Coulemelle et autres grandes lépiotes : ce qu’il faut retenir

Publié le 21 Juillet 2021

La coulemelle (Macrolepiota procera) est un champignon comestible (du moins le chapeau, le pied étant trop coriace) très connue du grand public et paradoxalement celui qui est certainement le plus mal identifié. Il y a près de 80 noms vernaculaires pour nommer ce champignon, baguette de tambour, etc., ce qui témoigne de sa popularité. Et partout, chaque année plusieurs intoxications surviennent chez des personnes croyant à tort avoir consommé ce champignon.

L’objet de cet article est de mieux cerner ce groupe difficile, de passer en revue et de discuter certaines idées reçues sur la coulemelle et de proposer une clé de détermination simple pour toutes ces grandes lépiotes. Cet article s’adresse au curieux, au cueilleur.

 

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une lépiote et une grande lépiote (ou macrolépiote) ?

 

Lépiote est un nom vernaculaire qui regroupe plusieurs genres de champignons comme les Lepiota, Macrolepiota et Chlorophyllum pour citer les principaux. Lépiote vient d’un terme du grec ancien signifiant petites écailles. En effet, beaucoup d’espèces ont des écailles (ou mèches) sur le chapeau. Attention à ne pas confondre ces écailles avec les flocons qu’on peut trouver sur le chapeau des amanites. Quand on veut retirer une mèche du chapeau, souvent la peau du chapeau part avec; la mèche est partie intégrante du chapeau, au contraire des flocons qui sont un reste du voile général et qui se retire facilement du chapeau avec le doigt, sans blesser le chapeau.

Les lépiotes sont aussi des champignons saprophytes, avec des lames blanches et libres, une sporée majoritairement blanche, avec des restes de voile partiel (anneau et lambeaux sur la marge du chapeau) et sans volve.

 lames libres de Chlorophyllum rhacodes. Observez sur l’arête des lames la coloration brunâtre, indiquant la présence de cheilocystides - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

lames libres de Chlorophyllum rhacodes. Observez sur l’arête des lames la coloration brunâtre, indiquant la présence de cheilocystides - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Quand on a un doute sur l’insertion des lames, faire une coupe longitudinale. - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Quand on a un doute sur l’insertion des lames, faire une coupe longitudinale. - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Parmi ces lépiotes, certaines espèces sont très grandes, 15 cm et plus de hauteur, on les appelle couramment des macrolépiotes.

 

1ʳᵉ affirmation : il ne faut pas consommer de petites lépiotes, en dessous de 15 cm de hauteur. OUI, mais il faut nuancer

 

Effectivement, parmi les petites lépiotes se trouvent des espèces très dangereuses, contenant la même molécule que celle de l’amanite phalloïde, donc mortelles. Ce sont toutes de petites lépiotes, de quelques centimètres de haut. On ne les consommera effectivement pas.

Néanmoins, on trouve aussi des macrolépiotes toxiques, par exemple la lépiote vénéneuse (Chlorophyllum brunneau) qui est pourtant une grande lépiote. Notez à ce stade que la coulemelle, comestible, est le genre Macrolepiota et que la lépiote vénéneuse est le genre Chlorophyllum. On verra la différence entre ces deux genres.

 

2ᵉ affirmation : la coulemelle a un anneau qui coulisse. OUI mais il n’y a pas qu’elle et ce critère n’est pas pertinent.

 

Effectivement, la coulemelle possède ce critère, mais il n’y a pas qu’elle. D’autres macrolépiotes possèdent ce critère. Il n’est donc pas suffisant et d’ailleurs n’est pas utilisé dans les clés de détermination.

 

3ᵉ affirmation : la coulemelle a un pied zébré ou chiné. OUI, mais il n’y a pas qu’elle

 

Effectivement, la coulemelle possède ce critère, mais il n’y a pas qu’elle. D’autres macrolépiotes possèdent ce critère. Il n’est donc pas suffisant, mais il est déjà bien plus sécuritaire que les deux affirmations précédentes.

 

Moralité de tout ça : il ne faut jamais se contenter d’un seul critère quand on identifie un champignon et surtout pas avec les macrolépiotes.

 

Clé synthétique de détermination des macrolépiotes les plus communes

 

Avertissement préalable : cette clé ne se veut pas exhaustive mais inclut les critères macroscopiques des grandes lépiotes les plus fréquentes. Elle est basée sur les travaux de Gernot Friebes et son article « Die Gattungen Chlorophyllum und Macrolepiota) dont la référence de l’article se trouve à la fin de cet article et que j’ai traduit pour réaliser cette clé synthétique.

 

1. À la coupe, la chair est rougissante. Le pied est lisse, sans zébrures……………………………………………….Genre Chlorophyllum

1’. A la coupe, la chair n’est pas rougissante et le pied est zébré. Si jamais elle rougit, le pied dans ce cas n’est pas lisse…………….Genre Macrolepiota

Pied zébré de Macrolepiota procera- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Pied zébré de Macrolepiota procera- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Discussion : le premier critère de détermination est la couleur de la chair après coupe et un examen du pied pour voir s’il est lisse ou zébré.

 

Le genre Chlorophyllum (pied lisse sans zébrures et chair nettement rougissante)

 

1. La couleur de sporée et des lames âgées est verdâtre……………………………….C.molybdites

1’ La couleur de sporée et des lames âgées n’est pas verdâtre………………………...2

2. La couleur des écailles du chapeau contraste à peine avec la couleur de fond du chapeau. La couleur du chapeau est brun olive à brun gris. La carpophore est globalement sombre. Il pousse principalement dans les forêts, feuillus ou résineux………………………..C. olivieri

2’. La couleur des écailles du chapeau contraste fortement avec la couleur de fond du chapeau (brun à brun foncé sur fond clair. Il pousse principe dans des lieux sous influence de l’homme (jardin, parc, tas de compost, etc.) ou des sols riches en nutriments………..3

3. La base du pied est bulbeuse, comme un oignon. Ce bulbe n’est pas marginé. L’anneau est double, épais. Les cheilocystides sont en forme de ballon……………………...C. rhacodes

Cheilocystides en forme de ballon de C.rhacodes. Microscopie x1000,rouge Congo SDS- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Cheilocystides en forme de ballon de C.rhacodes. Microscopie x1000,rouge Congo SDS- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Anneau double et épais de C. rhacodes- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Anneau double et épais de C. rhacodes- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

3’. La base du pied est bulbeuse, mais la base du bulbe est émarginée, souvent entourée de terre. L’anneau est simple et mince. Les cheilocystides sont en forme de massue………….C. brunneum

Pied bulbeux avec marge et terreux de C. brunneum. Observez également le rougissement de la chair- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Pied bulbeux avec marge et terreux de C. brunneum. Observez également le rougissement de la chair- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Détail du pied avec marge de C.brunneum- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Détail du pied avec marge de C.brunneum- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Discussion : C. rhacodes est connue sous le nom de lépiote déguenillée et est considéré comme comestible. Au contraire de C. brunneum, la lépiote vénéneuse, à l’origine d’intoxications. Personnellement, je déconseille la consommation de ces deux lépiotes à chair rougissante pour deux raisons : d’une part il faut avoir l’œil exercé pour les distinguer, d’autre part elles poussent dans des milieux riches et anthropisés, milieu n’étant pas propice à la consommation de champignons avec l’accumulation de polluants.

Microscopiquement, les spores de ce genre sont plus ou moins dextrinoïdes dans le Melzer et le pore germinatif, pas évident à visualiser, ne présente pas de cal.

Spores dextrinoïdes de Chlorophyllum rhacodes. Microscopie x1000, Melzer- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Spores dextrinoïdes de Chlorophyllum rhacodes. Microscopie x1000, Melzer- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Le genre Macrolepiota (chair non nettement rougissante ou sinon, nettement rougissante ET pied avec zébrures)

 

1. L’anneau est épais, souvent rembourré, avec un bord plus ou moins frangé, généralement double, complexe, avec un sillon…….2 Section Macrolepiota

1’. L’anneau est simple, fin et membraneux……………………………………. 6 .Section Macrosporae

2. La chair, après blessure ou pression ou coupure, se colore dans des teintes rougeâtres ou verdâtres………..3

2’. La chair, après blessure ou pression ou coupure, ne se colore pas dans ces teintes, au mieux dans une teinte brunâtre…….5

3. Le carpophore a des couleurs dans les tons verdâtres………………… M. olivascens (espèce montagnarde et nordique)

3’. Le sporophore n’a pas de tonalités verdâtres dans ses couleurs…………….4

4. La chair rougit nettement. Le chapeau a des couleurs aux teintes rouge-brun à Bordeaux………………...M. procera forme permixta

4’. Le rougissement de la chair n’est pas évident, seulement lorsqu’on gratte la chair dans le pied. La couleur du chapeau n’a pas de tons rougeâtres…………..M. procera forme fuliginosa

 

 

5. Les écailles semblent libres, faciles à enlever, avec les bords relevés………………..M. rhodosperma

5’. Les écailles sont bien attachées au chapeau, en touffe………………………………...M. procera forme procera

6. le chapeau a un mamelon saillant, formant une belle bosse. Les écailles du chapeau sont petites et nombreuses…...7 M. mastoidea et ses diverses morphologies

6’. Le mamelon du chapeau n’est pas évident à identifier. Les écailles sont grossières et disposées en étoile……. M. excoriata

Macrolepiota excoriata. Observez l’anneau fin et simple- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Macrolepiota excoriata. Observez l’anneau fin et simple- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

7. Les écailles sont de couleur brun foncé et grossière………………………………………….M. konradii

Macrolepiota konradii. Observez le mamelon saillant et les écailles grossières- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Macrolepiota konradii. Observez le mamelon saillant et les écailles grossières- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

7’. Les écailles sont plutôt fines. La morphologie du champignon est élancée………………. M. rickenii

 

Discussion : on voit que la détermination d’un Macrolepiota n’est pas chose facile et qu’il faut observer la couleur de la chair, la couleur du chapeau, la forme de l’anneau et la morphologie des écailles. Le critère de coulissage de l’anneau n’apporte rien dans la détermination.

Dans ce genre, il y a ceux à pied nettement zébré (dont Macrolepiota procera) et ceux où le pied est peu ou pas du tout chiné. Mais et c’est un mais important, dans ce cas la chair n’est pas rougissante.

Microscopiquement, les spores de ce genre sont  dextrinoïdes dans le Melzer et le pore germinatif présente un cal.

 

En conclusion.

 

Identifier une coulemelle n’est pas chose aisée de prime abord. On croit la connaître mais finalement on a vite fait de la confondre avec une autre grande lépiote. Heureusement, parmi ces grandes lépiotes ne se trouvent aucune espèce mortelle mais personne n’est à l’abri d’une mauvaise digestion.

En face d’une grande lépiote, observez toute de suite le pied, s’il est chiné, l’anneau, s’il est complexe et double et faite une coupe du champignon pour voir si la chair ne rougit pas de suite. Si ces 3 critères sont simultanément réunis (le terme de simultané est important), vous évitez déjà les espèces du genre Chlorophyllum et le plus difficile est accompli dans la détermination et le risque d’intoxication éloigné. Il y a toujours des exceptions en mycologie, par exemple la forme permixta de Macrolepiota procera qui rougit nettement mais néanmoins son pied est zébré, ce qui n’est pas le cas des Chlorophyllum.

 

 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)



 Sources :

- Gernot Friebes. Über die komplizierte Gruppe der Safran-und Riesenschirmlinge : Die Gattungen Chlorophyllum und Macrolepiota (Août 2013)

- Thomas Laessoe et Jens H. Petersen. Les champignons d’Europe tempérée volume 1, Biotope éditions, 2019

- Guillaume Eyssartier. Champignons, tout ce qu’il faut savoir en mycologie. Éditions Belin, 2018

 

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons, #Biodiversité de notre région

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M
Bonjour Gilles.<br /> Bonjour à tous. <br /> Belle démonstration. <br /> J'avais une question de vocabulaire. Un peu de natation entre écailles et mèches. Parfois on lit méchuleux ou écailleux. Or il s'agit toujours de la cuticule qui se déchire. Eh bien le problème est résolu. Merci Gilles.<br /> Martineke.
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W
Merci Martineke
G
Et je rajouterai qu'une bonne méthodologie est une garantie certaine de ne pas s'intoxiquer. C'est celle que j'enseigne lors de mes interventions et que je décline et transmet dans les articles des enquêtes de la brigade d'intervention des champignons
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G
Bonjour Christian et Bernard,<br /> Ce n'est jamais un tort de se méfier des champignons, bien au contraire.<br /> J'entends vos propos de l'expérience néanmoins ce terme peut tout dire ou rien dire.<br /> Se baser sur son expérience, bien évidemment si on est capable d'expliquer ses critères de détermination, justifier par des éléments observables et objectifs. Sinon ça reste de l'empirisme, dangereux en identification.<br /> Je rencontre beaucoup de cueilleurs qui n'ont comme seul argument que le classique "ça fait 30 ans que je le ramasse" Ce n'est évidemment pas satisfaisant.<br /> D'autant que l'expérience également ne se met pas à jour automatiquement comme les guides d'identification sur les aspects toxicologiques. <br /> Également, l'exemple de la coulemelle est assez parlant car beaucoup d'espèces ont été confondues autrefois et même dans la communauté des mycologues.<br /> En conclusion, l'expérience oui est un des outils du cueilleur mais qui ne saurait se suffire à lui même. Maintenir ses connaissances à jour, ne pas rester sur ses acquis, sont essentiels en mycologie comme dans toute science.<br /> Toutes mes amitiés
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C
Bonjour,<br /> Je ne suis pas mycologue et me suis toujours méfié des champignons ,certainement à tort.<br /> J'ai toujours craint de ramasser une amanite panthère pour une petite coulemelle.<br /> C'est vrai ,comme le dit justement Bernard, l'expérience est capitale.
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B
article complexe mais salvateur quand aux identifications trop rapides et risques d'erreurs.<br /> Rien ne remplace l'expérience.
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