Enquête mycologique, épisode 17, Les russules
Publié le 31 Juillet 2021
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Après plusieurs jours de pluie où la brigade d’identification des champignons a été particulièrement sollicitée, le soleil est enfin revenu. Profitant d’une accalmie à la brigade, l’enquêteur a convié les journalistes dans les locaux de la brigade pour une interview spéciale sur un gang très emblématique, les russules. L’objectif de cette interview est de donner les clés au curieux pour appréhender ce gang.
Pourquoi avoir choisi de parler des russules ?
D’emblée les russules fascinent. Avec leur palette de couleur de chapeau, rouge, vert, violet, jaune, etc., ces champignons ne passent jamais inaperçus. De plus, ils sont généralement les premiers à apparaître, surtout en automne. Par conséquent, les russules ne laissent jamais insensibles.
Comment définir une russule ?
La russule est déjà un champignon de morphologie classique, avec un pied et un chapeau. Ce sont des champignons à lames. Les lames ne sont pas libres, elles touchent donc le pied, ce qui les différencie d’autres groupes comme les amanites par exemple. Il n’y a pas de volve ou d’anneau ou d’autres ornements sur le pied et le chapeau.
Les russules forment également des mycorhizes, donc une association à bénéfice réciproque avec les arbres. Leur couleur de sporée varie du blanc jusqu’au jaune foncé. Enfin, et c’est une caractéristique importance, leur chair n’est pas fibreuse mais dite grenue. Faites l’expérience et prenez un pied de russule. Si vous le tordez, il va casser net en deux, comme une craie. Les autres champignons n’ont pas cette particularité. En effet, la chair des russules possède des cellules rondes qui donnent cette particularité. Seul un autre groupe possède cette particularité, les lactaires. Et ce n’est pas un hasard puisque les lactaires appartiennent à la même famille que les russules. Cependant les lactaires excrètent du lait, ce qui n’est pas le cas des russules. C’est ce qui permet de les distinguer.
Rien qu’en Europe on distingue près de 250 espèces de russules. C’est un immense groupe et certains enquêteurs sont spécialisés dans ce groupe
Avec leur couleur particulière, ça doit faciliter l’identification ?
Détrompez-vous, ce n’est absolument pas ce critère qu’il faut considérer. L’amateur est toujours tenté de comparer son spécimen avec les photos de son guide. C’est une très mauvaise pratique, dangereuse et qui peut avoir des conséquences dramatiques. Les russules ont effectivement des pigments dans leur chapeau, mais ces pigments peuvent se mélanger, peuvent se diluer si de l’eau stagne sur le chapeau. Certains spécimens peuvent même ne pas avoir de pigment et chez d’autres espèces il peut même exister des formes jaunes. En bref, ce n’est pas avec la couleur du chapeau qu’on détermine une russule.
Mais alors, comment on aborde une russule ?
Comme toujours avec méthodologie, en répondant à des questions dans un ordre bien précis.
Deux critères sont déjà fondamentaux :
- la couleur de la sporée : elle va du blanc ou jaune foncé. Quelquefois, la couleur des lames donne une indication mais ça ne fonctionne pas pour les sujets jeunes. Pour faire la sporée, il suffit de prendre un chapeau et de le poser sur une lame de verre. Au bout de 6 heures, on obtient la couleur de sporée. Les enquêteurs utilisent un code couleur qui va de I (sporée blanche à crème) jusqu’à IV (sporée jaune). Ce tableau des couleurs se trouve dans n’importe quel bon guide.
- la saveur : les russules ont une saveur soit douce, soit amère/piquante. Évidemment, pour cela il faut goûter un morceau de chair, en n’oubliant pas de recracher après le morceau. Il n’y a absolument aucune crainte à avoir. Un champignon n’intoxique que si on l’avale, pas si on le recrache. En tout cas, cette manipulation est indispensable.
Après ces deux critères, il faut noter les points suivants pour affiner la détermination :
- le lieu de pousse : sol plutôt acide ou calcaire, quels arbres en présence
- l’odeur : certaines russules ont une odeur de pomme, d’autres de crustacés. Il y a une formidable palette d’odeur chez les russules. Il faut donc avoir un bon nez pour identifier une russule
- la couleur de la chair quand on coupe le champignon. Certaines russules noircissent à la manipulation.
Une fois tous ces éléments notés, on a assez d’éléments pour proposer une hypothèse de détermination.
Mais quelquefois, pour aller plus loin, il faut faire appel à la police scientifique.
Quels autres éléments sont à prendre en compte si on veut aller plus loin dans la détermination ?
On utilise souvent pour les russules des réactifs pour confirmer ou affiner une détermination. Deux réactifs sont particulièrement utilisés, le Gaïac et le sulfate de fer. Selon la coloration qu’ils formeront sur le pied et les lames, on pourra apporter des éléments supplémentaires sur l’identification.
Ces réactifs se commandent très facilement dans n’importe quelle association mycologique.
La microscopie également est importante. Les spores des russules sont généralement ornées d’un réseau et de verrues. Leur observation donne des éléments.
La peau du chapeau est également importante à observer. Certaines russules ont dans cette peau des cellules particulières, les dermatocystides, de forme variée, mais aussi des poils de forme variés. Les dermatocystides sont les structures qui donnent à la peau du chapeau son aspect satiné.
Dermatocystides en massue chez Russula decipiens. Microscopie x1000 - Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Et pour conclure sur les russules
Malgré leur apparente simplicité, c’est un groupe qui est tout sauf simple. Néanmoins, une bonne méthodologie permet de les aborder correctement. L’usage d’un guide à jour est évidemment indispensable. À cet effet, je recommande le guide Eyssartier et Pierre Roux, édition 4. Le gang des russules est vraiment magnifique à observer et il est important de rappeler leur rôle fondamental dans l’écosystème forestier
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)