Enquête mycologique, épisode 19, Thelephora palmata

Publié le 14 Août 2021

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.

 

Le début du mois d’août est décidément comme celui de juillet, pluvieux. Alors que notre enquêteur faisait une promenade dans les prairies alluviales, sa curiosité l’a entraîné dans un boqueteau d’épicéa. L’enquêteur était loin à ce moment d’imaginer qu’il allait faire une étonnante rencontre.

 

Scène du crime

 

Nous sommes le 5 août 2021, dans un boqueteau d’épicéa, à Zetting. À quelques mètres, la Sarre coule nonchalamment, sous le regard impassible de cygnes de passage. La ripisylve commence à se parer des fruits du cornouiller sanguin et des viornes. Dans ce boqueteau d’épicéa, les arbres sont assez serrés, un agaric unique à la lisière veille sur l’entrée. C’est au sol que l’enquêteur tombe nez à nez avec un champignon à la morphologie surprenante.

Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées   - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Arme du crime

 

Le champignon pousse au sol et on est ici en présence d’un champignon mycorhizien, dont le mycélium réalise une association avec les racines des arbres. Pour ces champignons, c’est très difficile de caractériser leur façon de se nourrir.

 

Profil du suspect

 Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées - Photos Gilles Weiskircher (Anab)
 Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

La morphologie du champignon est dite ici en forme de corail, ce qu’on appelle de façon générale les clavaires. Ce n’est absolument pas une mince affaire pour les identifier et, à de rares exceptions près, l’usage du microscope est inévitable. C’est un groupe qui donne des sueurs même aux mycologues confirmés. Et même encore, le microscope ne permet pas quelquefois de conclure. Ils peuvent avoir tous les modes de vie, aussi bien mycorhizien que saprophyte. Néanmoins, quelques observations sont à effectuer :

- la consistance de la chair : cireuse, coriace, visqueuse, etc. La chair est ici coriace

- la présence de ramifications au bout des branches : elles sont ici absentes et surtout les rameaux sont plats et pas circulaires

- le biotope

- l’odeur : elle est ici très importante. Notre spécimen a, selon l’âge, une odeur allant du chou pourri jusqu’au camembert qui est resté 6 mois après la date limite de consommation à température ambiante, faisant pâlir de jalousie olfactive toute chaussette usagée dans un état de fermentation avancée. En bref, il sent très mauvais et c’est une de ses marques de fabrique.

 

La couleur de sporée

 

Elle est essentielle pour avancer dans la détermination de ce groupe. Elle est brune

 

Avec tous ces éléments, l’enquêteur suppose fortement qu’il est en présence du Théléphore à cornes palmées (Thelephora palmata). Mais comme on le verra plus tard, il n’est vraiment pas courant dans notre secteur et un prélèvement d’échantillon s’impose pour confirmer cette détermination.

 

L’examen par la police scientifique

 

Les spores dans le genre Telephora sont très caractéristiques : épineuses et surtout bosselées. Elles ont vraiment une forme anarchique. C’est effectivement confirmé.

Spores de Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées  microscopie x1000  - Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Spores de Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées  microscopie x1000  - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Spores de Telephora palmata, Théléphore à cornes palmées microscopie x1000 - Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Également, les hyphes sont bouclés, c’est également le cas.

Hyphe bouclé, Telephora palmata,Théléphore à cornes palmées microscopie x1000  - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Hyphe bouclé, Telephora palmata,Théléphore à cornes palmées microscopie x1000 - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Pour la curiosité, deux autres organismes se sont invités dans la préparation microscopique : un pollen d’épicéa avec ses sacs aérifères (pratique pour se déplacer dans l’air)

Pollen d’épicéa, microscopie x1000 - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Pollen d’épicéa, microscopie x1000 - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

et même une levure en train de bourgeonner.

 Une levure en train de bourgeonner.  - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Une levure en train de bourgeonner. - Photo Gilles Weiskircher (Anab)

La levure, également un champignon et dont certaines espèces ont structuré nos sociétés avec des aliments emblématiques comme le pain, mais aussi le vin. On voit ici une levure en train de bourgeonner.

 

La conclusion de l’enquêteur

 

C’est exceptionnel de rencontrer cette espèce. Appréciant les litières de résineux et notamment le sapin ou l’épicéa, cette espèce indique une litière en bonne santé. Elle est classée comme quasi menacée sur la liste rouge d’Alsace des champignons à protéger. C’est dire que pareille rencontre est toujours une joie. C’est une espèce dite parapluie (une espèce parapluie est, en écologie, une espèce dont l’étendue du territoire ou de la niche écologique permet la protection d’un grand nombre d’autres espèces si celle-ci est protégée) et, sous son air discret et peu avenant, ce champignon est d’une grande importance pour tout son environnement.

 

 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Merci pour ce descriptif intéressant.
Répondre