Les microbes de l’enfer

Publié le 10 Juillet 2021

Paru sur canalacadémies
transmis par Christian

Patrick Forterre décrypte les origines de la vie dans l’eau bouillante, avec la découverte de microbes frigorifiés en dessous de 70°C, qu’ils soient nichés dans les geysers ou à proximité des cheminées par 3000 mètres sous terre.

Bactéries thermophies et hyperthermophiles- Ces sources sont peintes en vert, jaune, ocre et bleu par des miénraux et des myriades de micro-organismes

Bactéries thermophies et hyperthermophiles- Ces sources sont peintes en vert, jaune, ocre et bleu par des miénraux et des myriades de micro-organismes

Dans les années 1970, une découverte de taille est faite par Thomas Brock à Yellowstone : non seulement il existe des microbes thermophiles, mais aussi des microbes hyperthermophiles qui résistent à une température supérieure à 80°C alors que l’on pensait jusqu’à présent que toute forme de vie était impossible au-delà de 70°.
Ce constat semblait d’autant plus valable que la pasteurisation qui consiste à stériliser un produit se fait à 80°C.
Ont ainsi été découverts :
- 1967 : thermus aquaticus (78°C)
- 1972 : sulfolobus acidocaldarius (85°C)

 


Parallèlement, à cette même période, Carl Woese découvre en 1977 que les bactéries méthanogènes que l’on trouve dans les marais et qui provoquent des feux follets, sont assez éloignées de toutes les autres bactéries (leurs empreintes génétiques sont très éloignées de tous les autres eucaryotes).
Il choisit alors de créer un troisième groupe d’êtres vivants après les eucaryotes et les bactéries, les « archéobactéries ». Woese montre un deuxième groupe d’archée, qui résiste aux milieux hyper salés (halobacterium, halobium) en 1979, un troisième groupe, ceux qui résistent à une grande acidité : les thermoacidophiles. Ils sont alors au nombre de deux : thermoplasma acidophilum, et sulfolobus acidocaldarius)
Ce troisième groupe est aujourd’hui appelé ARCHEE.

Dans les années 1980, Karl Stetter et Wolfran Zellig font un triple pari : trouver des microbes plus thermophiles. Il doit s’agir d’archées anaérobie (ne supportant pas l’oxygène).
En 1982, ils découvrent en effet Pyrococcus furiosus qui a pour température de croissance 103°C, dans un volcan près de Naples. À 90°, ce même microbe est frigorifié !

Les microbes hyperthermophiles à l'origine de la vie ?
Carl Woese et Karl Stetter font alors une hypothèse : et si la vie elle-même était née à haute température ? Et si les hyperthermophiles étaient directement issus des premières cellules qui ont peuplé notre planète ?

Sur cette question, les scientifiques sont encore aujourd’hui très partagés. Patrick Forterre pense que les microbes hyperthermophiles sont le résultat d’une évolution, et non pas la base même de la vie. Mais les arguments des deux parties peuvent être discutés.

Les fumées émises par les "fumeurs noirs" sont composées de fluide hydrothermal presque pur et sont très riches en hydrogène sulfuré. La température des fluides émis varie de 300 à 400 °C
© Ifremer

Le deuxième chapitre du livre de Patrick Forterre, Microbes de l’enfer, reprend deux carnets de bord de chasseurs d’hyperthermophiles dont celui d’Evelyne Marguet ingénieur au CNRS, qui participe en 1999, à l'expédition Amistad dans la dorsale du Pacifique Est.
Elle descend avec le sous-marin Nautile, à 2000 mètres de profondeur et réussit à prélever des microbes à proximité de fumeurs noirs qui rejettent des gaz à 300°C ; ces microbes « mangent de la pierre et boivent du gaz » !

À quoi les hyperthermophiles peuvent-ils nous servir ?
Les microbes de l’enfer doivent une partie de leur célébrité actuelle à l’utilisation d’une de leurs enzymes, l’ADN polymérase de Thermus aquaticus.
Cette enzyme est en effet capable de supporter les chocs de température à 90°C qu’implique la méthode d’amplification.
Dans le domaine de la biotechnologie, il permet de reconstituer l'ADN d'un individu à partir d'un cheveu, d'un fragment de peau. Ce procédé est utilisé depuis vingt année par les services de police.

Dans le domaine industriel, les protéines classiques sont remplacées par des protéines isolées de microbes hyperthermophiles. Celles-ci ont l’avantage d’être résistantes aux solvants et à d'autres produits chimiques.

Microbes de l'enfer et lutte contre le cancer
Les protéines hyperthermophiles sont plus faciles à analyser aux rayons X, certainement parce qu’à « basse » température, elles forment de plus beaux cristaux que leurs sœurs mésophiles.
De ce fait il est possible depuis peu d’accentuer les recherches sur les protéines hyperthermophiles, très résistantes, et d’appliquer ensuite ses résultats aux mésophiles.
Cette méthode va permettre d'accélérer nos connaissances en matière de structure de certaines protéines humaines impliquées dans l’apparition de cancers.

 

Patrick Forterre, directeur du département de microbiologie de l’Institut Pasteur


Emission téléchargeable (42 minutes)
Écoutez les explications détaillées de Patrick Forterre, professeur d'université Paris-Sud 11, membre de l'Institut universitaire de France et directeur du département de microbiologie de l'Institut Pasteur.
Patrick Forterre est responsable de l'équipe de recherche «Biologie moléculaire du gène chez les "extrêmophiles"» à l'Institut de génétique et microbiologie d'Orsay et à l'Institut Pasteur à Paris

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature, #Biodiversité hors région

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