvent être nécessaires comme la présence de cystides sur la cuticule du chapeau (pileocystides) ou le pied (caulocystide), la structure des hyphes de la cuticule du chapeau et du pied, un séquençage génétique.

 Hyphes de la cuticule microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

Hyphes de la cuticule microscopie x1000- Photo : Gilles Weiskircher (Anab)

- l’usage d’une clé de détermination spécialisée et disponible dans une monographie consacrée au genre

 

Après examen, la police scientifique conclut que le spécimen est le mycène à pied blanc, Mycena niveipes (Murrill) Murrill, 1916. C’est pour l’enquêteur une découverte exceptionnelle car dans la littérature ce champignon est considéré comme rare. Sa garde à vue est immédiatement levée.

Le gang des mycènes, de façon générale, contient près de 300 espèces en Europe. C’est un gang très important, complexe à identifier et en remaniement taxonomique.

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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R
Décidément...cet enquêteur est incollable et tout champignon incontournable pour lui. Bravo !
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G
Merci Rose
R
Merci Gilles de cette nouvelle enquête, détaillée et passionnante avec des illustrations toujours parfaites et inedites
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G
Merci Roland d'apprécier